Née en 1898, après avoir travaillé comme clerc de son  père notaire durant la première guerre mondiale, Hélène Naegelen s’engage dans le syndicalisme féminin catholique et intègre la Congrégation Notre Dame du Travail. Entrée comme étudiante à l’Ecole Normale Sociale elle en devient assez rapidement directrice. En 1942 elle est arrêtée pour avoir transporté des documents dénonçant la persécution des juifs. Adhérente de l’ANAS dès sa création, elle dirige l’ENS jusqu’en 1962.

Hélène Naegelen est née le 5 mai 1898 à Héricourt  (Saône et Loire), ville dominée par l’industrie textile : en 1900 il y a 2300 métiers à tisser et 58 000 broches à filer tournent actionnés par plus de 2000 ouvriers. Son père est notaire, l’étude se trouve au rez-de-chaussée et l’appartement familial est au 1er étage, au 2e est l’appartement du PDG de l’usine. Il y a une filature derrière l’usine qu’Hélène pouvait voir de la fenêtre de l’appartement familial « on voyait les ouvrières travailler avec le torse presque nu tellement il faisait chaud en été ». En 1903 dans toute la région, les ouvrières et ouvriers du textile se mettent en grève, ils sont réprimés par la troupe. Bien plus tard, à l’âge de la retraite, Hélène raconte quelques souvenirs de cette grève, survenue alors qu’elle avait cinq ans :

« Alors, en 1903, j’ai entendu le hurlement de la foule quand on la chargeait, quand la troupe chargeait et un ouvrier a été empalé à la baïonnette au fond d’un couloir. (…) Alors on a entendu ce cri de la foule quand elle a vu que ça devenait sérieux ; et puis ensuite, la foule remontant, refluant en masse très serrée sur un petit chemin étroit, encaissé, entre des murailles assez hautes. À ce moment-là on nous a ramené, ma mère et moi, à travers champs, pour retrouver une rue tranquille. Et ça marque un enfant, je crois, jusqu’à la fin de mes jours j’entendrai ce bruit de cette foule, cette houle, ce mouvement qu’on ne peut pas traduire. »

En 1914 tous les clercs de son père sont mobilisés, elle les remplacera auprès de son père, âgé et fatigué, jusqu’en fin de l’année 1921. Le travail est assez intense et les horaires particulièrement longs : notaire « Mon père et moi nous descendions à 8 h du matin jusqu’à midi, on reprenait le travail à 2h quelquefois 1h ½ jusqu’à 6h, 6h 1/2 et puis à 8h du soir on redescendait à l’étude jusqu’à 11h ½, minuit, une heure du matin. » À cette fonction de clerc de notaire s’ajoute l’aide à sa mère malade.

En 1922 elle quitte Héricourt pour Nancy où elle commence des études de droit. Assez rapidement elle s’engage  dans ce qu’elle nomme « l’action sociale chrétienne féminine ». En 1926 elle est très active : elle assure le secrétariat des syndicats catholiques féminin, tient des permanences, prépare des dossiers. C’est cette activité qui décidera la CFTC, en 1969, à lui accorder une médaille de reconnaissance. En 1927 elle participe à des cercles d’études animés par l’abbé Girard : un cercle d’étudiantes, un cercle de professionnelles et un cercle de « jeunes filles de la société ». C’est à la suite de ces cercles d’études qu’elle intègre, en septembre 1928, la congrégation Notre Dame du Travail et part à Paris pour participer à une session intensive de cette congrégation à l’École Normale Sociale (ENS). C’est au cours de cette session qu’elle bascule d’une position d’élève à une position de formatrice :

« Et il s’est trouvé que celle qui était chargée de l’enseignement de la législation du travail entre autres a été rappelé auprès de son père très gravement malade en province et, au pied levé, j’ai fait les cours, si bien que j’ai profité des enseignements qui étaient donnés mais, en même temps, je préparais mes cours et tout. Et chaque fois je me rendais compte que les élèves étaient intéressées parce que je donnais des exemples vécus, c’était vivant… Et c’est ainsi que je n’ai pas été élève. »

De 1928 à 1930 elle poursuit ses activités syndicales à Nancy tout en participant, en tant que formatrice, à l’ENS.

