Denise Vormus-Pauckert a fait une grande partie de sa carrière d’assistante sociale à l’OSE, l’œuvre de secours aux enfants. Elle y rentre à 21 ans, et y reste jusqu’à sa retraite, avec une interruption d’une dizaine d’années aux Etats-Unis. Elle se forme sur le tas à Marseille d’abord au centre médicosocial, puis à Limoges et à Lyon. Son parcours illustre le travail d’une assistante sociale engagée pendant la Seconde guerre mondiale, travail d’assistance aux familles réfugiées, puis de sauvetage des enfants juifs.
Née à Vincennes le 1er avril 1921, Denise Vormus est l’ainée de 3 enfants, issue d’une vieille famille de Juifs alsaciens lorrains installée en France depuis le 18e siècle et à Paris après 1870 pour la branche maternelle. Son père est lorrain, né à Château-Salins, engagé volontaire pendant la grande guerre. Après des études à Nancy, il travaille dans un grand magasin, « Aux dames de France ». Denise fait des études commerciales jusqu’à 16 ans. En 1938, la famille part à Oran (Algérie) où le père monte une société de timbres-primes de la Ruche nouvelle. Il s’agit de vignettes délivrées lors de la vente d’un produit, collectionnées par les consommateurs qui les échangent contre de l’argent ou des marchandises. Certaines peuvent servir de publicité. Mais elle doit revenir en catastrophe en avril 1940, suite à un décret-loi de Paul Raynaud interdisant le commerce des timbres-primes.
C’est bientôt l’exode, la famille est dispersée et Denise va chez un oncle à Dinard, puis rentre à Paris et obtient un ausweiss pour rejoindre ses parents réfugiés en Creuse. Ils avaient pris un autocar au moment de la débâcle pour rejoindre Bordeaux et s’étaient retrouvés à Guéret, puis pour une nuit à Lavaveix–les-Mines. Ce bourg devient leur lieu de refuge pendant toute la guerre. Les Vormus furent aidés et protégés par le maire, Isidore Forignon (reconnu Juste parmi les Nations en 1994) qui délivra des faux papiers d’identité au nom de Valentin pour Pierre et Denise, les enfants et Garcia pour les parents. Il cacha leurs vrais papiers où avaient été portée la mention « Juif » ainsi que leurs livres de prières, et des couverts en argent, mais ni les faux papiers, ni les registres municipaux ne mentionnent qu’ils étaient Juifs. Suivant son exemple, tous les administrés gardèrent le silence et les Vormus ne furent jamais inquiétés. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Monsieur Vormus loua un lopin de terre pour cultiver des légumes et élever des lapins.
D’autres familles juives et non juives réfugiées du Havre et du nord de la France, mais aussi de Paris et d’Alsace s’installèrent dans la commune entre 1940 et 1942. Et il semble qu’il n’y ait eu aucune arrestation de juifs étrangers lors de la rafle du 26 août 1942 qui concerne l’ensemble de la zone sud.
Denise âgée de 19 ans travaille pendant un an auprès de Monsieur Forignon, puis va rejoindre une partie de la famille réfugiée à Nice. En avril 1942, au moment de ses 21 ans, elle va à Marseille recommandée par une des cousines de la famille Yvette Bauman, impliquée dans le réseau Combat ; Marseille, le nouveau pôle du judaïsme français, la capitale des œuvres juives et non juives d’assistance.
Le travail social à Marseille
Après un stage de formation comme bénévole, elle choisit de s’engager à l’OSE, l’œuvre de secours aux enfants, une association juive au « secours des enfants du siècle » et des Juifs persécutés, née à Saint-Pétersbourg en 1912. Elle fait partie des 280 employés de cette association où elle fit toute sa carrière. En avril 1942, elle s’était inscrite à l’école de formation d’assistantes sociales mise sur pied par Andrée Salomon, pour des élèves juives. Au bout de 15 jours de cours en internat à Mazargues, l’école est fermée sur ordre du gouvernement de Vichy et les élèves dispersées. Andrée Salomon lui propose de venir travailler dans les camps d’internement, mais il fallait parler allemand. C’est Vivette Hermann, future femme de Julien Samuel qui prend la place. Celui-ci lui propose de rejoindre le centre médico-social de Marseille qu’il avait ouvert en lien avec l’Unitarian Service Committee. Il possédait un dispensaire, un service social, un jardin d’enfants et un vestiaire. Le service dit de « suralimentation » distribuait des repas pour les familles internées dans les annexes du camp des Milles. Il s’agit des hôtels Bompart, du Levant et Terminus où vivaient les familles des internés du camp des Milles qui ne comportait que les hommes.
