Née en 1872, décédée en 1965. Infirmière de guerre puis surintendante des cités des chemins de fer du Nord et directrice des services sociaux de la région Nord de la SNCF jusqu’en 1940.

Marguerite Grange est née dans l’auberge tenue par sa famille à Issoire (Puy-de Dôme) le 6 novembre 1872. Sa mère Anne Coupat accouche avec l’aide de son cousin médecin. Son père Benoît Grange, né en 1844 à la Chaise-Dieu (Haute-Loire) a exercé plusieurs métiers -cultivateur, voiturier, employé des chemins de fer- puis épicier à Brive avec son épouse jusqu’à sa mort prématuré en 1897. La famille a beaucoup déménagé dans les départements du sud de l’Auvergne.

Son frère cadet, Jean-Joseph né en 1878, est employé au Crédit industriel et commercial à Paris. Quant à sa sœur cadette, Irène, née en 1893, elle est institutrice et part enseigner le français en Allemagne puis en Roumanie. Marguerite Grange  gagne rapidement la capitale rejointe par sa mère et sa sœur. Elle loge avenue des Bosquets à Paris.

Une rencontre déterminante

Nous connaissons peu de choses sur son parcours avant la guerre 14/18. Elle réalise des études d’infirmière et nous supposons que c’est dans ce cadre professionnel après son arrivée à Paris qu’elle rencontre le docteur Étienne Goujon, sénateur de l’Ain et maire du XIIème arrondissement de Paris. Lauréat de la faculté de médecine, il dirige une maison de santé rue de Picpus à Paris. Cette personnalité de la médecine et de la politique commande en 1885 le portrait de chacun de ses enfants à Auguste Renoir. Son fils Pierre, né en 1875, sera député de la gauche radicale à Bourg-en-Bresse. Il sera l’auteur d’une  proposition de loi visant à améliorer les retraites ouvrières et paysannes. Sous-lieutenant de réserve et à ce titre incorporé au 229ème bataillon d’infanterie, il fut le premier parlementaire à être tué au combat le 25 août 1914. Le fils cadet, Étienne, né en 1880, épousera la fille de Joseph Reinach, journaliste et homme politique français très impliqué en faveur d’Alfred Dreyfus. Le Dr Goujon décède en 1907, mais Marguerite Grange restera proche des enfants Goujon qui apparaissent souvent aux moments clés de sa carrière.

Ce lien indéfectible avec la famille Goujon semble être un élément déterminant du destin de Marguerite Grange. Après sa formation d’infirmière et de sage-femme, Étienne Goujon  la met en relation avec des femmes de la haute société qu’elle accouche au domicile. Elle parcourt ainsi la France auprès de « ses clientes » comme elle le confie à sa famille.

Infirmière de guerre

En 1914, à 42 ans, elle s’engage comme infirmière de guerre. Elle est parmi les 68 000 infirmières regroupées dans trois sociétés d’assistance de la Croix Rouge Française enregistrées par le ministère de la guerre : la Société de Secours aux Blessés (SSBM), l’Association des Dames Françaises (ADF)  et l’Union des Femmes de France (UFF). En général, elles étaient vêtues d’une blouse blanche et portaient une coiffe. A la fin de la guerre, 105 sont tuées, 950 d’entre elles sont décorées de la Croix de guerre et 4 600 reçoivent la médaille des épidémies.

Ses talents ont dû être reconnus rapidement, car elle est nommée infirmière principale quelques mois après. En février 1917, elle reçoit  une médaille d’honneur « récompensant ses belles actions ». Elle est à ce moment infirmière principale à l’hôpital temporaire du Lycée Michelet à Vanves. Il s’agit d’une structure de soin de plus de 1600 lits. Le 10 mars1917, elle est décorée de la Croix de guerre et de la médaille d’argent des Épidémies. En juillet 1917, nous la retrouvons dans la place fortifiée de Belfort en qualité d’infirmière principale et surveillante générale avec une carte d’officier lui servant de laissez-passer sur l’étendue de la place. C’est en janvier 1918, qu’elle rejoint une nouvelle affectation et devient surveillante générale des hôpitaux militaires de la place de Besançon. Un ordre de mission daté du 1er décembre 1917 lui permet de circuler librement en qualité de surveillante générale des hôpitaux militaires.  L’armistice est signé le 11 novembre, c’est alors le début de la démobilisation et les premiers retours des blessés de guerre qu’il faut organiser.

