Née à Lisieux en 1915, morte à Auschwitz en 1943, Nicole Veil effectue des études d’assistantes sociales à l’Ecole des Surintendantes. Elle commence à exercer dans des centres sociaux parisiens avant de partir à Marseille où, en 1941, elle est assistante sociale du dispensaire de l’OSE. Elle est active dans le sauvetage des internés juifs du Camp des Milles. Après l’occupation de la zone sud par l’armée nazie, elle se replie avec l’OSE à Limoges où elle participe au sauvetage des enfants. Elle est arrêtée le 24 octobre 1943 puis, après un temps à Drancy, elle est déportée par le convoi n° 62 vers Auschwitz.

Mots clés : Œuvre de secours aux enfants (OSE), 2eme Guerre mondiale, dispensaire médico-social Marseille, Mouvement des Eclaireurs israélites de France, Dr Weil-Reynal, Andrée Salomon, camp des Milles, Hôtel du Levant, Megève, Nice

« Nicole avait toute la grâce, toute la vivacité de la Parisienne. De petite taille, brune et bouclée, les joues vives et les grands yeux mobiles, elle était toujours en mouvement; le passage de la pensée, du raisonnement à l’action, était rapide, instantané. Elle prenait un contact direct avec les gens, avec les choses. D’un abord facile, elle se faisait approcher avec confiance. Elle savait établir aussitôt un contact plus que superficiel avec ses interlocuteurs. Elle savait questionner, remonter aux sources des misères. De par les origines alsaciennes de son père, elle savait parler la langue des internés des camps. Elle puisait dans son cœur ouvert aux malheureux, dans ses relations d’amitié, auprès de ses collègues, parmi les jeunes auxquels elle appartenait, des remèdes immédiats à la peine. » Ce portrait physique et moral vient d’une longue lettre d’Andrée Salomon qui l’a bien connue.

Nicole Weil est née le 17 août 1915 à Lisieux, dans une famille juive de quatre enfants, d’origine alsacienne. Son père, qui avait émigré au Brésil, est rappelé sous les drapeaux au début du conflit de 1914-1918. La famille revient alors définitivement en France et s’installe à Paris. Nicole Weil poursuit ses études au lycée Molière, où elle passe son baccalauréat. Elle obtient un diplôme d’assistante sociale à Paris, à l’École des Surintendantes d’usines du boulevard Saint-Germain, fondée en 1917 sous l’impulsion de cinq femmes engagées, dont Cécile Brunschvicg, présidente de la section « travail » au Conseil national des femmes françaises. Au début de la guerre, Nicole travaille dans les centres sociaux de la rue de la Durance, à Picpus dans le 12eme arrondissement de Paris où elle a la responsabilité d’un secteur de familles assistées qu’elle a suivies dans leurs pérégrinations, au lendemain de la déclaration de Guerre. Elle part ensuite avec sa famille à Marseille, où elle travaille auprès des réfugiés juifs.

Là, elle fait la connaissance de Jacques Salon jeune Eclaireur israélite, et c’est le coup de foudre réciproque : « d’une vitalité jaillissante, elle avait d’une fée reçu le don de fleurir la vie de chaque jour. Mon cœur calciné boit à longs traits cette source vive et renaît. » peut-on lire dans les mémoires de Jacques

Au mois de juin 1941, Nicole est engagée en tant qu’assistante sociale au dispensaire médico-social de l’OSE, situé 25 rue d’Italie et dirigé par Julien Samuel. L’équipe sociale sous la direction du Dr Weil-Reynal comprend en outre Fanny Loinger, Huguette Wahl, Denise Vormus et Jeanine Kahn. « La serviette au bras, son grand stylo et son cahier de bord toujours prêts, elle parcourait les permanences du CAR au quai de la Joliette et de l’Hôtel du Levant, elle visitait à domicile ses clients de la veille, elle faisait hospitaliser ses malades ; tel un rayon de soleil, elle glissait parmi les quémandeurs miséreux et désemparés qui comprirent vite que l’argent seul n’était plus le butin de leur journée d’attente, mais que de la jeune personne en face d’eux se dégageait une action sociale autrement bienfaisante et durable… » poursuit Andrée Salomon

Nicole aide les femmes et surtout les enfants internés dans les hôtels Bompard, du Levant et du Terminus des Ports, annexes du camp des Milles, en attente d’un départ vers les Etats-Unis. Elle parvient à faire sortir des femmes en leur trouvant du travail et place enfants et adultes en lieux sûrs, y compris en leur fournissant des faux papiers. Elle visite également deux fois par semaine le camp d’internement des Milles, près d’Aix-en-Provence, et participe au sauvetage des enfants au moment des déportations d’août 1942. Situé dans une ancienne briqueterie, le camp des Milles fut fréquenté durant  un peu plus de trois ans (septembre 1939 à décembre 1942) par plus de 10 000 internés de 27 nationalités différentes. Plus de 2 500 personnes furent déportés vers Auschwitz. L’OSE est parvenu, avec toute son équipe, à faire sortir 78 enfants. « Je ne saurais dire en quelques mots ce que fut la montée bi hebdomadaire de Nicole au camp des Milles où elle suivait notre travail médico-social. Quand elle en rentrait, harassée, elle n’avait de trêve que fussent dictées et transcrites toutes les notes de bandages, de lunetterie, d’orthopédie et de suralimentation dont chacune représentait pour le bénéficiaire, le point crucial de sa vie.