Denise se forme sur le tas et devient assistante sociale auxiliaire, sous la responsabilité de deux autres assistantes sociales qui seront déportées Nicole Weill-Salon et Huguette Wahl. Elle seconde Madame Kayser, infirmière chef au dispensaire pour les petits soins apportés aux enfants (pansements et impétigo) et assiste aux consultations de pédiatrie du Dr Wolf.
Son travail d’assistante sociale consiste à faire des enquêtes pour repérer les Juifs les plus démunis, à apporter soutien moral, aide médicale et logement à une population de plus en plus paupérisée. Elle s’occupe des familles nécessiteuses réfugiées d’Alsace, ou d’Europe Centrale, mais également des familles originaires d’Afrique du Nord établies à Marseille depuis plus longue date. Toutes ces familles étaient regroupées dans le quartier du Vieux Port.
Elle ravitaille les gens cachés dans des appartements, en général des Juifs étrangers recherchés par les Allemands. « Jeanine Kahn-Lifschitz et moi-même, portions des marmites dans les rues de Marseille. Un jour, le code convenu pour avoir accès dans un appartement était erroné. Silence. La porte s’ouvre enfin. Tous les occupants ont les bras en l’air, effrayés. Ils ont cru que les SS venaient les arrêter! »
En 1942, il fallait convaincre les parents de se séparer de leurs enfants. Denise accompagne certains au château du Masgelier et de Montintin. Les départs de la gare de Marseille sont dangereux. Elle entre en contact avec un agent des chemins de fer, Mr Samouillé qui lui indique des passages pour avoir accès directement aux quais, en évitant les contrôles. « Tous les convois des enfants et des adultes passaient par ses indications. Les enfants étaient regroupés et encadrés par des accompagnatrices. Les contrôleurs nous aidaient à installer les enfants, 8 à 10 par compartiment. C’étaient des enfants de 5 à 12 ans qui comprenaient très bien ce qui se passait et qui se tenaient d’une façon remarquable, alors que la Gestapo était très présente dans les trains. Pour remercier Monsieur Samouillé qui avait 5 enfants, nous lui fournissions du lait concentré destiné au personnel de l’OSE »
Par l’intermédiaire de sa famille, elle fait la connaissance d’un père blanc, d’origine juive, Michel Cohen qui permet de mettre des enfants à l’abri au couvent de Notre-Dame de la Garde. Ils ont pu y rester jusqu’à la fin de la guerre. Avec Hélène Story-Salmon, elle se transforme en cheftaine pour emmener des gamins de l’OSE à la campagne. La routine de la vie quotidienne d’une assistante sociale.
Août 1942, les rafles de Juifs étrangers se multiplient. Elles commencent à Marseille dès les premiers jours du mois, avant toutes les autres agglomérations. Le camp des Milles devient le centre de rassemblement pour toute la région du Midi. Toute l’équipe de Marseille est sur la brèche, s’emploie à persuader les parents de leur confier les enfants, dramatique course contre la déportation. Denise remplit une mission à « contre courant » : il s’agit d’un couple dont le mari venait d’être arrêté et interné au camp des Milles. Sa femme voulait à tout prix le rejoindre malgré tous les efforts pour l’en dissuader. Denise l’accompagne en taxi et pénètre dans le camp. Elle passe la nuit à ravitailler en eau, les personnes déjà parquées dans les wagons à bestiaux en partance pour Drancy.
Janvier 1943, après l’invasion de la zone Sud, les Allemands décident la destruction du Vieux Port, ce qui entraîne des rafles de toute la population juive de ces quartiers. L’OSE organise le camouflage et le ravitaillement des « illégaux » à la campagne. Ses locaux, dont l’activité médico-sociale n’est plus qu’une façade, servent de point de ralliement pour des centaines d’adultes munis de faux papiers. Presque chaque semaine, des convois d’enfants de Marseille, de Nice et d’Aix partent pour la frontière suisse. Le personnel est compromis : en mars 1943, Julien Samuel, Nicole Weil-Salon, Jeanine Kahn, et Denise Vormus sont mutés à Limoges. Il était temps ! 3 semaines après, la Gestapo se présentait au centre pour arrêter Julien Samuel.
Le travail social à Limoges
« Sauvons les enfants, et dispersons les » : pour l’OSE, c’est le temps de la fermeture progressive des maisons et celui, clandestin du « circuit Garel ».
