Jeanne Simone Lalouette est née à Tours où son père, René Lalouette, âgé de 29 ans, est employé de commerce ; sa mère Maria Liza Zoé Lamoureux, épouse Lalouette, âgée de 26 ans, est également employée de commerce. Le couple demeure 66 rue Nationale à Tours, adresse de Georges Lamoureux, frère de Maria Lamoureux, négociant, présent lors de la déclaration de naissance. Sa scolarité se poursuit jusqu’au brevet élémentaire qu’elle obtient, puis, dans le cadre de cours libres, elle obtient le Diplôme d’Etude Supérieure de Lettres. Dans sa jeunesse, elle a une activité dans le scoutisme, activité qu’elle poursuivra jusqu’à sa trentaine d’année. En 1933 elle devient cheftaine. Les références qu’elle présente à l’École normale sociale sont des personnalités du scoutisme : le chanoine Antoine Louis Cornette, aumônier général des Scouts de France et le général George Tabouis, commissaire de la province de Bretagne.

Après une première année effectuée à l’École d’action sociale de Levallois-Perret, au cours de laquelle elle effectue un stage à la Résidence sociale de Levallois et un autre à la Maison sociale de Saint Denis, elle est admise à l’Ecole Normale Sociale le 8 octobre 1937 à l’âge de 35 ans. Elle est célibataire, de religion catholique, en externat. Son parent le plus proche est son père, demeurant 12 rue de la Paix à Nantes. Au vue des appréciations de l’Ecole, elle est « intelligente, énergique et dévouée » ; elle a su intégrer son expérience de scoutisme dans la formation elle a « l’habitude de l’action ». Mais aussi elle est conduit sa formation selon ses choix comme le souligne son appréciation de 1re année « a tendance à diriger son travail selon ses vues personnelles » ainsi que celle de 2e année « se plie difficilement aux obligations non choisies personnellement ». Son mémoire, présenté en 1937, est intitulé : « Le service social en France. Sa technique. Ses tendances actuelles. Les moyens d’action dont dispose l’assistante de service social. »

Son stage probatoire se déroule du 6 novembre 1937 au 21 mai 1940 au Service social près le Tribunal d’instance de Nantes. En même temps elle est monitrice à l’Ecole de service social de Nantes où elle mobilise les étudiantes pou réaliser les enquêtes comme l’affirme le juge d’instruction chargé des mineurs : « En novembre 1937, à la demande du même juge d’instruction, l’Ecole d’assistantes sociales mit l’une de ses monitrices à la disposition du Tribunal pour assurer, avec l’aide d’élèves assistantes, les enquêtes sociales près le Tribunal. C’était Jeanne Lalouette » Son activité est très appréciée par les instances judiciaires. Ainsi, dans une lettre du 23 avril 1938 adressée à l’ENS, le Parquet de la Cour d’Assise de la Loire Inférieure et du Tribunal de Nantes déclare : « Dans l’exercice de ses fonctions Mlle Lalouette a fait preuve d’une connaissance certaine des questions d’ordre juridique qui se posaient et d’une parfaite compréhension des solutions à apporter aux cas qu’elle avait à examiner. Les enquêtes sont complétés et menées dans la célérité désirable ». Et, à la fin de son stage probatoire, on peut lire dans « Avis fourni par le service employeur » daté du 21 mai 1940 : « Mlle Lalouette a véritablement créé auprès du Tribunal d’Instance de Nantes, dès 1937, un véritable service social judiciaire » ; elle « a acquis auprès des juridictions une notoriété de meilleur aloi et une autorité indiscutable […] ses enquêtes sont nettes, complètes et font preuve d’une recherche constante des solutions les meilleures ».

