Née en 1868, Marie Fuster est d’abord enseignante puis milite dans divers mouvements féministes, mariée avec Edouard Fuster en 1900. Après sa rencontre avec l’abbé Viollet et sa conversion au catholicisme, elle devient la directrice de l’École d’action sociale familiale en 1927. Elle représente les écoles françaises au sein du Comité international des Écoles de Service Social.

Marie Fuster fait partie de ces figures exceptionnelles de la « nébuleuse réformatrice », figures particulièrement engagées politiquement à un moment où les femmes n’avaient qu’une place mineure dans la société au tournant du 20° siècle. À cheval entre les sphères de l’enseignement, de l’éducation populaire, du mouvement féministe et de l’action sociale, ayant des réseaux importants au niveau international, elle a joué un rôle de passeuse entre ces mondes.

Elle est née Maria, Emilia, Alphonsine Baertschi en 1868 en Égypte.

La première étape de sa carrière est consacrée à l’enseignement : professeure agrégée, formée à l’École Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses, elle devient enseignante dans des écoles normales de filles, puis dans l’enseignement privé laïque, son caractère franc et insoumis, ses prises de position publiques et son militantisme lui ayant créé des problèmes avec sa hiérarchie au sein de l’Instruction publique qui envisage sa révocation.

Au tournant du siècle, elle s’engage en faveur du combat pour l’éducation des femmes et des ouvriers. Elle figure en 1899 parmi les membres fondateurs de la Société d’étude psychologique de l’enfant, aux côtés de Ferdinand Buisson et de Pauline Kergomard, Inspectrice générale des écoles maternelles, qui devient une de ses amies. Elle figure aussi parmi les premières membres du comité des dames de la Ligue de l’enseignement, fondé en 1901, comité qui se préoccupe particulièrement de l’éducation des filles et promeut la création de patronages laïques. On la retrouve parmi les sociétaires du Conseil National des Femmes françaises, association laïque et pluriconfessionnelle qui incarne un féminisme réformiste d’origine philanthropique éloigné des suffragistes vues comme plus radicales. Devenue secrétaire générale de la section « éducation » du CNFF, Marie Baertschi s’exprime notamment en faveur de l’équivalence entre le baccalauréat – alors apanage des études masculines – et le diplôme de fin d’études des filles pour permettre aux femmes d’accéder à l’enseignement supérieur. Elle porte aussi son attention sur les conditions de vie des femmes dans les milieux ouvriers. Ainsi, elle est investie aux côtés de Julie Siegfried dans une association philanthropique de tendance féministe intitulée le « Cercle du travail féminin », son mari en étant le Secrétaire général, cercle qui adhère en 1902 au CNFF. L’association se donne pour objectif de venir en aide aux ouvrières en leur fournissant un lieu de repos et de sociabilité dans lequel sont organisés causeries, conférences, cours et échanges de livres.

Fervente dreyfusarde, proche à la fois du protestantisme libéral et des militants socialistes, elle entre en 1900 dans le conseil d’administration de la Société des Universités populaires (UP), participant à l’organisation de onze UP dans Paris et en banlieue, en étant « la muse » selon Daniel Halévy.
Elle considère ces UP comme des « œuvres sociales et culturelles » permettant la rencontre entre le peuple et les intellectuels, selon une démarche qu’elle expose ainsi en 1900 : l’université populaire repose sur « l’effacement de l’intellectuel devant l’ouvrier qui doit choisir pour lui-même ses conférences et diriger son éducation suivant ses besoins ». Cette conception la conduit à en être bientôt une observatrice critique. Si le mouvement périclite assez vite, c’est selon elle parce que le cycle des conférences proposées n’a pas assez de cohérence d’ensemble, mais aussi parce que les UP sont trop souvent à l’initiative d’intellectuels, loin, donc, des préoccupations ouvrières.

Marie Baertschi et Édouard Fuster se sont semble-t-il rencontrés dans ce cadre des UP. Ils se marient le 23 août 1900. Si Marie est issue d’une famille où elle a été élevée en dehors de toute religion et si elle fait personnellement profession de libre-pensée – elle adhère à l’Union des libres-penseurs du quatorzième arrondissement de Paris – Édouard est quant à lui un protestant très croyant. Mais il est, comme elle, un républicain convaincu de l’importance de l’éducation populaire et très engagé sur les questions sociales.

Mais, alors que Marie Fuster était considérée comme « trop laïque » au tournant du siècle, elle se convertit au catholicisme en 1915, à 47 ans. Elle fait la connaissance de l’abbé Viollet. C’est le point de départ de la seconde et dernière étape de sa carrière qui sera consacrée au service social et à son enseignement. Elle devient directrice de l’École d’action sociale familiale du Moulin-Vert qui s’ouvre en 1927, prenant le relais des transformations successives de la toute première école de l’Abbé créée en 1908 sous le nom d’École Libre d’Assistance privée.