Le point fixe de Denise, l’hôtel du Commerce où elle a élu domicile avec Nicole et Jeanine est aussi le point de rencontre de tous les oséens de passage. La région devient très vite la plaque tournante pour la mise à l’abri des enfants. Et Limoges restera le PC central de la région centre du circuit clandestin, sous la responsabilité d’Edith Scheftel puis de Pauline Godefroy. Denise fait de la prospection dans la région limousine, visite les enfants puis les convoie dans toute la France et s’occupe du courrier avec les parents, seul lien, mais combien important entre les uns et les autres.
Mais l’étau se resserre et les arrestations se multiplient, en particulier celle d’un avocat célèbre de Limoges, Maître Melzger dont la maison est mise sous scellés. Denise est contactée par Simon Mangel, résistant FTP et frère de Marcel Mangel (futur mime Marceau) pour aller y récupérer des fichiers qui n’étaient autres que ceux des enfants de l’OSE pris en charge par Andrée Salomon. Elle ne l’apprit que quarante ans plus tard !
Le 19 janvier, 1944, de passage au bureau de l’OSE devenu 3eme Direction-santé de l’UGIF, situé au 29 de la rue Louis Blanc, Denise assiste à une descente de la Milice et d’un membre de la Gestapo française qui cherchait Simon Mangel. C’est Nahum Hermann, militant sioniste, et membre de l’Organisation juive de combat, le père de Vivette Samuel qui est arrêté et déporté. Il était le seul à ne pas avoir de carte de légitimation de l’UGIF :
« Mr Hermann profitant d’un instant d’inattention de la Gestapo, m’a remis une liasse de billets de banque que j’ai glissée dans la poche de mon manteau mais l’un de ces messieurs m’avait vue. Il m’a fait pirouetter et m’a demandé de lui remettre ce que Mr Hermann venait de me donner, sinon je serais fouillée. J’ai du lui remettre l’argent bien malgré moi. Puis Mr Hermann m’a fait comprendre de déplacer une serviette déposée sur une commode. Je demandais à l’un des agents de la Gestapo l’autorisation de fermer les volets et j’ai glissé la serviette entre la cheminée et le mur. J’ai su plus tard que cette serviette contenait des papiers relatifs au mouvement sioniste. Puis j’ai pris mes jambes à mon cou et je suis partie, sans être suivie, je me suis précipitée téléphoner au rabbin Deutsch et aux membres de la « Sixieme » qui avaient un bureau en face de celui de l’OSE. Ensuite, je suis passée prévenir Vivette Samuel qui avait assisté à une partie de la scène. Elle est venue avec son bébé, Françoise à mon domicile. A 2 heures du matin, nous sommes allées chercher à la gare Julien Samuel qui revenait d’un voyage. Le surlendemain, j’ai accompagné Mme Hermann en taxi dans un lieu sûr. Nous avons été arrêtées en chemin par une patrouille allemande. Nous avions eu très peur mais il ne s’agissait que d’un contrôle d’identité. Le bureau de l’OSE a été fermé et mis sous scellés.»
Le circuit clandestin Garel
Denise est alors expédiée chez les Garel à Lyon, puis continue son travail à Périgueux, où se trouvait déjà installée l’ASI (Aide sociale israélite) pour les Juifs évacués d’Alsace-Lorraine et nombreux en Dordogne. Elle est logée chez une vielle dame collaboratrice, dont le fils était en Allemagne au titre du STO et face à la villa occupée par la Milice. On n’est jamais plus en sûreté que dans la gueule du loup ! « Il y avait un barrage au bas de la rue, et chaque soir les miliciens m’aidaient à passer ma bicyclette par dessus la barrière ! j’ai assisté plusieurs nuits aux attaques du maquis. Joyeuse j’ouvrais mes volets, mais la Milice m’ordonnait de les refermer. »
Février 1944 : l’arrestation des membres de l’OSE du bureau de Chambéry plonge toute l’organisation dans la clandestinité. Le processus de démantèlement des maisons est accéléré et les placements d’enfants plus nécessaires que jamais.
Pour Denise, c’est le temps des voyages incessants à pied, en train, à bicyclette.
Denise Valentin, alias Vormus se transforme en assistante sociale du Secours National où elle assure quelques permanences et visite inlassablement les enfants dans tout le département de la Dordogne. Edmond Blum, l’une des chevilles ouvrières de l’ASI, travaille à l’implantation du circuit clandestin dans le département. Les enfants sont placés dans des collèges ou des fermes avec l’aide de Melle Beckenhaupt assistante sociale principale et de ses adjoints et inscrits par précaution dans les registres de l’Assistance Publique. Denise prend les ordres d’Andrée Salomon ou de Georges Garel dans une voiture de wagon lits stationnée en gare de Limoges. Elle transporte documents et fonds, approvisionne le réseau clandestin en faux papiers, alors que la Milice se fait de plus en plus agressive. Sur l’impulsion de Georges Garel, et toujours dans un souci de formation pour l’après guerre, elle va suivre des études d’infirmière à Albi avec Dora Wertsberg-Amelan, internée volontaire à Gurs Les deux jeunes femmes se présentent aux examens avec des faux papiers.
