Ysabel De Hurtado est née le 17 octobre 1891 à Paris. Son père, banquier, était issu d’une famille espagnole installée en Colombie puis en France depuis deux siècles. Son milieu familial est catholique, la famille a de nombreux liens internationaux, ce qui fera qu’elle parlera couramment quatre langues : français, allemand, espagnol, anglais. Sa scolarité est très brève et se termine sans aucun diplôme.  A seize ans, comme les jeunes filles de son milieu, elle continue à suivre des cours de maintien, de danse, de diction. C’est à cet âge que son père lui demande ce qu’elle veut faire plus tard. Au bout de quelque temps vient la réponse : elle veut être infirmière. La famille est réticente la trouvant trop jeune puis, finalement, accepte qu’elle aille, en 1911, dans un dispensaire d’enfants à Puteaux. C’est dans ce dispensaire qu’elle obtient, en 1913, un diplôme d’infirmière donné par le dispensaire qui dépend de la Croix Rouge.

L’offensive allemande sur la Marne menaçant Paris, la famille va s’installer à Saint Jean de Luz. Des blessés de guerre étant soigné dans le casino de cette ville, Ysabel De Hurtado se propose comme infirmière. De retour à Paris, elle envisage de s’engager comme infirmière pour aller au front, ce à quoi sa famille s’oppose : elle doit s’occuper de sa sœur malade. Elle reste donc à Paris et, en 1915-1916, elle travaille comme infirmière dans un hôpital annexe du Val de Grace géré par la Croix Rouge (rue Lourmond). Dans cet hôpital elle prend la direction d’un important service, est nommée infirmière major.  C’est en fin 1916 qu’elle part au front avec l’équipe de l’auto chirurgicale n° 20 du docteur Chevassus ; cette équipe comprend trois infirmières. Elle regagne Paris  le 31 décembre 1918.

A son retour elle s’inscrit, en 1919, dans l’hôpital-école de la rue de la Glacière (13e arrondissement) fondée par Mme Heine-Fould et financée par la fondation Rockefeller. Elle obtient le diplôme, délivré par l’école,  d’infirmière visiteuse tuberculose qui sera validé comme diplôme d’Etat en 1922. Bien des années plus tard, en 1977, elle explique ainsi sa décision : « Quand la guerre a été finie   je n’ai pas pu imaginer un instant que je pourrais reprendre la vie d’autrefois, une vie faite de mondanités très souvent, en tous cas d’obligations d’une certaine catégorie dont je ne voulais plus. » A l’issue de la formation, au cours de laquelle elle a fait des stages dans des dispensaires notamment celui fondé par le Dr Calmette, elle est mise en relation par Mme Heine Fould avec le Dr Faure-Beaulieu qui souhaite installer des infirmières dans les écoles du 13e arrondissement. Elle intègre donc un embryon de service de santé scolaire, géré à partir de 1920 et jusqu’en 1933, par la Société de Secours aux Blessés de Guerre (SBM). Ce service se développe, commence à obtenir des financements de la ville de Paris et Ysabel De Hurtado peut embaucher quatre infirmières.  Outre les visites médico-sociales dans les 48 écoles de l’arrondissement, le service organise des colonies de vacances et des placements de longue durée en milieu rural pour les enfants du 13e arrondissement. Ysabel De Hurtado dirigera ce service de santé scolaire, qu’elle a créé, jusqu’en 1930 moment où elle le quitte.

