Jeanne Thro, diplômée infirmière visiteuse, a été fondatrice du service social rural de l’Indre, où elle a créé un centre social. Elue vice-présidente de l’ANAS à son congrès de fondation en 1944 elle a poursuivi sa carrière professionnelle à la CAF de la Cote d’Or puis à l’UDAF du Nord.

Jeanne Thro est née au Perreux sur Marne, au domicile familial 70 boulevard d’Alsace Lorraine, le 22 février 1904. Son père Pierre Edmond Thro, âgé de 38 ans, était confiseur et sa mère Marie Stéphanie Delange, âgée de 28 ans, était « sans profession ».

Elle entreprend des études d’infirmière visiteuse à l’Ecole des Infirmières d’Hygiène Sociale des Facultés Catholiques de Lille, elle est diplômée en 1932, puis devient monitrice dans cette école jusqu’en 1936. Parle-t-elle de sa situation personnelle quand elle déclare : « ces jeunes filles faisaient parfois figure d’aventurières dans leurs familles scandalisées : c’est à l’insu de leurs parents qu’elles venaient se présenter. Quel brio et quelle bonne humeur et que d’honorables succès devant le jury unique du diplôme d’Etat qui se passait à Paris. » (Y.K 1980 p. 63) ?

Au vu des personnes (Garric, Sangnier) qu’elle cite comme inspirant le service social, elle se situe dans la mouvance catholique, ce qui sera confirmé dans ses écrits postérieurs sur le service social rural de l’Indre.

En mai 1936 , à la demande de « personnalités de l’Indre » la décision est prise de créer, sous la direction de Jeanne Thro, une association : le Service social rural de l’Indre,  constituée le 9 aout 1936. Son objectif est de « grouper ceux qui sur le plan départemental sont intéressés au milieu rural : organisations professionnelles , mutualités agricoles, Assurance et Allocations familiales, et, sur le plan local, autorités municipales et usagers » Ce service social est fondé sur l’entraide mutuelle et la participation personnelle. Dans la brochure éditée en 1942, cette modalité d’intervention est précisée :

« On se proposa, en premier lieu, d’éviter cette forme d’assistance qui, ne s’attachant guère qu’à donner des secours, multiplie les simples quémandeurs, trop souvent les mécontente, ou les déçoit, et n’incite que peu à l’effort personnel. Ne valait-il pas mieux fonder le travail social sur l’entr’aide mutuelle et la collaboration personnelle ? C’est pourquoi il fut décidé que les services rendus ne seraient pas gratuits et qu’en seraient les bénéficiaires les membres adhérents »

Et elle présente ce qu’elle estime être les « exigences spécifiques » du service social rural :

s’adapter à la structure du village, du bourg, à toute sa hiérarchie sociale, s’y enraciner doucement, sans heurts ni secousses;

maintenir et renforcer les richesses psychologiques et sociales de la campagne, notamment: la dignité paysanne, l’union familiale, l’entr’aide villageoise, et se bien garder de les amoindrir par des orientations malencontreuses, ainsi que risquent de le faire, avec les meilleures intentions, l’assistance au sens que nous avons dit plus haut ou un paternalisme maladroit. Atténuer au contraire l’aspect assistance du service social et insister sur son caractère d’amitié. »

Quatre mois après la fondation du service social rural, un centre social était créé le 1er octobre 1936 dans la commune d’Ardentes (Indre) « une jeune assistante de l’Ecole de Lille, par ailleurs monitrice d’enseignement ménager m’y accompagnait » Avec cette jeune assistante, Jeanne Thro parcourt le terrain : « On imagine avec quelle ardeur et quelles curiosités nous partions à bicyclette par les chemins vicinaux pour faire connaissance avec les gens, les fermes, les terrains, les cultures, les bestiaux, avec quel appétit nous écoutions les cultivateurs, la fermière, parleur de leurs travaux, nous visitions leurs installations. »

Une des premières activité du Centre social fut la création de cours de soins familiaux aux malades et de secourisme. Pus l’activité est développée : soins aux malades, hygiène sociale, assistance sociale, services collectifs d’éducation, travail à domicile. En 1937, cette dernière activité est structurée : « Service coopératif rural d’aide familiale » avec un atelier de lingerie. L’année suivante, en 1938, une camionnette équipée pour la pesée des nourrissons est mise à disposition du centre social pour la visite des familles isolées, des salles sont mises à disposition par les municipalités. En 1940, grâce à l’apport de réfugiés , quatre postes sont créés. Un cours « Education familiale des jeunes filles » est créé formant à la coupe et à la couture, aux soins des malades, aux danses régionales et au chant. 

Pour orienter les petits « avant que les mauvais plis ne soient trop marqués » le Service social de l’Indre, « dès le lendemain de l’Armistice » le Service social rural de l’Indre groupe les enfants d’âge scolaire. En 1941, elle orient ces enfants vers les mouvements ≪ Cœurs Vaillants≫ et ≪ Ames Vaillantes≫ ou pré-jaciste (JAC jeunesse agricole chrétienne). Cette action aboutit, en novembre 1941, à la fondation de douze groupes ≪ Cœurs Vaillants ≫ et ≪ Ames Vaillantes ≫, affilies au Service Fédéral de l’Enfance Rurale de l’Indre. Dans la même période, du fait de la présence, parmi ses nouveaux cadres, d’un assistante sociale spécialisée, le service social rural la met à la disposition du Tribunal de Châteauroux en Janvier 1941, et participe, à la constitution d’une Association ≪ La Protection de l’Enfance et de l’Adolescence≫ le 2 avril 1941. Et en 1943 est fondée l’école d’assistantes sociales de l’Indre dont elle est directrice jusqu’en 1948. En 1943, significatif de son appartenance au catholicisme social elle est vice-présidente de l’UCSS (Union Catholique des service de santé et services sociaux.

