Née en 1908, Jacqueline Perlès effectue en parallèle des études d’assistante sociale et une licence en droit. Elle commence sa carrière professionnelle au service social du Secrétariat à la Marine, qu’elle quitte en 1940 quand l’antisémitisme devient virulent, puis travaille à la Sauvegarde des Bouches du Rhône, avant de travailler dans une entreprise de chaussure de Romans. Menacée en raison de ses activités résistantes, elle passe à a clandestinité et travaille au COSOR (Comité des Œuvres Sociales des Organisations de Résistance). Adhérente de l’ANAS dès sa création elle anime la commission chargée d’écrire le code de déontologie. Conseillère technique à l’UNCAF dès 1947, elle aura un grand rôle dans l’organisation des formations au case work. Après son départ à la retraite en 1968 elle travaille un temps à la DDASS du Val-de-Marne.
Jacqueline Perlès est née le 31 mars 1908 à Paris au sein d’une famille juive ; son père est banquier. A l’issue de ses études secondaires elle obtient le baccalauréat en 1925 à l’âge de 17 ans. De là elle s’inscrit à la Sorbonne et commence une licence de philosophie. S’ennuyant à La Sorbonne et souhaitant agir, en 1926 elle prend contact, grâce à l’épouse de l’un de ses cousins, avec les dispensaires de« La Nouvelle Etoile des enfants de France » dans le 13e arrondissement de Paris. Sans mettre ses parents au courant de son activité dans cette association, elle y reste durant un an et demi en y allant deux ou trois fois par semaine. Face à son souhait de visiter des familles, elle est orientée vers Ysabel De Hurtado au service social des HBM. Cette dernière l’envoie, en 1928, auprès d’une assistante sociale de son service, Mlle Sumpt, qui intervient dans la cité HBM du 137 boulevard de l’Hôpital. Conseillée par Mlle Sumpt, elle s’oriente vers ce qu’elle considère comme « un service plus structuré » celui du Service Social de l’Enfance où elle travaille comme bénévole, pendant deux ans de 1928 à 1930, à raison de 30 heures par semaine.
Motivée par l’exemple des assistantes sociales auprès de qui elle intervient, elle décide de s’engager dans cette profession. Elle intègre, en 1931, l’Ecole d’Action Sociale Familiale, de l’Abbé Viollet. Mais comme elle le dira plus tard ses parents y sont opposés : « Mes parents ne pensaient pas tellement à une profession. La voie normale était de se marier et d’avoir des enfants. Pour eux c’était cela. ». Mais ils ne sont pas opposés à des études plus acceptables. Aussi, en même temps quelle commence des études d’assistante sociale, elle s’inscrit en licence de droit. « le droit était mon alibi » dira-t-elle, mais elle finit par s’y intéresser. Tiraillée entre la licence en droit, les études d’assistante sociale et les amies de son âge dont elle ne peut rester à l’écart de leur vie quotidienne, elle a des difficultés à tenir ; Mme Fuster qui dirigeait l’Ecole d’Action Sociale Familial » considère que ses études de droit constitue une trahison et que son milieu social ne la préparait pas du tout à faire du service social. Elle obtient en 1933 son diplôme d’assistante sociale (diplôme de l’Ecole) et sa deuxième année de licence en droit.
En septembre 1933 elle se fiance avec M. Blum et se marie en juillet 1934. Son mari refusant qu’elle exerce comme assistante sociale, elle fait du secrétariat à mi temps chez un avocat. Dès juillet 1934 son mari est atteint de tuberculose, il est soigné en Suisse et décède en mars 1937. Durant la maladie de son mari elle passe, en 1936 ; sa troisième année de licence en droit. Après le décès de son mari elle retourne vivre un temps chez ses parents où vivent encore ses deux frères.