En 1919, elle est mutée comme infirmière-chef des hôpitaux de la 1ère région militaire de Lille et affectée à Roye, petite commune la Somme, ou résident beaucoup de familles cheminotes. Elle anime alors l’œuvre locale des « Secours d’urgence des régions dévastées » dont la Maréchal Joffre est présidente d’honneur. Elle dépend directement de Marguerite Javal, secrétaire générale de l’œuvre et future cofondatrice de la Fédération des centres sociaux en 1927. Celle-ci est issue d’une famille juive d’Alsace de la grande bourgeoisie. Elle s’est impliquée, avec sa cousine Louise Weiss, depuis 1914, dans les œuvres d’assistance aux populations évacuées et déplacées dans le Nord et plus particulièrement dans le département de la Somme avec la création de 14 centres du même type. Nous apprendrons par la suite que Marguerite Javal et Madame Pierre Goujon participent aux mêmes soirées mondaines et charitables dédiées aux œuvres.

L’œuvre du Secours d’urgence est le pendant français du Comité américain pour les régions dévastées (CARD) basé à Blérancourt dans l’Aisne. Des liens entre les infirmières américaines du CARD et Mlle Grange ont existé de par leur proximité mais aucun document ne permet de l’affirmer. Aux Américaines s’ajoutent les Suisses de l’Union internationale de secours aux enfants dont le délégué le Dr Weber-Bauler rencontre Marguerite Grange par l’entremise du directeur des secours  au ministère des régions libérées. Le docteur suisse visite donc les institutions créées pour l’enfance en compagnie de Mlle Grange et de la rectrice de Lille. Ainsi, notre infirmière est au cœur du vaste élan de solidarité mis en place pendant et après-guerre auprès des populations dépourvues de tout.

Cette œuvre, dirigée à Roye par Marguerite Grange, abrite des consultations prénatales et de nourrissons, une goutte de lait, une petite maternité et un foyer dispensaire où se trouve une bibliothèque. Le tout est installé dans des baraquements en bois.  Le règlement intérieur du foyer est strict et quasi-militaire. Là encore, ses talents d’organisatrice et de dirigeante sont déployés.

Sur la même période, elle entre en relation avec les Éclaireurs de la France dévastée pour organiser des camps d’enfants financés par des organisations philanthropiques américaines. A Roye, elle contribue, avec Maurice Bourse responsable de 25 éclaireurs à l’organisation de camps pour les enfants encadrés par des jeunes membres de l’Union chrétienne des jeunes gens Elle poursuivra son engagement dans le mouvement des éclaireurs de France, d’obédience laïque, car elle recevra en 1929 l’insigne de gratitude par le commissaire national des éclaireurs de France. 

Le 18 février 1921, elle est nommée à l’ordre de chevalier de la légion d’honneur. « Femme de devoir avant tout, elle a su dans des circonstances critiques s’imposer à l’admiration de tous et s’est conciliée l’affection et le respect d’un nombreux personnel placé sous ses ordres » précise le journal officiel. Étienne Goujon (fils) reçoit un message manuscrit du cabinet du ministère de la guerre lui demandant de prévenir directement Mlle Grange et cet interlocuteur lui demande de se rappeler à son bon souvenir. Plusieurs télégrammes  conservés la félicitent de cette décoration dont celle de l’amicale de la 315ème et de « ses scouts » de Roye.

Surintendante des cités des chemins de fer du Nord

C’est toujours à Roye, au cours de l’année 1919, qu’elle a rencontré Raoul Dautry alors ingénieur en chef de la Compagnie en visite dans la région pour mesurer les destructions et préparer la reconstruction des chemins de fer du Nord. Il est « impressionné par son action au sein des secours d’urgence » et la sollicite pour organiser et superviser les œuvres sociales de la Compagnie. Sans être recrutée immédiatement, elle contribue à créer des centres d’œuvres dans certaines cités cheminotes notamment celle d’Avion près de Lens. Elle est aussi impliquée sur la cité de Longueau pour la création du dispensaire d’hygiène infantile inauguré en 1922 en présence du Dr Calmette, inventeur de la vaccination contre la tuberculose (BCG). Cette cérémonie d’ouverture est immortalisée par les actualités Pathé. Elle rejoint Paris en juin 1923, en qualité de surintendante des cités. Son bureau est situé 18 rue de Dunkerque à Paris le siège de la Compagnie.