En 1929, Marie Fuster est désignée par le comité d’entente des écoles de service social comme représentante de la France au comité international des écoles du travail social. Sa maîtrise des langues (anglais, allemand et italien), ses relations amicales avec Alice Salomon ont sans doute joué. C’est par son intermédiaire et celui de son mari qui a d’importants réseaux en Allemagne, qu’Alice Salomon a été consultée lors de l’élaboration du diplôme d’Etat d’assistante de service social en 1932. A. Salomon est en effet la pionnière du développement des écoles de service social en Allemagne et est très engagée dans le développement et l’internationalisation de la formation au service social. Edouard Fuster a d’ailleurs été désigné par le ministre pour présider la commission chargée de proposer un projet de diplôme. Il est professeur au Collège de France, titulaire de la Chaire Prévoyance et assistance sociales. Il a participé à la création de l’Ecole pratique de service social en 1913 avec le Pasteur Doumergue.

Décrite par ses élèves de l’École d’action sociale familiale comme une enseignante exceptionnelle, Marie Fuster fait une nouvelle fois preuve de son caractère iconoclaste en faisant étudier à la fois des textes de Marx et de Sangnier, fondateur du Sillon, mouvement condamné par le Vatican. Elle participe aussi activement, ainsi que son mari, à l’introduction en France du Case-Work, théorisé aux États-Unis par Mary Richmond en recommandant l’ouvrage de celle-ci à ses élèves. Marie est globalement « jugée par les élèves comme une femme extraordinaire, d’une intelligence et d’une sensibilité remarquable, très ouverte. Elle leur disait  »rappelez-vous que vous ne savez rien, mais j’espère que je vous ai appris à apprendre » » (B. Bouquet).

L’investissement de Marie Fuster dans l’enseignement du service social l’amène à s’intéresser de près aux effets de la crise des années 1930. Ainsi, on la retrouve parmi les représentants français lors de la troisième conférence internationale du service social qui se tient à Londres du 12 au 18 juillet 1936. Elle a alors 68 ans. Elle intervient en tant que directrice de l’École d’action sociale familiale sur la question de l’assurance chômage dans le contexte de la crise économique en France. Max Lazard, un des fondateurs de l’Association internationale pour la lutte contre le chômage et professeur de sociologie dans plusieurs écoles de service social, ami du couple Fuster, qui rédige le rapport général, écrit d’elle qu’elle a « plaidé, sinon pour une révolution, au moins en faveur d’une profonde réforme morale et sociale ».

Marie Fuster a laissé en 1937 une contribution assez exceptionnelle dans la brochure du comité d’entente des écoles françaises de service social qui rend compte de son congrès en vue de préparer la réforme annoncée du diplôme. Le chapitre –le seul portant sur la formation- qu’elle signe en tant qu’ « ancienne Directrice de l’Ecole Sociale d’Action familiale » – elle vient de prendre sa retraite – peut être lu comme un véritable manifeste des écoles soucieuses de montrer et défendre leur spécificité à l’égard des écoles d’infirmières, au moment où se profile le retour du modèle médico-social finalement écarté en 1932 et qui sera retenu par la nouvelle réforme du diplôme en 1938. En même temps, ce texte donne à voir ce que nous pouvons considérer sans aucun doute comme la conception commune de la formation professionnelle du couple Fuster tant leurs formulations sont proches. Marie Fuster insiste sur l’importance de relier les savoirs académiques à l’exercice du métier, l’école professionnelle devant se préoccuper de l’emploi que vont en faire les assistantes, ce que ne fait pas l’université. Elle rappelle l’arrêté du diplôme d’Etat de 1932 qui, pour chaque matière énoncée, ajoute la formule « dans ses rapports avec le Service social ».

En revanche, considérant que le métier est un « art », elle accorde une place centrale à la démarche méthodique d’enquête, de diagnostic et de plan d’action qui « ne peut s’enseigner que dans nos écoles sociales par le double jeu des stages pratiques au dehors et des discussions, comptes-rendus de stages, cercles d’études auxquels ces stages donnent lieu, au-dedans ». Ceci afin de pouvoir « pénétrer jusqu’au fond d’un cas » et d’apprendre aux élèves à se prévenir de « jugements trop hâtifs ou superficiels ». D’autant, ajoute-t-elle, que cette formation relève également d’une « éducation morale et sociale » car « la plupart de nos élèves sortent d’un milieu bourgeois » et sont pétris de préjugés à l’égard du peuple qui leur interdit d’imaginer que l’on puisse penser autrement. Elle rappelle alors la finalité du service social : « guider et soutenir », ce qui nécessite d’adopter une attitude particulière à l’égard de la personne suivie : « au lieu de chercher à lui imposer de gré ou de force ce qu’on pense soi-même, on ne songe qu’à la libérer de ses entraves pour l’amener à être pleinement elle-même ».

Comment cette ancienne dreyfusarde, militante de l’esprit critique, réagit-elle face à la montée des totalitarismes et à l’installation du régime de Vichy ? L’absence de sources après les années 1930 rend malheureusement difficile toute hypothèse. Mais il est probable que la mort de Marie Fuster en septembre 1942 survient, pour une si fervente démocrate, au milieu d’une grande désillusion.

SOURCES : Marie Fuster, « La formation au service social », in Comité d’entente des écoles françaises de service social, Quelques aspects du service social, 1937, p. 79-87. – Brigitte Bouquet, « École d’action sociale familiale », Vie sociale, n° 1-2/1995 – Mélanie Fabre, « Marie Fuster, une intellectuelle et une éducatrice au service du progrès social », Les Études sociales, n° 167-168, 2018/1-2.

Mélanie Fabre et Patrick Lechaux