En 1930 elle est nommée directrice technique adjointe, auprès de Mlle Rollet. Elle remplace cette dernière lorsque Mlle Rollet quitte Paris pour Lyon où elle fonde l’École de Service Social du Sud Est. En tant que directrice technique elle participe aux travaux du Comité d’Entente des Écoles Françaises de Service Social, travaux qui aboutiront, en 1932, au diplôme d’État de service social. L’arrêté ministériel du 25 avril 1933 désigne les six écoles qui sont appelées à mettre en œuvre le nouveau diplôme. L’ENS est l’une de ces six écoles, les cinq autre sont : l’Ecole Pratique de Service Social  (Paris), l’Ecole Sociale d’Action Familiale (Paris), l’Ecole de l’Association des Surintendantes d’Usines et de Services Sociaux (Paris), l’École d’Action Sociale (Paris) et l’École de Formation Sociale (Strasbourg). L’ENS se donne clairement comme objectif de travailler « à l’amélioration des structures sociales » Dans une note dactylographiée, datant du 7 septembre 1932, l’ENS définit ainsi le rôle du service social : « Le but du Service Social n’est pas de donner l’aumône aux misérables comme la sœur de charité, ni de soulager les malades ou les souffrants comme l’infirmière : ces objectifs, beaux et nobles, et toujours nécessaires dans une action, sont atteinte par les œuvres d’assistance, de charité, nettement distincts des œuvres sociales. Le Service Social tend à obtenir la marche normale de la société sur des bases vraies, l’ordre social, et non pas à soigner les misères qui résultent d’une Société mal organisée ». C’est pour défendre ce positionnement que l’ENS avait créé, en 1922, l’Association des Auxiliaires Sociales, dans le but de regrouper les anciennes élèves catholiques des écoles sociales, en opposition à l’Union Catholique des Services de Santé et Services Sociaux (UCISS) qui prônait le rapprochement du sanitaire et du social.

En 1933 elle devient directrice en remplacement d’Aimée Novo qui s’efface progressivement. Cette même année 1933 elle désignée comme membre fondateur du Comité d’Entente des Écoles Française de Service Social, qui a adopté un statut d’association et en devient secrétaire nationale  En 1935, elle prend la parole à la 5e Conférence internationale catholique de service social, organisée par l’Union Catholique Internationale de Service Social (UCISS). Son intervention traite de « L’enseignement doctrinal du Service Social : Principes immuables, réalités changeantes » Elle développe l’idée de la nécessité d’une formation doctrinale catholique solide en même temps qu’une solide « préparation technique et pratique » au métier d’assistante sociale.

La fusion, en 1938, des diplômes d’infirmière visiteuse et d’assistante sociale est peu appréciée par l’ENS comme l’affirme Hélène Naegelen : « La fusion n’a pas été, en quelque sorte, sans  – le mot douleurs est peut-être excessif – sans regrets de part et d’autre. Chacune avait l’impression de perdre un morceau de son identité. » Peu de temps auparavant elle avait envoyé une note au ministre Sellier préconisant trois formations distinctes (infirmière, infirmière visiteuse, assistante sociale) avec une année commune. Finalement la fusion est mise en œuvre, Naegelen devient secrétaire du Comité d’Entente des Écoles Françaises de Service Social, alors présidé par Mlle de Cuverville, qui était la directrice de l’École du Comité Nationale de Défense contre la tuberculose (Paris).

En mai 1940 l’ENS est partiellement évacuée et s’installe à Angers. Dans le Maine-et-Loire, l’école est mobilisée pour l’accueil des réfugiés. À Paris, Nantes et Angers elle organise une formation d’auxiliaires sociales. De 1940 à 1942, Naegelen fait des allers-retours entre Paris et Angers.  Dès le début de l’occupation, elle se rend plusieurs fois à Lyon qui est en zone libre. Elle a de nombreux contacts avec le milieu catholique de cette ville et avec l’École de Service Social du Sud Est. À un de ses retours de Lyon vers Paris, à la mi-1942, elle emporte des documents sur la persécution des juifs :