À la sortie de la Première Guerre, le réseau du Nord est dévasté et les cités déjà existantes sont à reconstruire. Raoul Dautry avec l’appui et les autorisations du ministère des travaux publics lance la reconstruction des cités du Nord et de nouvelles cités voient également le jour. Le programme de reconstruction est géré directement par la Compagnie en parallèle avec la reconstruction des lignes, des infrastructures, des ateliers, dépôts et gares. De 1919 à 1922, plus de 6 000 maisons en dur sont édifiées et 4000 en bois. 12 000 agents, soit 60 000 personnes en comptant les familles sont logés au sein de ces cités à la fin de 1922. Le tout-à-l’égout est installé et les logements sont tous équipés d’un poêle-cuisinière dans la pièce principale. Les bâtiments servant aux équipements collectifs sont pourvus d’un chauffage central.

La grève de 1920, précise Georges Ribeill, « avec ses révocations par milliers puis l’obtention du statut la même année, qui en en instituant des commissions paritaires avec les délégués, donne des leviers d’action importants aux élus : ce sont notamment les commissions de notation et d’avancement du personnel, les conseils de discipline, etc. Les délégués deviennent des avocats du personnel et l’adhésion syndicale relève de la souscription à une sorte de mutuelle de garanties et secours professionnels ».

C’est dans ce contexte de reconstruction et de forte présence syndicale que Marguerite Grange se voit confier la mission de créer et gérer les œuvres sociales des cités de la Compagnie du Nord dont les actionnaires sont des membres de la famille Rothschild. Les dames d’œuvre bénévoles sont remerciées progressivement pour faire place à un service social professionnel voulu et inspiré par Raoul Dautry.

Dès son arrivée, Marguerite Grange multiplie les créations d’équipements médico-sociaux sur l’ensemble des cités du Nord et suit attentivement ces installations. Elle recrute du personnel social au sein des écoles de service social et d’infirmières pour les faire fonctionner.

À l’œuvre dans les « cités modèles » 

L’administration des cités est conceptualisée par Raoul Dautry et un comité de gestion des cités du Nord est créé, composé de quatre personnes, la surintendante Mlle Grange et trois représentants des activités ferroviaires – la traction, l’exploitation et la voie-. Ce comité a pour fonction de « gérer les questions d’ordre général, de stimuler les initiatives, d’apaiser les discordes et de distribuer les crédits d’entretien ». Au sein de chaque cité de plus de cinquante logements, un conseil d’administration réunit trois représentants de la Compagnie et un élu pour 50 ménages. Par exemple, à Tergnier, le CA est composé de 27 membres. Un budget de 60 francs par maison est attribué. La surintendante se déplace très régulièrement lors de ces conseils qui fonctionnent sur le mode des conseils municipaux. Selon les cités, les représentants syndicaux CGT ou CGT-Unitaires participent à ces élections où ils sont très majoritaires. Le modèle de la cité où la lutte des classes a disparu au profit d’une collaboration… semble être une vision peu réaliste. Cependant, les fédérations syndicales ne rejettent pas totalement ce « service aux ordres » décrié dans certaines tribunes syndicales. Ainsi, Georges Ribeill nous relate qu’en 1927, les délégués du personnel auprès du directeur, autant de la CGT que de la CGT-U, reprochent à la direction de ne pas assez faire de publicité sur l’œuvre du service social. Écoutons-les : « La délégation serait désireuse que l’existence du service social en question soit d’une façon ouverte portée à la connaissance du personnel qui, très souvent, serait aidé au cours des adversités qui peuvent survenir ». Une déclaration commune des deux organisations regrette le peu de publicité accordé aux œuvres sociales et rendent un hommage appuyé à notre surintendante : « Mlle Grange apporte, en effet, tant de dévouement, de tact, dans un rôle humanitaire et social s’adressant à tous les cheminots habitant en cités ou non qu’il est éminemment désirable que chaque cheminot sache qu’il trouvera auprès d’elle, avec une entière discrétion, l’appui moral et souvent matériel lorsqu’une crise grave bouleverse son foyer ». Leur présentation du rôle de la surintendante reprend le discours officiel de la direction : « Il faudrait (…) que les cheminots sache que la sollicitude du Service social de Mlle Grange s’étend à l’agent, à sa femme, à ses enfants, au point de vue santé morale et physique, qu’elle fait examiner les enfants, les femmes d’agents dans les dispensaires, qu’elle les dirige et même les accompagne auprès des médecins spécialistes qualifiés, qu’elle facilite l’admission dans les hôpitaux, qu’elle les place dans les sanatorium, qu’elle oriente les enfants vers des carrières en harmonie avec leurs capacités, qu’elle les place en apprentissage, qu’elle trouve du travail pour les femmes, les filles d’agents,  etc. ».