Durant  son activité dans le 13e arrondissement, elle est en contact avec Mlle Lannebit qui tente de créer un service social dans les HBM (Habitations à Bon Marché) du 19e arrondissement et, à sa demande, elle y installe une infirmière visiteuse. C’est là le début du service social des HBM : une permanence d’assistante sociale sera progressivement ouverte dans chaque groupe d’immeubles avec un financement de la Préfecture de la Seine. Ce service, qu’Ysabel De Hurtado  a brièvement dirigé en 1931-1932,  durera jusqu’en 1942. Au cours de cette même période des années 1920, Ysabel  de Hurtado commence à s’intéresser à l’international. Elle participe à la préparation de la Conférence Internationale de Service Social (Paris 1928) et assiste à cette conférence ainsi qu’aux deux suivantes (Francfort en 1932 et Londres en 1936). Cet intérêt pour le service social dans les autres pays se manifeste  en 1938,  année où elle effectue plusieurs voyages d’études en Grande Bretagne, Belgique et Allemagne. En ce qui concerne la France elle manifeste un intérêt certain pour l’évolution de la législation sociale. Elle participe, notamment en 1926, aux réunions préparatoires à la loi sur les assurances sociales, loi promulguée en 1928.

Quelque temps après la promulgation de cette loi, la Caisse d’Assurances Sociales de la Seine avec des œuvres privées crée l’Office de Protection Maternelle et Infantile  (OPMI)  qui change rapidement de nom pour devenir l’Office de Protection de la Maternité et de l’Enfance de la Seine (OPMES). Cet Office est chargé d’améliorer le fonctionnement des services de protection maternelle et infantile, de les coordonner,  d’unifier les méthodes de travail et de développer l’éducation sanitaire. La direction de l’OPMES  est proposée à Ysabel de Hurtado  elle le dirigera jusqu’en janvier 1942 malgré ses transformations successives. C’est à ce titre qu’elle participe, en 1935, à une commission chargée d’étudier les possibilités de coordination entre les services sociaux.  Les travaux de cette commission débouche sur les circulaires Sellier sur la coordination et, au niveau départemental, sur la création du comité de coordination sanitaire et sociale du département de la Seine ; Ysabel De Hurtado y représente l’OPMES. En 1939 l’OPMES a son siège social 6 rue de Berri (Paris 3e) et emploi 160 assistantes sociales et 4 inspectrices.

En juin 1940 au moment de la débâcle de l’armée française et de l’exode d’une partie de la population, la Préfecture de la Seine réquisitionne, par arrêté du 12 juin 1940, toutes les assistantes sociales restées à Paris et les met sous l’autorité du directeur de l’hygiène du travail et de la prévoyance sociale de la Préfecture.  Agissant en étroite collaboration avec la Préfecture et le Secours National, l’OPMES assure la coordination  de l’ensemble des services sociaux du département. En janvier 1941 l’OPMES devient le « service social de la région parisienne » par convention entre la ville de Paris, le département de la Seine, l’Union des Caisses d’Assurances sociales et Comité français de service social pour assurer la continuité de l’action concertée.  En fin d’année 1941, ce Service Social, qui rassemble plus de 100 institutions publiques et privées, comprend  2000 assistantes sociales réparties en 402 assistantes de secteur, 370 assistantes polyvalentes n’effectuant pas un travail de secteur et près de 1000 assistantes sociales spécialisées. En janvier 1942 il devient le « Groupement d’Action des services sociaux de la Seine » (GASS). C’est à ce moment qu’elle quitte ce service où elle est remplacée par « deux messieurs l’un au point de vue social un au point de vue administratif ».   Des transports d’enfants et de vieillards de Paris sont organisés par la Croix Rouge pour leur permettre de rejoindre leurs parents en province : Ysabel de Hurtado est dénoncée pour avoir utilisé ces transports pour faire passer des juifs en zone libre. De plus soupçonnée d’être juive, elle doit fournir des preuves de sa généalogie.

