Née le 17 août 1877 à Bilbao (Espagne), morte le 28 mai 1963 à Montrouge (Seine, Hauts-de-Seine) ; infirmière puis directrice d’hôpital militaire durant la première guerre mondiale, directrice durant près d’un demi-siècle de l’école de la rue Aymiot : « école professionnelle d’assistance aux malades », qui devint l’école de Montrouge.

Jeanne Élisabeth Octavie Joannis est issue d’une famille alsacienne protestante, de milieu social aristocratique (on parle d’alliance avec la cour Batave néerlandaise). En effet son père est le marquis Léon de Joannis et sa mère Octavie de Dietricht ; son père dirige en tant que directeur l’usine de Diétricht à Mouterhouse en Moselle. Après ses études secondaires au cours desquelles, Jeanne de Joannis obtint le brevet élémentaire, elle suivit pendant trois ans des cours à la Sorbonne, puis partit une année en Angleterre et six mois en Allemagne. Elle y acquit la maitrise de ces langues.

Une orientation para-médicale

En 1899, âgée de 22 ans elle s’oriente vers des études d’infirmière, s’inscrivit à l’Union des femmes de France (branche de la Croix Rouge Française) et y obtint le diplôme supérieur de la Croix rouge en 1903. Puis, la même année, le 21 octobre, convaincue de l’intérêt que présentait la profession d’infirmière et sympathisant avec Gabrielle Alphen-Salavador, fondatrice, elle entra à « l’école professionnelle d’assistance aux malades » 10 rue Amyot, à Paris, première école d’infirmières privée. Melle de Joannis y fit deux ans de scolarité. Le souvenir de ses compagnes donne la description d’une jeune fille, coiffée d’un casque de cheveux blonds, passionnée par la condition de l’infirmière : « Il y a beaucoup de très bons médecins en France mais très peu de très bonnes infirmières ; c’est là qu’il y a le plus à faire » a-t-elle répondu à une de ses collègues qui lui demandait si elle regrettait de ne pas avoir fait médecine. En novembre 1905, Melle de Joannis signa son engagement tout en spécifiant que vu l’état de santé de sa mère, elle pourrait être appelée à quitter l’école sans payer de dédit et alors ne recevraient pas ses appointements

Comme le demandait l’engagement signé à l’œuvre d’assistance aux malades, elle y travailla d’abord en faisant des gardes à domicile ; puis, en 1906, elle fut nommée surveillante à la maison de santé chirurgicale du professeur Hartmann, crée tout autant pour donner des stages aux élèves de la rue Amyot que pour recevoir des malades de classe moyenne ; elle y resta jusqu’en 1913.

Pendant ce temps, elle ne cessa de vouloir se perfectionner. Ainsi, en 1910, elle fit un voyage d’études de 6 mois dans divers hôpitaux. D’une part, elle visita les principaux hôpitaux de Londres, Berlin, Zurich et Lausanne ; d’autre part, elle fit un stage de 4 mois dans les hôpitaux de Londres ; 1 mois dans un hôpital d’Hambourg ; et 1 mois dans un hôpital de Berlin. Enfin, du 1er octobre 1912 à début février 1913, elle travailla à la tête de l’hôpital de Casablanca avec une équipe de la Croix-Rouge, se perfectionnant ainsi dans les soins des maladies coloniales.
Dés 1912, elle crée « l’amicale Amyot « , association des élèves et anciennes élèves, dont elle est élue présidente. Elle conservera ce poste au moins jusqu’en 1949.

Suite à des difficultés rencontrées dans le cadre de l’école, en 1913 (notamment financières), la présidente, Mme Alphen-Salvador ainsi que le conseil d’administration qui estimaient fortement Melle de Joannis, la sollicitent instamment et de façon pressante pour qu’elle prenne la direction de l’école ; elle hésita beaucoup, autant par modestie que par ce qu’un critère primordial à ses yeux, manquait : : celui d’un hôpital-école. Elle n’accepta donc cette direction qu’à la condition qu’il y ait un hôpital annexé à l’école (projet de l’association qui n’arrivait pas à se réaliser), sinon elle reprendrait un autre engagement. Elle prit ses fonctions de directrice au 15 février 1913 avec des émoluments de 3000 frs. Immédiatement elle veilla à adoucir la discipline de l’école, à rendre l’atmosphère chaleureuse tout en s’occupant fermement de la qualité des études et en recherchant activement un terrain en vue de la construction d’un hôpital. Compte tenu de ses qualités, le conseil d’administration demanda qu’elle l’assistât dans ses délibérations.