Le travail social d’après-guerre
Vient le temps de la Libération de Périgueux qu’elle fête au restaurant de la Boule d’or, avec Sylvain Richter et Josué Lifschitz (dit Champagnac) deux anciens de la Résistance juive qui s’étaient fait arrêtés par la Milice le jour où elle devait les rencontrer. Les jeux de cache-cache avec la mort se terminent bien pour elle. Mais beaucoup ne sont pas revenus et tout est à reconstruire.
Denise est toujours aux côtés des plus faibles : elle protège une fillette de 16 ans qui a été tondue et va la chercher avec une cape ; le trajet facilité par les FFI.
1945-1951 : la carrière de Denise continue à l’OSE comme assistante sociale auprès de la Direction régionale de Lyon. Elle travaille avec Fanny Loinger*, une autre assistante sociale, chef de région du circuit Garel. C’est là qu’elle reçoit la première personne revenue du camp d’Auschwitz qui se présente dans le service, Hélène Blum. Elle assiste aux consultations de pédiatrie du dispensaire, tout en assurant le secrétariat médical.
Le regroupement familial mis sur pied par Germaine Masour a ses propres locaux, place Masséna, qui ne désemplissent pas. Denise accueille des parents, met en relation, favorise les adoptions, accompagne les enfants.
Mais il faut également parer au plus pressé, apporter les aides de première nécessité, secours financiers, colis, vêtements, literie, reclassement professionnel en liaison avec l’ORT, régularisation des situations en lien avec le Comité de secours aux émigrés ; aide aux familles réfugiées, installées ou de passage à Lyon, pour leur départ en Palestine ou aux Etats-Unis.
Denise participe, en dehors de ses fonctions à l’OSE, à la préparation de l’Exodus avec la Fédération des Sociétés juives de France.
Avant la fermeture du centre de Lyon, Denise aide l’OSE à ouvrir les trois maisons d’enfants de la région lyonnaise pour les orphelins de la Shoah: le Tremplin, l’Hirondelle et Collonges-au-Mont d’or. Puis, suit une interruption de plusieurs années où elle travaille au CASIP (Comité d’action sociale israélite de Paris) se marie avec Jean Pauckert qu’elle a connu lorsqu’il travaillait avec l’abbé Glasberg au Centre d’action sociale des étrangers (COSE). Le couple part aux Etats-Unis. En 1970, elle cherche à revenir en France et reprend contact avec Vivette Samuel, la directrice de l’OSE qu’elle avait bien connue pendant la guerre.
A partir de 1971, le couple prend la suite de Mr et Mme Lévy pour diriger la maison du Tremplin où se trouvent des adolescentes venus d’Afrique du Nord. Denise Paukert-Vormus termine sa carrière, en 1981, comme directrice-économe à la maison de Draveil qui existe toujours. Elle reçoit le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 2003 et meurt à Paris le 23 janvier 2007.
Nous voici au terme d’un parcours de toute une vie au service des autres, un engagement de tous les instants, discret, anonyme. Un parcours exemplaire vis-à-vis de l’Histoire, mais surtout de l’avenir, l’avenir des jeunes, l’avenir de l’OSE. Pourquoi ? Parce qu’à l’heure des choix et ils ont été multiples sur sa route, Denise, toute jeune a su immédiatement dire « ça oui, ça non », tout le reste n’est que littérature.
Katy Hazan, historienne à l’OSE, janvier 2021
Sources – Dossier du personnel de Denise Vormus au siège de l’OSE – Entretien avec Denise Vormus en 2003 et avec Pierre Vormus, son frère en 2015
Bibliographie
- Sous la direction d’Israël Gutman, Dictionnaire des Justes de France, Yad Vashem, Jérusalem, Paris, Fayard, 2003
- Georges Garel, Le sauvetage des enfants juifs par l’OSE, Paris, FMS/Le Manuscrit, 2012
- Katy Hazan, Les maisons de l’OSE après la guerre, Paris, édition Somogy, 2012
- Les anciens de la résistance juive en France, Organisation juive de combat (OJC), France 1940-1945, Paris, Autrement, 2006
- Vivette Samuel, Sauver les enfants, Paris, Liana levi, 1995
- Bernard Reviriego, de l’accueil à la persécution, Périgueux, FANLAC, 2004