« J’avais rencontré à Lyon une personne qui me disait « voilà quelques documents qui pourraient vous intéresser » c’étaient des documents concernant les juifs, le texte légal qu’ils avaient extorqué à Pétain  (…) Je savais que c’était, tout en étant un texte public, ce décret il était secret en ce sens qu’il ne devait pas être publié. J’avais ça, puis il y avait une lettre de protestation du cardinal Verdier au sujet de la persécution des juifs, une lettre encore plus nette de monseigneur Saliège sur la question, qui était à Toulouse à ce moment-là. […] Je disais : “je vais emporter ces trois choses” j’avais fait à tout hasard un petit fond double dans une petite machine. » À Chalons sur Saône, qui était sur la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre, elle est arrêtée, sur dénonciation, par la Gestapo. Elle a la tentation de jeter ces documents dans les toilettes, mais elle y renonce. Ses bagages sont est fouillés mais les documents ne sont pas trouvés. Elle est emprisonnée dans un ancien moulin désaffecté, utilisé comme prison à Chalons, elle est mise en cellule dans l’obscurité. Elle reste dans cette prison pendant six semaines avant son transfert à Dijon pour être interrogée. Durant son transfert elle décide d’adopter un plan de défense : « Au fond je vais dire la vérité. Je vais dire que j’ai ces documents, je suis professeur, j’ai le devoir d’informer, même si je ne peux pas tout dire, c’est à moi à discerner ce que j’ai à dire et ce que je n’ai pas à dire. Les élèves m’avaient demandé auparavant – et c’était très vrai – pourquoi tout à coup pourquoi il y avait des enfants juifs qui étaient dans la rue parce que leurs parents étaient partis.  Donc je devais savoir ça, c’est mon devoir professionnel de directrice d’école de savoir »

À Dijon, où elle est dix jours au secret avec les détenues venant de Chalons-sur-Saône, elle réussit à faire connaitre son arrestation à son frère  et elle apprend qu’elle a été condamnée à quatre mois de prison. Ayant fait appel de cette condamnation, elle est transférée à Troyes où elle passe devant un tribunal allemand qui la condamne à six mois de prison. A la proclamation  de sa condamnation, elle répond au tribunal en proposant de faire son temps de prison durant les vacances scolaires. Sa peine remise à quatre mois, elle est emprisonnée à Troyes avec des détenues de droit commun mêlées à quelques politiques. Et là, elle organise des actions sanitaires et sociales : elle fait des cours de cuisine, recense les besoins des détenues et va négocier avec le directeur de la prison, elle fait de la propagande auprès des détenues pour les carottes  qui leur apporteront des vitamines, elle organise des douches au vinaigre pour chasser les puces et ouvre une bibliothèque avec des livres apportés par le Secours National. Libérée au bout de quatre mois elle se souvient de son action en prison : « j’avais été tellement occupée que je n’avais pas vu le temps passer »

À sa sortie de prison, en 1943, elle s’installe à Angers d’où elle dirige à la fois Paris et Angers. En 1945 elle devient la directrice générale de trois écoles de la mouvance ENS :

  • Paris : section des assistantes sociales 80 rue de Rennes, section des jardinières d’enfant « les Heures Claires » 56 rue du docteur Blanche ;
  • Angers : École normale sociale de l’Ouest section des assistantes sociales, section des jardinières d’enfant ;
  • Bordeaux : École normale sociale du Sud-Ouest section des assistantes sociales, section des jardinières d’enfant.

C’est à ce moment là qu’elle demande un salaire, au moins pour bénéficier de la Sécurité Sociale, et qu’elle obtient 5 000 francs par mois qui, comme elle le dit, « était de l’argent de poche ». Adhérente de l’Association Nationale des Assistantes Sociales Diplômées d’Etat (ANASDE)  elle est déléguée, en 1946,  à son comité national pour représenter la région d’Angers. La même année l’UCISS la mandate pour la représenter à l’UNESCO. A ce titre elle participera à plusieurs assemblées générale de cette organisation. Lors du congrès de l’ANAS de 1948 son intervention développe l’idée que le service social doit prendre sa place dans les nouvelles institutions nées de la Libération : « Si la Service Social sait prendre sa place, il est mieux placé qu’auparavant pour collaborer aux réformes sociales et même les susciter. » Dans cette même intervention elle souligne l’in portance des Comités d’Entreprise qui sont une « forme de participation des usagers à la vie de l’entreprise, aussi bien qu’à la marche du Service Social »Dans le numéro, daté de 1949, de la revue Droit Sociale préparé par l’ANAS elle publie un article sur « La formation des assistantes sociales et ses problèmes ». Elle développe l’idée, sous d’autres mots, de la nécessité  pour la formation des assistantes sociales du savoir faire et du savoir être ; cette formation « vise essentiellement à nantir la future assistante sociale, outre un réel bagage de connaissances précises et diverses, d’une “teste bien faicte” ; à développer en elle – dans l’absolu respect de sa liberté et de sa personnalité propre – une conscience sure et ferme, un jugement sain et droit, une adaptabilité à la fois prudente et audacieuse, aux antipodes de l’opportunisme, un dévouement éclairé et persévérant. Bref à faire d’elle une femme de cœur et de caractère, capable de penser sa tâche. »  En 1949 elle prend la défense des écoles privées de service social qu’elle estime menacées à la fois par la création, après 1945, d’écoles publiques et par l’enseignement technique au moment où l’Ecole Normale d’Apprentissage envisageait de créer une « section sociale ».