À l’issue de son stage probatoire en mai 1940, elle intègre la Société de Patronage de Nantes dont l’activité traditionnelle est l’aide aux détenus libérés. C’est dans cette période que le président de la Société propose d’élargir l’activité en direction de « l’enfance malheureuse ». Pour cela il a fait appel à Jeanne Lalouette dont les enquêtes « « ont été aussi un moyen d’action unique pour une femme particulièrement convaincue de sa mission sociale de lutte contre la délinquance et l’enfance malheureuse tout en dotant Nantes et sa région de l’infrastructure administrative nécessaire à son rayonnement. » Au printemps 1941, voulant l’informer de la situation de la jeunesse à Nantes Jeanne Lalouette contacte le Secrétariat général à la Jeunesse qui est chargé « de toutes les questions ressortissant à la direction de la formation des jeunes ou concernant les associations ou groupements, les œuvres de caractère moral, social ou artistique créées par la jeunesse ». A l’issue de ce contact elle est en relation avec un chargé de mission du Secrétariat, Yves Le Guen, qui l’informe des projets gouvernementaux sur l’enfance délinquante. De ces informations Jeanne Lalouette élabore un projet pour ce que pourrait devenir la Société de Patronage : « une véritable organisation départementale de la protection morale des enfants et des jeunes, comprenant un triple service : un Service de dépistage et un Service Social scolaire (contrôle des absences, dépistage des enfants malheureux, moralement abandonnés ou difficiles (correction paternelle) ceci en liaison avec les Assistantes familiales (Caisses de Compensation, Centres sociaux, etc..) ; un Service de surveillance de la rue (vagabondage des enfants, mendicité des enfants, propreté morale des étalages, affiches…) ; un Service de consultation de neuropsychiatrie infantile, soit permanentes (Nantes où il fonctionne déjà très activement depuis 1936, Saint Nazaire) soit intermittentes (Ancenis, Châteaubriand , Paimboeuf).

Une assistante sociale, aidée par des auxiliaires sociales, des élèves stagiaires en assurerait la direction, aidée en cela par une secrétaire.

La Société assurerait aussi un service de triage par le Service social près le Tribunal pour enfants de Nantes Saint Nazaire, des enquêtes sociales demandées par les Juges d’instruction, le Parquet ou le Président d’un Tribunal sur les mineurs délinquants, vagabonds ou difficiles (correction paternelle) ; des enquêtes encore sur les familles déficientes (assistance éducative, déchéance paternelle) ou dissociées (garde des enfants de divorcés ou de séparés). La direction serait assurée par une assistante sociale, aidée par une auxiliaire sociale, des élèves stagiaires et une secrétaire. »

Signe de sa notoriété sur la ville, en mai 1941 Jeanne Lalouette est nommé conseillère municipale dans la municipalité Gaétan Rondeau, maire de mai 1941 à octobre 1942. Elle fait partie de la commission Affaires diverses et instruction publique et de la commission Travaux Publics.

L’année suivante elle intègre le bureau de la Société de Patronage dans la fonction de secrétaire générale. En cette année 1942 le service social près le Tribunal pour enfants est composé de trois assistantes sociales : outre Jeanne Lalouette il y a Mlles Tanguy et Mabit. En 1943, suite aux bombardements de Nantes du 16 septembre, le siège social de la Société de Patronage est transféré, jusqu’en septembre 1944, à La Verrière à Mauves-sur-Loire, maison appartenant aux parents de Jeanne Lalouette. Le 23 mars 1944, elle participe à la réunion constitutive de l’ARSEA de Bretagne. En juin 1945 des assistantes sociales des services sociaux auprès des Tribunaux des cinq départements bretons se réunissent et appellent tous les services sociaux auprès des Tribunaux à se concerter pour étudier leurs problèmes communs, Jeanne Lalouette est présente à cette réunion. Peu après elle quitte Nantes pour Versailles, « pour des raisons familiales » non précisées, il semblerait qu’elle y rejoint sa mère ; au moment de sa mort elle réside à la même adresse que sa mère 67bis rue du Maréchal Foch. Dès son arrivée à Versailles elle fonde un service social auprès du Tribunal. Le 3 décembre elle participe, ainsi que 125 assistantes sociales issues de 55 services, à la réunion fondatrice du Comité de Liaison et d’Etudes des Services Sociaux près les Tribunaux ; elle est élue secrétaire générale de ce Comité, présidé par Mme Guichard, Mlles Leydier (Montpellier) et Pourcel (Rennes) sont vice présidentes et Mlle Gain (SSE Paris) trésorière. L’année suivante lors de ses journées d’études, les 3 et 4 octobre 1946, le Comité de Liaison prend le nom de Comité d’Entente des Services Sociaux près les Tribunaux. Dans sa réunion du 18 février 1947, le Comité d’Entente décide de devenir une association déclarée sous le nom de Fédération Nationale des Services Sociaux près des Tribunaux de France et de l’Union Française et il est fait appel au professeur de médecine de Montpellier Robert Lafon, psychiatre ; Jeanne Lalouette est maintenue au poste de secrétaire générale. Elle sera maintenue à ce poste après l’assemblée générale statutaire de 1948. Au dire du professeur Lafon, Jeanne Lalouette était « la véritable animatrice de la Fédération ». Elle est réélue au même poste à l’assemblée générale de Montpellier quand la Fédération devient la Fédération Nationale des Services Sociaux Spécialisés de Protection de l’Enfance et de l’Adolescence en Danger. C’est au titre de cette Fédération qu’elle est nommée au Conseil Supérieur de Service Social, par le décret du 23 septembre 1950, où elle sera remplacée, après son décès, par Mlle Fauconnet.