A l’appel d’Ysabel De Hurtado elle participe au stand du Bureau d’Information et d’Orientation Sociale (BIOS) à l’exposition universelle de 1937. Pour le BIOS elle réunit toute la documentation existante sur les services sociaux de l’enfance en danger moral. La même année 1937, par l’intermédiaire d’un cousin, elle entre au Secrétariat d’Etat à la Marine comme assistante sociale avec un statut d’ouvrière d’Etat au Laboratoire central d’artillerie navale. A ce moment, le service social de la Marine, qu’elle contribue à créer, comporte, outre une assistante sociale à Paris, huit assistantes sociales dans les ports : deux à Toulon, deux à Cherbourg, deux à Lorient et deux à Brest. Pour le ministre de la marine César Campinchi elle rédige une étude sur la définition du service social et sur ses réalisations. L’épouse du ministre, Hélène Campinchi, avocate et qui a été professeur de droit à l’Ecole Pratique de Service Social, lui demande de l’aider à créer une association pour les œuvres sociales de la Marine nationale : l’ADOSM (Association pour le développement des œuvres sociales de la Marine). En 1938 Jacqueline Perlès travaille en même temps pour le Secrétariat à la Marine et pour l’ADOSM.
Le 12 juin le service social du secrétariat à la Marine est replié à Montbazon en Indre et Loire. Le climat politique n’est plus celui qui régnait sous les gouvernements de Front Populaire : « dès ce moment, l’atmosphère changea complètement pour moi : à mesure de l’avance allemande, la sympathie dont j’étais entourée tourna court. Pour quelques officiers et même pour l’une des collègues, leur antisémitisme bondit en avant et le 14 juin, le jour de l’entrée des allemands à Paris, la collègue Mlle R., sans doute pour calmer ses nerfs, me donna une gifle. ». Le 16 juin nouveau repli en Charente Maritime dans la commune de Saint Germain de Marencennes c’est là que le 18 juillet Jacqueline Perlès reçoit un ordre de mission pour Toulon. Avant de rejoindre son affectation, elle passe par Vichy où ses parents s’étaient réfugiés ; là elle prend contact avec un ancien membre du cabinet de César Campinchi. Celui-ci lui déconseille d’aller à Toulon qui est selon lui « le port le plus antisémite de France » et lui suggère de quitter la Marine, ce quelle fait en septembre 1940 et apprend qu’elle avait déjà été démissionnée parce juive. Elle quitte Vichy pour Marseille où veut s’installer son père. Entre temps, pendant son séjour à Vichy elle repasse son permis de conduire sous le nom de Perlès en ces temps « plus facile à porter que celui de Blum ».
À Marseille, orientée par César et Hélène Campinchi elle prend contact avec Germaine Poinso-Chapuis, avocate qui préside le « Comité de défense et de protection de l’enfance en danger physique ou moral ». Elle est embauchée dans cette association et travaille, pendant deux ans et demi, au service enquête du Tribunal pour enfants. Elle participe aussi ; sans doute en lien avec Germaine Poinso-Chapuis, à des actions de résistance comme du transport de courrier Après l’invasion de la zone libre, en novembre 1942, sa famille quitte Marseille pour Grenoble. Après la rafle du vieux port à Marseille, les 22, 23 et 24 janvier 1943, elle est cachée, en février, trois jours dans son bureau, puis chargée d’accompagner un enfant à Montpellier. Elle quitte Marseille et se rend à Uriage où sont ses parents. Elle se dirige vers Lyon où elle est reçue par Marie Louise Destruel, directrice de l’Ecole de Service Social du Sud Est ; cette dernière l’oriente vers un poste d’assistante sociale du travail au sein du Comité Social de l’Industrie du Cuir à Romans. Par l’intermédiaire d’un cousin elle est contactée par les maquis locaux et elle organise, en complicité avec deux autres assistantes sociales, la récupération par les maquisards des chaussures destinées à être envoyée en Allemagne. Cette opération est renouvelée six fois en trois mois. Face au risque croissant d’être soupçonnée et arrêtée, au bout d’un an elle démissionne et rejoint Lyon. Début 1944 elle travaille dans la clandestinité au COSOR (Comité des Œuvres Sociales des Organisations de Résistance) auprès du père Pierre Chaillet qui le préside. La période de clandestinité se termine avec la libération de Lyon le 3 septembre 1944 et elle rejoint Paris où elle continue, jusqu’au 30 juin 1946, à travailler au COSOR. Elle loge chez son frère avocat, rue Raymond Poincaré dans le 16e arrondissement de Paris. En parallèle à son activité au COSOR, elle est nommée, par la Préfecture de la Seine, assistante sociale chef du service médico-social d’aide aux rapatriés durant les années 1945 et 1946 jusqu’au 30 juin. Elle organise des permanences pour les familles de déportés et, à l’Hôtel Lutétia, pour les déportés