Dans un autre registre et à l’initiative de Marguerite Grange, la Compagnie des chemins de fer du Nord s’associe avec la municipalité de Valencienne et la chambre de commerce du département pour procurer une activité rémunérée aux femmes d’agents.  Marguerite Grange prend soin d’aller étudier l’enseignement de la dentelle en Belgique, et elle écrit même à plusieurs reprises au préfet sur ce sujet pour lui demander son appui. Un comité provisoire de patronage et de propagande est formé le 20 mars 1926 et une association est créée à son initiative « la Société de la renaissance de la dentelle de Valenciennes » dont l’objet cité au journal officiel du 11 février 27 est limpide « donner à la femme une occupation lucrative et intéressante, lui permettant de ne pas quitter son foyer ». Raoul Dautry, présent aux réunions, soutient cette  opération qui sera fêtée par « une soirée de gala »  qu’évoque le Grand écho du Nord en citant « l’active et si gracieusement serviable Mlle Grange ». De même, Madame Goujon participe au comité de patronage et à la soirée. Il est donc créé des cours à la cité des cheminots de Valenciennes, où est inculquée la technique du point par une ancienne élève de l’école de Bruges. Près de 80 femmes d’agents suivent cet enseignement  et contribuent ainsi aux revenus des ménages. Ces activités « domestiques » relèvent bien d’un choix : maintenir ces femmes de cheminots au sein du foyer dans un registre traditionnel adapté aux conditions particulières des salariés du rail, ainsi qu’aux besoins des compagnies.

Professionnalisation et développement

Dès sa prise de fonction, Marguerite Grange devient membre du comité central de l’Association des travailleuses sociales (ATS) créée en 1922 avec notamment Mlles de Gourlet, Hardouin, Delagrange et Furster, toutes responsables d’œuvres. Cette association au-delà de son but « de grouper des femmes qui consacrent leur vie à l’hygiène, l’éducation et l’assistance sociale »  et « de constituer un centre d’étude sur le travail social » est un formidable lieu d’entraide professionnelle  avec temps de formation, réunions amicales, repas et visites d’établissements.  Dès lors, notre dénommée « surintendante des cités du Nord » se sent pleinement « sociale » et collabore aux initiatives des pionnières du service social. Ainsi,  Elle adhèrera au titre des œuvres sociales de la Compagnie à la Fédération des centres sociaux dès 1927 qui réunit Marguerite Javal, du Secours d’urgence, Apolline de Goulet de l’école d’assistantes sociales de Levallois, Marie-Jeanne Bassot de la résidence sociale de Levallois et l’abbé Violet, fondateur d’une école de service social. Elle participera également en 1930, à la section sociale du Redressement français, animée  par Georges Risler  Président du Musée social. Elle y retrouve Mlles Javal et Bassot avec Mlles Diemer et Jacob de l’école des surintendantes et le commissaire national des Eclaireurs unionistes M. Guérin-Desjardins. Ce Redressement français est un groupe financé par des industriels ; il souhaite « rassembler l’élite et éduquer les masses » et devenir « un laboratoire d’idées » notamment sociales pour les gouvernants.