Le 9 décembre 1944 Jeanne THRO est l’une des 80 assistantes sociales de l’assemblée qui fonde l’Association Nationale des Assistantes Sociales Diplômées d’Etat (ANASDE). A cette assemblée de fondation elle est élue, au côté de Ruth Libermann élue présidente, vice-présidente de la nouvelle association. Elle sera réélue à ce poste de vice-présidente lors des assemblées générales annuelles qui suivront, jusqu’à l’assemblée de Marseille en 1950.

Dans cette période qui a suivi la Libération Jeanne Thro, investie dans le centre social d’Ardentes (Indre) , participe à certaines des activités de la Fédération des Centres Sociaux de France (FCSF). Présente à la journée internationale des Settlement, organisée par la FCSF à Paris le 25 septembre 1947, elle y expose son expérience des centres sociaux de l’Indre : « Mlle Thro [directrice du service social de l’Indre] expose comment au Service social rural de l’Indre on a organisé des Comités d’usagers qui participent maintenant, financièrement aussi, à la vie des Centres et dans lesquels sont représentés toutes les parties de la population : les bourgeois, catholiques modérés, M. le Curé, M. le Maire, les instituteurs, les représentants de la CGT, etc. » Elle participe à l’Assemblée Générale de la FCSF le 22 juin1948. Elle publie, dans Informations Sociales n° 15 d’aout 1948, un long article présentant les centres sociaux et, surtout, soulignant leur intérêt dans le contexte des années qui ont suivi la Libération : « Ce qui cause encore, je crois, l’attraction vers le centre social, c’est peut-être ce qu’il y a d’essentiel dans les années que nous traversons, à savoir le désir des usagers de participer à la gestion de leurs propres services. Nous connaissons tous les réactions des associations familiales, des syndicats vis-à-vis du Service social, et nous savons que les masses populaires tendent actuellement à diriger elles-mêmes leurs Services sociaux. Un centre social de quartier ou de village, c’est justement quelque chose qui est à la portée d’une association familiale, d’un Comité local, et qui peut donc être effectivement géré par ses propres usagers. »

C’est cette même thèse qu’elle soutien au sein de l’association « Action Populaire » , créée par l’ordre des jésuites en 1903, et, surtout dans un article publié en février 1949 dans la revue Droit Social « Le service social devant les structures nouvelles » : « Or, depuis 1945, un mouvement nouveau, né dans les classes populaires, s’est répercuté rapidement dans la législation organisatrice de services sociaux nouveaux : rejetant l’aide tutélaire de la grande bienfaisance, la classe ouvrière, dans l’intense prise de conscience de sa valeur collective et de ses responsabilités nationales qui l’anime, réclame la gestion des services sociaux dont elle est usagère et, en de larges secteurs, elle tend à substituer l’entre ‘aide du milieu organisé à l’intervention directe des assistantes. Les masses travailleuses accédant par leurs élites, tant sur le plan familial que sur celui de la profession, à leur majorité sociale, rejettent, par un puissant réflexe collectif, jusqu’à l’ombre du paternalisme bourgeois ou patronal – la démocratie entre largement dans nos organismes sociaux »

De 1948 à1951 elle est assistante social chef à la CAF de la Côte d’Or. Et elle poursuit sa carrière professionnelle en effectuant une formation au case-work à l’ l’École Paul Baerwald (Versailles), dans le cadre de la promotion 1951-1952. A l’issue de cette formation, elle écrit, dans Informations Sociales de janvier 1953, un article « Méthodes de service social aux États-Unis », dans lequel elle définit le case-work et détaille avec précision la formation reçue : « essayer de faire sentir et comprendre les éléments essentiels et vivants du case-work tels que nous les avons sentis, vécus et compris en le pratiquant. »

De la CAF de la Côte d’Or elle passe en 1954 et jusqu’en 1957 à l’UDAF (Union Départementale des Associations Familiales) du Nord où elle exerce dans le service de prévention de Lille créé par l’UDAF  puis elle poursuit au  PACT (Protection, amélioration, conservation et transformation de l’habitat) de Roubaix. Dans cette ville elle prend la responsabilité, du 1er novembre 1958 au 31 avril 1959, du Centre familial Carpeaux à Roubaix (un centre social). C’est à ce titre qu’elle participe à l’assemblée générale de la FCSF du 27 juin 1958.

Elle décède à Saint Cannat (Bouches du Rhône) le 17 septembre 1989 Jeanne THRO à l’âge de 85 ans.

Henri PASCAL février 2024

Sources :

-Extrait de naissance Mairie Le Perreux

-Archives ANAS

-Archives recherche Y. Knibiehler au CEDIAS et livre « Nous les assistantes sociales » Aubier Montaigne 1980

-Brochure « Le service social rural de l’Indre » 1945 32 p. Edition Le Laboureur

-articles de Jeanne THRO dans Informations Sociales et Droit Social

– Notes Jacques Eloy