Dès la libération de Paris, elle accepte de s’occuper le service de l’enfance de la Croix Rouge en tant qu’adjointe au directeur chargé des maisons d’enfants. Pendant dix-huit mois, elle réorganise ce service « dans une ambiance perturbée par les séquelles de la guerre et de la Libération ». En janvier 1946 elle démissionne de la Croix Rouge, « résolue de ne plus rien faire du tout ». Cette résolution ne l’empêche pas d’accepter d’être nommée, en 1946, secrétaire générale du comité français de service social et d’action sociale  ainsi que secrétaire générale de la conférence internationale de service social pour l’Europe et le Moyen-Orient. Elle est nommée à ce poste lors de la première conférence internationale d’après-guerre en 1948 à Atlanta City (États-Unis). Commence ainsi une carrière internationale qui durera jusqu’en 1969 date à laquelle elle quitte la présidence du comité français de la Conférence internationale de service social : auparavant elle a quitté le poste de secrétaire générale de la conférence internationale de service social pour l’Europe et le Moyen-Orient  en 1956 et les fonctions de secrétaire générale de la Conférence internationale d’Action Sociale en 1961.  Au titre de ses fonctions, elle participe aux travaux des conférences internationales de service social depuis celle d’Atlanta City en 1948, en passant par celle de Paris en 1950 (dont elle est une des organisatrices) jusqu’à celle de Washington en 1966 dont le thème est «  Développement urbain. Ses incidences sur le service social et l’action sociale »

Pour Ysabel De Hurtado cette thématique était loin d’être inconnue. Du 1er octobre 1954 au 31 décembre 1964 elle travaille comme conseillère sociale de la SCIC (Société Centrale Immobilière de la Caisse des Dépôts) et, pour la première fois de sa vie professionnelle, elle est salariée pour ce travail.

En juillet 1954 le directeur de la Caisse des Dépôts et Consignation, François Bloch Lainé lui demande  de trouver, pour le 1er octobre, une personne pouvant prendre en charge les besoins sociaux des habitants des nouveaux grands ensembles. Ne trouvant personne elle propose ses services à mi-temps et pour une durée de six mois : elle y restera dix ans et à plein temps : « j’ai fait là le travail le plus passionnant de ma vie ». Conseillère sociale de la SCIC, elle en anime le service social et crée le réseau des associations spécialisées : l’ALFA (Association pour le logement familial)  qui étudie et réaliser les équipements médico-social et culturel des nouvelles cités, l’ALJT (Association pour le logement des jeunes travailleurs) et l’AREPA (Association des résidences pour personnes âgées). Dans son article de 1958 sur les « Problèmes sociaux créés par les nouvelles formes de l’habitat moderne »  elle insiste sur le rôle du service social : il doit être, dés l’arrivée des familles, de les orienter, épauler, combler des lacunes, de leur  faire comprendre que le bien collectif est le bien de tous, d’organiser l’information des nouveaux habitants.

Après son départ de la SCIC en fin 1964, âgée de 72 ans, elle continue d’exercer, un temps, les fonctions internationales  de secrétaire générale de la Conférence internationale d’Action Sociale secrétaire générale du Comité français de Service Social.

Elle décède à Paris le 26 novembre 1983 à l’âge de 92 ans.

Sources

« Isabel de Hurtado » Revue Française de Service Social n° 138  3e trimestre 1983/ « In Memoriam Ysabel de Hurtado (1891-1983) » Vie Sociale n° 2/ 1984/Ysabel de Hurtado « le service social tel que je l’ai vécu » Informations Sociales  n° 4-5 avril-mai 1966 (pp. 9 – 50)/Récit de vie collecté par Suzanne Boyer  1977 Archives CEDIAS /Germaine Gury, Brigitte Bouquet, Christine Garcette « Ysabel de Hurtado 1891-1983 » Vie Sociale 3-4 1993

Publications

« Les tendances modernes de la protection de l’enfance » Les Cahiers du Musée social  n° 2-3 1951

« Problèmes sociaux créés par les nouvelles formes de l’habitat moderne » Les Cahiers du Musée social  n° 4 Juillet-Aout 1958

« Le service social tel que je l’ai vécu » Informations Sociales n° 4-5  Avril-Mai 1966

Henri Pascal