Cependant, centrée sur ses œuvres ferroviaires, Marguerite Grange recrute des assistantes sociales pour les cités et les grandes gares. En 1923, elle ouvre 14 consultations de nourrissons, 4 jardins d’enfants et 11 cours d’enseignement ménager. En 1929, trois assistantes sociales la secondent pour créer et gérer ces activités, dont son adjointe Mlle Benjamin qui fut auparavant assistante sociale au Service social hospitalier. Elles seront, à son départ du service  en 1940, plus de 35 assistantes pour toute la région Nord complétées par trois surintendantes et sept infirmières visiteuses auxquelles il faut ajouter les monitrices d’enseignement ménager, les jardinières d’enfants, les bibliothécaires et des moniteurs de centres de vacances pour enfants et apprentis.

Pour les enfants, Mlle Grange a ouvert en 1923 la maison de Saint Pol-sur-Mer près de Dunkerque qui accueille chaque année 600 enfants et dont l’animation et la direction sont confiées à des étudiantes en service social de France et de Belgique. Les activités sportives inspirées de la méthode Hébert sont organisées par les moniteurs adressés par le ministère.  Les apprentis sont également accueillis sur certaines périodes. Ces accueils d’enfants et de jeunes apprentis se font avec une surveillance médicale appuyée. M. Grange multiplie les démarches pour acquérir d’autres domaines et châteaux dont notamment celui de Condé l’Escaut, puis finalement aménagera en 1930 la maison de Crouy-sur-Ourcq en Seine et Marne et le centre de Montdidier près d’Amiens qui réunira en juin 1939 la fête des apprentis SNCF. Elle se rend aussi régulièrement à Étrembieres en Haute Savoie où fonctionne un établissement sanitaire de la Protection mutuelle des cheminots. Elle sera chargée en 1935 par l’ensemble des compagnies de transformer cet établissement qui deviendra par la suite une propriété de la SNCF et accueillera des enfants.

Membre de la délégation française à la Conférence internationale de Service social en juillet 1928, elle y retrouve Raoul Dautry, nommé quelques mois après directeur du Réseau des chemins de fer de l’État. Lorsque  Suzanne Umbdenstock sera devenue directrice des services sociaux du Réseau de l’Etat en mars 1929, elle lui prodigue ses conseils tout en participant aux premières réunions de ce service. Enfin, elle contribue, lors de l’exposition internationale de Paris en 1937, à la présentation des œuvres sociales des compagnies exposée au palais des chemins de fer. Elle était déjà présente à celle de Bruxelles en 1935 et en 1939 elle participera  à la présentation des services sociaux de la SNCF lors de l’Exposition sur le Progrès social de Lille et Roubaix.

Elle publie en 1938 un article dans la revue médico-sociale et de protection de l’enfance sur « les œuvres de grand air et colonies de vacances de la région Nord de la SNCF ». Cette revue est dirigée par Madame Getting et Mlles Hardouin et De Hurtado qu’elle connait bien depuis une quinzaine d’années et les débuts de l’ATS. Elle y dresse un panorama complet des actions et réalisations menées pour l’enfance en insistant sur le rôle essentiel du service social sur les questions de l’enfance et de la famille. Elle conclut cet article en formulant un vœu pour ce qui semble les futurs cheminots de demain : « ces enfants, hommes et femmes en conserveront une empreinte heureuse. Les ayant voulu sains et robustes, ils apprécieront alors les efforts qui ont été faits pour eux ». Elle rappelle que « ces bonnes journées passées en commun sera un constant enseignement et un lumineux souvenir ». En somme, il s’agit de préparer les futures générations de cheminots, eux-mêmes habitués aux conditions de vie de leur père et, par l’enseignement ménager de former les jeunes filles au rôle traditionnel de gestionnaire du foyer.