Peu après la fondation, en décembre 1944 de l’ANASDE (Association Nationale des Assistantes Sociales Diplômées d’Etat) elle y adhère parmi les premières : son numéro de carte est 461.1945. Après la promulgation de la loi du 8 avril 1946, le bureau de l’ANAS met en place une commission placée sous la responsabilité de Jacqueline Perlès et de Mlle Laennec ; parmi les membres de cette commission on peut citer Jeanne Lalouette, Gabrielle Lavoine, Cécile Braquehais. Cette commission rédige la brochure « Le secret professionnel des assistantes sociales », qui est publiée par l’ANAS en début 1947. Du secret professionnel Jacqueline Perlès passe au code de déontologie. Selon son témoignage, lorsqu’elle a présenté la brochure sur le secret professionnel à Charles Blondel, conseiller d’Etat, ce dernier lui a déclaré que tout cela devait être codifié. Aussitôt elle rédige 34 articles de ce qui devrait être un code de déontologie. Mais elle devra attendre, début 1949, la mise en place par l’ANAS, d’une commission pour qu’un code de déontologie soit présenté à l’adoption au congrès de Lille en 1949. L’adoption du code a été reporté au congrès suivant : l’article 11 sur le non jugement (« l’assistante sociale n’a pas à juger les personnes qui requièrent ses services, mais à chercher avec elles une solution à leurs difficultés ») aurait provoqué des réticences. Finalement le code de déontologie sera adopté au congrès de Marseille en 1950.
En juillet 1947 elle est recrutée comme conseillère technique à l’UNCAF par le directeur Roland Lebel. Son premier travail est la rédaction du programme d’action sociale qui sera présenté, en septembre 1947, aux directeurs et assistantes sociales chefs des caisses d’allocations familiales. A partir de 1948 et jusqu’en 1952 elle organise avec le directeur de l’action sociale de l’UNCAF des sessions de formation, d’une durée d’une semaine, pour les cadres du service social de l’UNCAF et des caisses d’allocations familiales. En 1953 elle lance le premier cycle de formation au case-work, à un rythme bi mensuel, pour les assistantes sociales chef des Caisses d’allocations familiales. La formation est assurée par Martha Cassirer et Myriam David. Ce cycle sera renouvelé par l’UNCAF six fois jusqu’en 1958. Dans la suite de ce cycle l’UNCAF ouvre un cycle de formation de superviseurs en 1955 ; un deuxième cycle sera mis en place en 1962 et un troisième en 1966. En tant que conseillère technique, Jacqueline Perlès a un rôle central dans l’organisation de ces formations nombreuses et variées : formation de cadres en 1958, groupe d’étude sur « sociologie et case-work » avec Gilbert Mury en 1960, séminaire sur la PMI, animé par Myriam David en 1961.
Atteinte par la limite d’âge – elle a 60 ans – elle quitte l’UNCAF en 1968. Sollicitée par Jacqueline Bonneau, conseillère technique du Val de Marne, nouveau département issu du découpage de la région parisienne, elle accepte un poste de documentaliste. Sous cet intitulé de poste, elle est en charge d’organiser des sessions de perfectionnement des assistantes sociales du département. Dans les années 1970 le Centre de Formation Professionnelle des Travailleurs sociaux du Val de Marne, dépendant du Comité de coordination des services sociaux, est très actif. Elle occupe ce poste pendant dix ans jusqu’en 1978. Au cours de son activité dans le Val de Marne, elle participe à la fondation, en 1973, du Comité de Liaison des centres de formation permanente et supérieure en travail social. Elle est très active au sein de ce comité, dont elle est trésorière en 1987. Elle est membre de la commission d’organisation des trois colloques sur la recherche en travail social (1983, 1984 et 1987).
Après ce troisième colloque, âgée de 79 ans, elle se retire progressivement de toute activité dans le champ du service social. Elle décède à Paris en septembre 2000.