Je ne saurais davantage, en quelques phrases, esquisser le sauvetage des internés du camp des Milles dans les sombres nuits d’août et de septembre 1942, où Nicole a fait, dans son équipe sociale OSE, des efforts surhumains pour sauver des hommes de la déportation et où elle a accompli des miracles. Beaucoup d’hommes lui doivent leur libération des transports et la vie sauve. » (Andrée Salomon)


Au début 1943, avec l’occupation de la zone sud et la multiplication des rafles, la situation devient précaire. Tous les organismes juifs quittent Marseille. L’OSE se replie à Limoges. Nicole y est mutée et devient responsable sociale de la Direction régionale de la Haute-Vienne. Trois semaines après leur départ, la Gestapo se présente au bureau pour arrêter Julien Samuel. A Limoges, Nicole s’occupe d’abord  de l’assistance de familles citadines et rurales, puis  de l’évacuation des enfants des maisons sous la direction d’Andrée Salomon. De son côté Jacques Salon qui a trouvé un emploi comme ouvrier agricole à l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), fait venir sa famille et organise son mariage avec Nicole au mois de juillet 1943.

Le jeune couple est chargé par l’OSE de créer un centre pour les réfugiés juifs étrangers assignés à résidence à Megève, situé dans la zone d’occupation italienne.  « Dans un chalet bon enfant, bordé d’un grand jardin nous organisons le centre : un dispensaire avec quatre médecins et une infirmière. Goûters pour une soixantaine d’enfants et jeux animés par trois monitrices (…) Trois mois dura notre bonheur » note Jacques Salon dans ses mémoires.

En écho, Andrée Salomon raconte : « Très vite, le petit Chalet OSE devint non seulement lieu de consultation médicale et sociale, mais lieu de rencontre amicale de tous ceux qui avaient besoin de réconfort, les médecins s’y tenaient avec plaisir, les enfants y venaient pour prendre leur goûter de suralimentation et s’adonner à leurs jeux. C’est grâce au contact si intelligent, si approfondi avec eux tous, que Nicole et Jacques Salon ont su, lorsque la dispersion de ce centre s’imposa en août 1943, précéder l’évacuation précipitée et organiser avec les comités locaux le sauvetage de centaines de familles et, en particulier, de 199 jeunes enfants par les frontières suisses. » En effet, le 8 septembre 1943, les Italiens signent un armistice séparé. Jacques et Nicole doivent organiser le déplacement des 750 Juifs étrangers assignés à résidence et les dissuader d’aller vers Nice où sont réfugiés près de 30.000 Juifs. Les Allemands occupent toute la zone italienne, dont Nice qui devient une véritable souricière.

 Nicole est envoyée à Nice par l’OSE pour tenter de sauver le maximum d’enfants. Elle travaille avec Huguette Walh et le Dr Odette Rosenstock,  directrice du dispensaire de l’OSE et femme de Moussa Abadi qui avait monté un circuit clandestin de caches d’enfants. C’est au cours d’un des convoyages d’enfants vers la Suisse qu’elle est arrêtée, le 24 octobre 1943, victime d’une dénonciation. Il semblerait que les enfants qu’elle venait chercher ont été dénoncés par une concierge et que Nicole se soit volontairement présentée aux autorités pour essayer de les sauver (selon le témoignage de Mila Lulki). « Elle est dans un centre de triage et peut s’en tirer. Deux jours après, je la vois en rêve, me tendant sa gourmette en or ; gourmette qu’effectivement une amie m’apporte de Nice dès le lendemain avec son petit briquet contenant, dans le minuscule réservoir, une feuille de papier à cigarettes pliée : « Ma promesse a été tenue. Je m’en tire sans trop de coups. Courage, espoir et baisers ». (Mémoires de Jacques Salon) Elle avait promis à son mari que ce serait son dernier convoyage.

À Drancy où elle est transférée, elle aide sans relâche les enfants qui y sont internés et adopte un petit groupe d’enfants. Nicole écrit le 19 novembre1943: « C’est demain le grand jour. Nous sommes prêts, moralement du moins ».Un dernier message est daté du 20 novembre, date de sa déportation à Auschwitz par le convoi n° 62 : « Nous voici tous réunis. Le wagon est complet et notre moral est superbe… Nous tiendrons… » Dans ce même convoi, se trouvaient Huguette Wahl (OSE), Claude Gutman et Djigo Hirsch (EIF), et Alice Salomon (UGIF).

Andrée Salomon termine ainsi son témoignage : « Son arrestation fut un coup terrible pour nous tous. Quelque chose s’est brisée en nous. Car nous l’aimions tous et chacun eût voulu être à sa place pour lui redonner une chance de continuer sa vie libre. Son image était présente à notre travail pendant toutes les années qui ont suivi Nice.

Et maintenant que nous savons, par un de ses compagnons du 20 novembre 1943 qui est rentré en France, (il s’agit de Djigo Hirsch) qu’elle est allée tout droit à sa mort en arrivant à Auschwitz, nous restons avec sa famille, inconsolables de tant d’amour et de richesses perdues à jamais. Son admirable mère n’est pas seule à pleurer sa fille et son mari sait qu’une silencieuse douleur est restée au fond de nous tous depuis qu’elle nous a quittés. Cet hommage veut rester discret et digne de votre modestie, Nicole. Il est profondément affectueux. Notre gratitude envers vous reste immense. »

                                                                                Katy Hazan, historienne mai 2021

Sources :

– Nicole Weil-Salon, Dossier du personnel, OSE. Lettre manuscrite d’Andrée Salomon

–  Jacques Salon, Trois mois dura notre bonheur, mémoires 1943-1944, Paris, FMS/Le Manuscrit, 2005 

– Georges Garel, Le sauvetage des enfants juifs par l’OSE, FMS/Le Manuscrit, 2012