Il a fallu plusieurs années pour que les actions de sauvetage de patients juifs et essentiellement des enfants, menées par Claire Heyman, assistante sociale, à l’hôpital Rothschild, pendant l’Occupation, soit connues. C’est surtout à partir des témoignages d’enfants devenus adultes que l’histoire de cet établissement et de l’héroïsme de certains de ses acteurs a pu être exposée au grand public. Les circonstances de ces mises à l’abri peuvent être qualifiées d’exceptionnelles compte tenu de la qualification particulière de cet hôpital désigné comme hôpital-prison et annexe du camp de Drancy.
Ce qu’on sait de la famille de Claire Heyman, c’est qu’elle est la fille de Roger Heyman, qui fut prisonnier de guerre (14-18) et d’Adèle Heyman née Dennery qui réalisa l’exploit de lui rendre visite dans son camp en Allemagne. Derrière les photos retrouvées dans les papiers personnels, après la mort de Claire Heyman, on ne peut lire que les mots de « papa » et de « maman ». Pas de date ni d’indications supplémentaires. Claire Heyman, née le 14 octobre 1902 à Roubaix, est issue d’une fratrie de cinq enfants : Pierre, soldat de la Grande Guerre et titulaire de la Croix de Guerre. Il fit carrière dans la banque et ne s’est jamais marié. Etienne, agent de change, a d’abord fuit à Marseille suite aux persécutions juives. Il s’installe ensuite avec sa famille dans la région toulousaine où il restera quelque temps avant de revenir à Paris. Fanny qui décède, à 10 ans, d’une diphtérie, ce qui marquera à jamais la famille et Claire, en particulier. Jacques, le dernier, plus en retrait de ses frères et sœurs, est désargenté. Avec son épouse, il est pris en charge par sa famille et par Claire dont il est proche. Tout le monde se retrouve régulièrement dans la propriété familiale dans la petite commune d’Audresselles, non loin de Boulogne-sur-Mer. Claire y accueille également les enfants de cercle amical et familial plus éloigné pour lesquels elle organise de nombreuses sorties et activités.
Avant d’être assistante sociale, Claire est dessinatrice en tissu. Le travail des textiles restera une activité qu’elle affectionne particulièrement et qu’elle exploitera plus tard avec les patients. En fait, elle est diplômée « auxiliaire sociale » de l’Ecole des surintendantes et n’a pas pu poursuivre ses études pour présenter une certification complète de l’action sociale. Selon les sources, on apprend que Claire Heyman est tour à tour infirmière, auxiliaire et assistante sociale.
Ses activités à l’Hôpital Rothschild :
Elle y entre en 1934.
Propriété de la famille Rothschild, l’hôpital du même nom est placé sous séquestre en qualité de bien juif. S’il continue à fonctionner, il n’empêche que les dépenses de fonctionnement de celui-ci doivent être drastiquement limitées pour réduire au plus près les soins qui pourraient être apportés à la population juive.
A partir de décembre 1941, les premiers patients issus des camps d’internement et des rafles arrivent dans l’établissement. A ce moment, il règne une relative indépendance d’activités de la part du corps médical, labellisée par les Préfecture de Seine et de Police. Mais la situation se dégrade rapidement car la police exige le retour rapide des malades à Drancy d’autant que de nombreuses évasions de l’hôpital ont eu lieu. De nouvelles mesures sont mises alors en place : trois bâtiments sont réservés au seul accueil des internés et raflés juifs ; un rideau de barbelés est élevé autour de la bâtisse et toutes les portes extérieures sont condamnées ; plus de sorties dans les jardins ; la surveillance est renforcée, à la fois par la police mais aussi par la Gestapo ; les visites sont suspendues. Il est de plus en plus impossible que des colis et effets personnels soient transmis aux malades ; le personnel est tenu pour responsable des évasions. Patients et personnels peuvent être, à tous moments, transférés à Drancy. D’emblée, il faut savoir que les Allemands font admettre des internés malades dans l’objectif de les « remettre sur pieds » afin qu’ils soient « transportables » et que ne soit pas mis en péril les quotas précis des personnes à déporter.