Après la Libération, son activité ne se limite pas au champ de la protection de l’enfance. Le 9 décembre 1944, elle est élue au bureau de l’ANASDE (Association Nationale des Assistantes Sociales Diplômées d’Etat) lors de la constitution de cette association professionnelle. Les années suivantes, de 1945 à 1949, lors des assemblées générales de l’ANAS, elle est constamment élue au bureau national. Au bureau national 20 avril 1945, elle propose de mettre en place « une recherche sur l’armement et l’outillage de la France pour tout ce qui concerne l’enfance inadaptée ». Le bureau national ne suivra pas cette proposition, beaucoup trop investi, quatre mois après sa création, dans la mise en place et le développement de l’association.

À la réunion du bureau national de l’ANAS du 11 janvier 1947, quelques mois après la loi du 8 avril 1946 rendant obligatoire le diplôme d’Etat pour exercer, Jeanne Lalouette propose « d’établir 3 sections dans les Ecoles de Service Social :

  • une première section dite de recrutement simple ; elle serait destinée à la formation des assistantes sociales telle qu’elle a été jusqu’ici envisagée ;
  • une seconde qui recevrait les candidates ayant entrepris déjà des études universitaires (droit, médecine) qui ont besoin d’une formation pratique de Service Social ;
  • une troisième destinée aux auxiliaires ayant déjà la pratique du Service Social et ayant déjà la pratique du Service Social et pour qui il faut organiser une instruction théorique. »

Elle affirme aussi qu’au-delà de « la formation de l’assistante sociale débutante » il faut aussi étudier « un autre aspect de la question, c’est celui de l’effort du Service social vis-à-vis des Sciences sociales » et « lance alors l’idée d’un Institut de recherches pour le perfectionnement des assistantes sociales ».

Le 13 novembre 1950, lors de son retour de Paris, elle décède en gare de Versailles Rive droite lors d’un accident de train.

SOURCES : Archives ANAS – Archives ENS – Site Scoutopedia – Site Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l’enfance et de l’adolescence en danger, Histoire de la Fédération résumé réalisé par Jacques Le Petit à partir du texte de mademoiselle Françoise SEVIN membre depuis 1948 et Présidente d’Honneur de la FN3S – M. Konrat et F. Abbad, Surveiller et éduquer sans punir 100 ans d’histoire 1988-1988, Chinon, Graphic-Rivoire, s.d. – Mathia Gardet et Alain Vilbrod, L’éducation spécialisée en Bretagne 1944-1984 les coordinations bretonnes pour l’enfance et l’adolescence inadaptées, Rennes, Presses universitaires de Rennes coll. « Histoire », 2007. – Pascale Quincy-Lefebvre, « Une professionnalité sociale dans le champ judiciaire : la place des assistantes sociales dans la justice des mineurs avant 1958 » RHEI Revue d’Histoire de l’enfance irrégulière n° 12, novembre 2010, p. 41-63 – LAFON Robert 1980 Et si je n’avais été que psychiatre Montpellier ACTIF, 515 p.

Henri Pascal