Après la nomination d’une directrice à l’École normale sociale de l’Ouest (Angers) et la disparition de l’Ecole Normale Sociale du Sud Ouest, Hélène Naegelen s’occupe à plein temps de la direction de l’ENS de Paris. Elle se soucie de la formation des monitrices de son école. En 1953 elle en envoie deux suivre les cours de « psychologie appliquée au service social » de Myriam David, en 1958 elle envoie Geneviève Morinière, monitrice à l’école depuis 1952, suivre, de 1958 à 1961, la formation au case-work organisé par le Comité National des Écoles de service social. Toujours en 1958 elle conseille à une jeune élève récemment diplômée, Lysiane Saladin, d’aller suivre une formation au service social de groupe aux Etats Unis. Au moment de la séparation, en 1957, du conseil de perfectionnement des écoles d’infirmière et d’assistante sociale en deux conseils l’un pour les infirmières, l’autre pour le service social,  elle est désignée membre du Comité de Perfectionnement  des écoles de service social en qualité de représentante des écoles.

À partir de 1959 Hélène Naegelen est surtout mobilisée pour la construction des nouveaux locaux de l’ENS. Trop à l’étroit 80 rue de Rennes, l’école a besoin d’un plus grand espace. Le lieu choisi est  121 boulevard de Charonne, terrain  qu’elle a choisi et qu’elle a réussi à rendre constructible : « J’ai dû trouver le terrain. Mes connaissances en notariat m’ont permis de faire une opération foncière que la ville n’avait jamais vu pratiquer, avec des échanges de cours communes, des achats. Enfin j’ai fabriqué un terrain constructible alors qu’il n’était pas constructible. »  Les finances de l’ENS s’avère insuffisante pour faire face à la construction de ces locaux  aussi elle « fait la quête pendant six mois »  et réussit à trouver les fonds nécessaires, provenant en partie de subventions publiques. La construction achevée, malade,  elle prend sa retraite de directrice de l’ENS en 1962 à l’âge de 64 ans mais elle garde, jusqu’en 1966,  la direction du foyer des élèves qui était dans les mêmes locaux que l’école, foyer dans lequel elle loge. Dans les années antérieures, au cours de la période où elle était directrice, elle logeait dans son bureau.  Elle va vivre les vingt dernières années de sa vie dans une maison de retraite parisienne tenues par des religieuses. Elle y décède le 21 février 1986.

ÉCRITS : Mlle H. Naegelen directrice technique de l’École normale sociale Paris « L’enseignement doctrinal du Service Social : Principes immuables, réalités changeantes » 5e Conférence internationale Catholique de service social « Rapports généraux » 1935 Secrétariat de l’Union catholique internationale de service social. – Mlle Naegelen, directrice de l’Ecole Normale Sociale de Paris « La formation des assistantes sociales et ses problèmes », Droit social, vol. XXXIV, 1949. – Mlle Naegelen, directrice de l’Ecole Normale Sociale de Paris « L’évolution économique et sociale, son influence sur le Service Social » in « Service Social et technique » 1948 Association Nationale des Assistantes Sociales

SOURCES : Fonds Knibiehler / CEDIAS : témoignage d’H. Naegelen 1979 – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier  maitron-en-ligne.univ-paris1.fr – Institut séculier Notre Dame du Travail. —Feuillets de l’ANAS – SuzanneBoyer, Christine Garcette, « Le Comité d’entente des écoles », Vie sociale, n° 1-2/1995. – Henri Pascal, « Des syndicats féminins au service social : l’École normale sociale (1911-1969) », rapport de recherche CNRS/Université de Provence-Aix-en-Provence, 1983, 173 p. + annexes.

Henri Pascal