En septembre 1939, Marguerite Grange est détachée au ministère de l’armement lorsque Raoul Dautry en est nommé ministre. Elle rejoint alors Robert Garric, appelé  par Dautry pour diriger le service social de l’Armement. Elle est chargée de l’organisation et tout particulièrement du recrutement de 120 assistantes sociales ce qui porte leur nombre à 150 en 1940. Elle travaille avec Hélène Vialatte qui fut directrice de l’école des surintendantes nommée à Toulouse et Bertie Albrecht exerçant à St Etienne. D’une « exigence parfois sévère », elle reçoit en décembre 1939 avec Robert Garric, les 80 assistantes nommées à qui elle tient un discours sans fioriture : « Dans cinq ans, quand la guerre sera finie, je vous donnerai une pleine année de vacances, jusque-là n’interrompez pas l’effort. Avec une grande largesse d’esprit et le souci de respecter scrupuleusement les susceptibilités, vous vous devez entièrement à votre tâche ». Le 16 octobre 1939, forte de son expérience et dans la continuité de la pensée de Dautry,  elle délimite les territoires d’intervention de ses assistantes sociales : « Son rôle est d’aider la famille ouvrière. Elle est pour celle-ci une amie qui ne cherche jamais à s’immiscer dans des questions dont la dignité ouvrière pourrait être blessée. Elle remplit son rôle avec discrétion. Elle donne des conseils d’hygiène et s’efforce d’enseigner l’économie ménagère (…). Dans certains cas, par des interventions auprès des chefs, elle peut atténuer des difficultés ». Cependant, elle précise : « l’assistante ne s’occupe jamais du domaine particulier des relations entre chefs et ouvriers »et conclut : « l’assistante peut contribuer à empêcher une certaine démoralisation ».

Le 16 juin 1940, cette parenthèse à l’Armement achevée, elle revient à la SNCF et bénéficie, en juillet 1940, d’un ausweis, délivré par les autorités allemandes d’occupation, lui permettant de circuler sur la zone nord « interdite ». Elle accepte, à la fin de l’année 40, un poste au Service central du personnel à la Direction générale de la SNCF dont nous ne connaissons pas précisément la mission. Son adjointe, Mlle Benjamin, lui succède jusqu’en 1944 où celle-ci part organiser le service social de la Caisse de prévoyance SNCF. C’est alors Gabrielle Lavoine qui devient en juin 1944 l’assistante sociale principale de la région Nord et reprend l’essentiel des fonctions de Marguerite Grange. La dénomination du poste abandonne le titre de surintendante des cités. Peu de sources documentent la période de l’occupation, son rôle dans l’organisation nouvelle des services sociaux SNCF et sa nouvelle fonction à la direction générale. Elle prend sa retraite en 1945 et se consacre à sa famille et à ses amis. Elle s’est éteinte le 28 février 1965, à l’âge de 93 ans, dans une maison de retraite à Montmorency dans le Val d’Oise.

Cette femme d’autorité, dont les qualités indéniables de dirigeante se sont affirmées et révélées dans les circonstances difficiles de la guerre et l’après-guerre devient la première « sociale » professionnelle au sein des compagnies de chemin de fer. Évoluant auprès de populations meurtries, elle reste néanmoins intégrée dans un réseau relationnel bourgeois et impliquée dans des multiples initiatives sociales. Elle sera bientôt rejointe par des dizaines de femmes propulsées dans un monde ouvrier et masculin pour mener à bien la politique d’action sociale de la Compagnie ; certes respectueuse des concepts des ingénieurs sociaux  et des rôles traditionnels, elles s’affirment déjà comme des professionnelles à la compétence reconnue et d’une autonomie d’action sans commune mesure avec celles de la plupart de leurs contemporaines.

SOURCES : Marie-Françoise Charrier et Élise Feller, Aux origines de l’Action sociale, Érès, 2001 — Georges Ribeill, « Cultures d’entreprise : le cas des cheminots, des compagnies à la SNCF », Cultures du travail, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1989. — Laurent Thévenet « Les assistantes sociales du chemin de fer, Émergence et construction d’une identité professionnelle 1919/1949 » sous la direction d’André Gueslin, 1997. — Archive privée, Rosine Bloch-Michenaud. — Archives SNCF, œuvres sociales et services sociaux, Le Mans. — Archives SNCF, dossiers du personnel, Béziers. — Archives nationales, Fonds Raoul Dautry, 307 AP. — Fonds du réseau Baden-Powell, Cédric Weben. — CEDIAS-Musée social. — Fonds cheminots du CCE GPF SNCF. — Fonds Rails et Histoire. — Centre de documentation ETSUP. — Centre de documentation ENS. — ANMT – Fonds de la Compagnie des chemins de fer du Nord 48 AQ. — Archives départementales de la Somme, KZ 1614, 1701 et 2124. — Archives départementale du Cantal, Fonds Robert Garric, 419 F. — BNF – Gallica.

Laurent Thévenet