PUBLICATIONS : « Le point de vue des assistantes sociales », Informations sociales, n° 3, 1949. – « Les problèmes posés aux assistantes sociales dans leur action éducative auprès des familles », Informations sociales, n° 7, 1959. – « Un grand rôle des caisses d’allocations familiales », Informations sociales, n° 8-9, 1962. – « Documentation sur la déontologie des professions à caractère social », Informations sociales, n° 3, 1964. – « Une application de la recherche sur les placements dans les maisons d’enfants des caisses d’allocations familiales », Informations sociales, n° 10, 1965. – « Le management du centre social », Informations sociales, n° 4, 1969. – « Une nouvelle contribution à la prévention précoce : les puéricultrices de secteur », Revue française de service social, n° 99, juillet-septembre 1973. – Lucette Mallet-Dufour, Jacqueline Perlès, Le service social en polyvalence de secteur, l’aide au client, Paris ESF, 1975, 275 p. – « Panorama historique des formations postérieure au diplôme d’Etat », Revue française de service social, n° 112, octobre-décembre 1976. – « Chronologie de la formation permanente et supérieure en service social », FORUM, n° 10, janvier 1979, p. 12-19. – « Le service social du travail et le CE », Informations sociales, n° 1, 1982. – « La polyvalence de secteur, une forme d’action sociale » (avec Éliane Cournet), Revue française de service social, n° 132, 1er trimestre 1982. – « Création et histoire d’un service social départemental depuis 1968 », Entretiens avec les deux conseillères techniques de la Ddass du Val-de-Marne : Jacqueline Bonneau (1968-1973) Jeanine Delannoy (depuis 1973) par Lucette Malet et Jacqueline Perlès assistantes sociales Informations sociales, n° 6, 1982. – « Assistant social à l’hôpital ? », Informations sociales, n° 4, 1983. – « Les assistants sociaux dans les hôpitaux de moyen et long séjour », Informations sociales, n° 4, 1983. – « Une page fondamentale de l’histoire du service social français » avec Georges Michel Salomon, Revue française de service social n° 141-142, 2e et 3e trimestre 1984. – « Signalement et secret professionnel », avec la participation de la commission déontologie de l’ANAS, Revue française de fervice focial, n°144/145, 1er et 2e trimestres 1985. – « L’autonomie professionnelle. Jusqu’où ? Procès de Mme Rey dernier acte », Revue française de service social, n° 148/149, 1986. – « La communication entre professionnels dans leur travail quotidien », Revue française de service social, n° 159, 4e trimestre 1990. – « La circonscription. Interview d’une assistante de service social, responsable de circonscription », Revue française de service social, n° 163, 4e trimestre 1991. – « Un moment historique pour le service social des CAF : la mise en place, le perfectionnement et la formation des cadres des assistants de service social », Revue française de service social, n° 165, 1992. – « Mission Rosenczveig : quelques réflexions », Revue française de service social, n° 167, 1992. – « Du service social individualisé une page fondamentale de l’histoire du service social français », avec Georges Michel Salomon, Revue française de service social, n° 173-174, 2e et 3e trimestre 1994. – « J’ai rencontré l’ANAS », Revue française de service social, n° 177-178, 2e et 3e trimestres 1995.
SOURCES : Archives ANAS. – Écrits de Jacqueline Perlès. Lucette Mallet, « Jacqueline Perlès, une femme d’innovation », Revue française de service social, n° 200, mars 2001. Lettres : Éliane Leplay (30/03/2017), Françoise Joublin (21/09/ 2017), Marie-Thérèse Paillusson (08/04/2017). – Jacqueline Perlès, « Mon itinéraire professionnel 1926-1988 (remarques préalables) », s.d., 11 p. – Fonds Knibiehler/ Archives CEDIAS« Interview de madame Perlès » par Simone Crapuchet (1978). – Yvonne Knibiehler La Sauvegarde de l’enfance dans les Bouches du Rhône, Rennes, Presses de l’EHESP, 2009. – Bertrand Hérisson, « Étude historique des différentes réformes du service social de la marine depuis sa création », Mémoire de maitrise sous la direction d’Yvonne Knibiehler, Université de Provence, novembre 1977. – Comité de Liaison des Centres de Formation Permanente et Supérieure en Travail Social, 1983, La recherche en travail social, Paris, Actes du colloque / Comité de Liaison des Centres de Formation Permanente et Supérieure en Travail Social, 1984 La recherche en travail social Paris Actes du 2e colloque/Comité de Liaison des Centres de Formation Permanente et Supérieure en Travail Social 1987 Produire les savoirs du travail social Paris Actes du 3e colloque de la recherche en travail social. – Henri Pascal, La construction de l’identité professionnelle des assistantes sociales. L’Association nationale des assistantes sociales (1944-1950), Rennes, Presses de l’EHESP, Coll. « Politiques et interventions sociales », 2012, 277 p.
Henri Pascal