En dépit de ce contexte fortement répressif, certains professionnels feront montre d’un courage et d’un dévouement sans faille. C’est un véritable réseau de sauvetage qui se met peu à peu en place, rendu très dangereux pour deux raisons essentielles : la taille restreinte de l’hôpital qui complexifie la clandestinité des actes et le fait que l’équipe de soins, restreinte, elle aussi, comporte des membres acquis à la cause des Allemands. Les personnels sont plus ou moins clivés entre ceux qui portent l’étoile jaune et ceux qui, non juifs, ne sont pas soumis à l’ostracisme de l’Occupant. Dans cette atmosphère de tension permanente, agir en faveur des patients juifs est une opération parfois désespérée. Néanmoins, tous les moyens sont bons pour retenir les internés pour qu’ils ne retournent pas à Drancy, voire même de les exfiltrer de l’hôpital et notamment les enfants.
C’est autour de Claire Heyman (Tata Claire ou Claire) que s’organise une véritable filière de protection principalement à l’adresse des enfants. En lien avec Annette Monod, assistante sociale de la Croix-Rouge, elle se procure des faux papiers pour les patients israélites pressentis pour être sauvés. Elle parvient également à subtiliser des tampons de police, obtient des surplus de tickets de rationnement de la Mairie du XIIème et constitue une véritable constellation de caches dans des institutions diverses et chez des particuliers. Par ailleurs, grâce à Fanny Jekilover, téléphoniste, Claire Heyman sera prévenue, chaque fois que cela sera possible, de l’arrivée imminente de la Gestapo ou de la visite impromptue des médecins de Drancy. Mais Fanny Jekilover sera arrêtée et assassinée à Auschwitz. Il arrive aussi que Claire Heyman provoque des incidents faussement disciplinaires pour faire diversion et détourner ainsi l’attention de la police afin de faciliter certaines évasions. Ce qui lui vaut une arrestation et des interrogatoires très insistants. C’est une action persistante du personnel de l’hôpital dont dépendra sa libération.
Claire Heyman peut compter sur le Docteur Worms et d’autres médecins comme Colette Brull-Ulmann, pédiatre, qui participe activement à l’exfiltration concrète des enfants, la nuit, pour les conduire conduit dans différentes caches. Colette Brull-Uhlmann parviendra ainsi à sauver plusieurs enfants dans des conditions difficilement imaginables. Claire Heyman tiendra la situation durant toute l’Occupation mais la pédiatre, repérée par la Gestapo, doit s’enfuir. Elle entre dans la clandestinité et se mettra aussitôt au service du renseignement de guerre. Désirée Damengout, surveillante, et Maria Erraruziz, employée comme éducatrice (ou assistante sociale selon les sources),appartiennent également au réseau de sauvetage. Elle a aussi le soutien du Père Kenneth, prêtre irlandais en poste sur Paris.
Le jour de la Rafle du Vel d’Hiv, Claire Heyman analyse rapidement la situation de danger extrême dans lequel se trouvent les patients. Il y a essentiellement des personnes âgées, voire même grabataires, des mères avec des jeunes enfants, des femmes enceintes et des enfants seuls. Elle comprend vite que la déportation concerne effectivement l’ensemble de la population juive et non pas les membres qui sont capables de travailler en Allemagne comme on a bien voulu le faire croire. L’assistante sociale doit faire face à l’émotion de l’équipe suscitée par la situation tout en l’entraînant dans la nécessité urgente d’agir. Elle risque sa vie, elle le sait mais, selon le livre de Colette Brull-Ulmann, « qui pourrait la soupçonner, elle, l’assistante sociale de Rothschild, souriante, calme et sans histoires ?. »
La surveillance gestapiste est féroce. Dannecker, chef du camp de Drancy, visite l’hôpital Rothschild et s’acharne à faire sortir les malades même les plus gravement atteints. Toute opposition est objet de violence de sa part. Il n’hésite pas à malmener le personnel qui tenterait une négociation autour du maintien du protocole de soins jusqu’à leur signifier, parfois, leur déportation. Sur ses ordres, régulièrement, des cars de police viennent chercher des patients désignés pour retourner à Drancy. Chaque fois que cela est possible, ceux-ci sont soustraits à leur départ par le réseau de sauvetage de Claire Heyman, au prix de tous les dangers. Par ailleurs, prévenue par le directeur de l’orphelinat de la rue Lamblardie de la situation de santé précoccupante des enfants, elle s’apprête à les accueillir à l’hôpital. Mais les camionnettes de police sont déjà arrivées et les forces de l’ordre arrêtent les enfants et les personnels pour les transfèrer à Drancy. Le réseau de sauvetage de Claire Heyman ne peut malheureusement plus agir. Rappelons que les trains de déportation doivent être impérativement remplie par le nombre exact de personnes
Claire Heyman est désignée, selon les personnes qui l’ont côtoyée, et notamment Jacques Demery, comme une femme d’exception qui n’aurait pas hésité à sacrifier sa vie. Sophie Grand-Jouan, sa petite-nièce, la qualifie de silencieuse, modeste et fidèle aux vivants, taisant ses activités pendant l’Occupation. Elle cite sa grande-tante : « j’ai fait mon devoir. L’important n’est pas de la faire mais de le distinguer. » Elle ajoute que Tata Claire a passé ainsi sa vie à aimer. Ses talents de dessinatrice ont été aussi mis au service des enfants dont elle avait la responsabilité. Selon le témoignade d’Isabelle Dupont du Riveaille, elle est surmonnée la « bonne fée » qui éclaire les relations humaines, traversée par une sensibilité artistique. Elle fait du bricolage textile qui guidera les activités manuelles des enfants chaque fois qu’il est possible d’égayer le quotidien des petits protégés. Toujour selon ce dernier témoignage, sans enfant, elle « insuffla l’amour aux enfants des autres tout en leur apprenant la différence et le respect de celle-ci. »
Mais sa santé va se dégrader peu à peu et l’obligera à s’installer dans l’hospice juif, non loin de l’Hôpital Rothschild où 50 ans avant elle avait sauvé tant d’enfants. Elle s’éteint en 1997.
Personne ne sait combien d’enfants ont été épargnés d’un sort funeste. Claire, très discrète, n’en n’a jamais fait mention. Elle ne parlera que très rarement de la guerre et son appartenance au réseau « Plutus » où on lui attribue le grade de sergent. Insensible aux distinctions, elle refuse la Légion d’Honneur mais accepte la Médaille de la Résistance et accepte d’être Chevalier de l’Ordre de la Santé Publique.
En 2015, Jean-Christophe Portes réalise un documentaire « Les enfants juifs sauvés de l’Hôpital Rothschild ». On y découvre les témoignages d’anciens patients de Tata Claire et celui de Colette Brull-Ulmann. Ce court-métrage rend ainsi hommage à cette assistante sociale dévouée, sans limite, à la cause des enfants.
C’est en 2017 qu’est inauguré le parvis de l’hôpital qui prend les noms de Claire Heyman et Maria Erraruziz. Le 18 novembre 2022, l’un des quatre bâtiments anciens de l’hôpital portera également son nom. De même que ceux des petites Céline et Danielle Gradsztjen que l’équipe, en dépit d’efforts désespérés, n’avait pas réussi à soustraire à la cruauté des Allemands.
VAHA Isabelle mars 2023
Sources :
. Témoignage de Colette Brull-Ulmann de 2015 jusqu’à son décès en 2021.
. Témoignages de Régine Lippe, cousine de Céline et Danielle Gradsztjen à partir de 2015.
. Rencontre avec Jean-Christophe Portes en 2015.
. Lettre de Jacques Dennery, chef d’identification du MUR (Mouvement Uni de la Résistance) du 8 février 1947.
. Témoignage d’Isabelle Dupont du Riveau, fille du pharmacien de l’Hôpital Rothschild
. Brull-Uhlmann, Colette, Les enfants du dernier salut, Paris, Edit. City, 2017.
. Chronique de l’Hôpital Rothschild, Edit. de l’APHP, (date ?)
. Alberman, Claude, Dufourmantelle, Dominique, Lyon-Cahen, Annie, Klarsfeld, Serge, Une juste juive à l’Hôpital Rothschild, Paris, Edit. FFDLF, 2020.
. Courriers personnels.