1914-1918 : un engagement héroïque

A la déclaration de la guerre, toutes les infirmières sont affectées à la Croix Rouge. Estimant qu’il était de son devoir de soigner les blessés au front, Jeanne de Joannis décida d’interrompre ses fonctions de directrice, malgré les objections de son entourage et des administrateurs de l’école. Le 3 aout 1914, dès la mobilisation générale, elle s’enrôla elle-même à la Croix-Rouge pour prendre un poste d’infirmière chef d’équipe. En 1915, elle prend la direction d’un hôpital militaire à Gérardmer (Vosges) et estimant qu’une absence aussi prolongée ne peut que nuire à l’école, elle envoya sa démission qui, le 22 mars 1915, celle-ci fut rejeté à l’unanimité par le conseil d’administration ; il préféra nommer une directrice intérimaire en attendant son retour. Pendant ce temps, suite à une circulaire demandant des infirmières volontaires pour la Serbie, elle partit avec sa sœur et une amie rejoindre l’armée d’Orient en novembre 1915, et y restera jusqu’en 1918 ; elle y sera responsable d’équipe au centre hospitalier de campagne de Guervguélé, n°421, jusqu’au 7 décembre 1915 puis infirmière-major d’un hôpital de 1500 lits à Salonique, et enfin dirigera une ambulance de front en Macédoine.

Elle se fit remarquer par son dévouement et son courage et reçut la croix de guerre avec palmes, la médaille d’or des épidémies, la médaille coloniale du Maroc, la Royal Red Cross (Angleterre), la décoration de l’ordre royal de saint Sava (Serbie) le 10 aout 1917 pour son travail comme infirmière major à l’ambulance n°2 ; plus tard, pour les mêmes raisons, elle fut nommé au grade de Chevallier de la légion d’honneur, le 10 mars 1921 et reçut la médaille commémorative d’Orient le 3 mai 1928.

En 1917, Miss Ann Morgan et Mrs Ann Murray Dicke avaient créé le Comité américain pour les région dévastées (le CARD), installées à Soissons, elles avaient ainsi apporté une aide efficace à plusieurs cantons de l’Aisne qu’elles avaient dotés d’équipements pilotes en hygiène sociale, éducation sanitaire, que les pouvoirs publics devaient par la suite subventionner. Le CARD confie ses services médicaux-sociaux à l’association d’hygiène de l’Aisne (AHSA). L’école de la rue Amyot avait proposé très vite le concours de ses diplômées et y envoya ses élèves en stage. Cette collaboration devint étroite et des liens amicaux et d’estime s’établirent entre Jeanne de Joannis, Miss Morgan et Mrs Murray Dick.

Reprise de son poste de directrice

A la fin de la guerre, à la demande insistante du conseil d’administration, Jeanne de Joannis accepta de reprendre son poste de directrice de l’école de la rue Amyot le 15 mai 1919 et y logea à nouveau à partir du mois de septembre. Mais elle refusa la proposition du conseil concernant l’augmentation de ses émoluments à 5 000 frs.
Outre son appellation de « Mademoiselle », son surnom de « Patronne » intriguait et impressionnait les nouvelles venues. De belle allure, grande, habillée de façon stricte, souvent en bleu-marine avec un col blanc, Melle de Joannis paraissait aux jeunes élèves assez sévère, bien que cette impression était tempérée par la douceur de sa voix.

Lorsque l’école était située Rue Amyot, elle était très proche des élèves dont elle partageait la vie familière de tous les jours, avec sa chienne qui troublait les cours de ses aboiements. A la fin de leur période de probation, lors de la cérémonie initiatrice dite de « la robe rose « , chaque élève défilait dans son bureau, une à une, le cœur battant, mais nulle ne doutait que Melle de Joannis aimait celles qu’elle appelait « ses filles  » et était disponible pour elles.
A Montrouge, midi et soir, Melle de Joannis, alors âgée, prenait ses repas à la table directoriale dans la salle à manger qui réunissaient tout le monde ; à sa table, où elle partageait ses repas avec les monitrices de l’école et parfois un ou deux professeurs venus donner des cours, il y avait toujours une place destinée à une élève ; avant de s’asseoir, Melle de Joannis disait : » Mademoiselle Untel, voulez-vous prendre repas avec nous.  » C’était un moment très délicat, craint par les élèves ! C’est ainsi que Melle de Joannis apprenait à connaitre chacune et à la juger autrement que par les notes obtenues et les rapports des professeurs

Comme Miss Ann Morgan et le CARD avaient la volonté de créer une école supérieure d’infirmières et que le projet d’extension de l’école de la rue Amyot et de construction d’un hôpital était constamment retardé par manque de financements, cette école fut choisie pour devenir la nouvelle école formant cette élite. Sans cette aide, l’école de la rue Amyot n’aurait pas pu continuer à exister. Cependant, il y eut quelques divergences entre les partenaires et pour pouvoir rester directrice, Melle de Joannis dut aller se perfectionner aux Etats unis pendant 5 mois du 2 septembre 1922 à fin janvier 1923. Elle y fut très bien accueillie. A l’université de Columbia de New York, elle suivit des cours de nursing, apprenant les méthodes américaines, comparant sa propre expérience avec celle des Nurses américaines. Elle y apprécia l’enseignement, les modalités de l’articulation théorie/pratique, l’enseignement supérieur dispensé pour celles qui prendront des directions d’hôpitaux. Et surtout, elle put expérimenter combien un hôpital-école permettait une meilleure formation. En 1923, Jeanne de Johannis fait partie du conseil d’administration de l’ASHA qui comportait notamment le Dr Hamilton et Juliette Delagrange.

Melle De Joannis fit des nombreuses démarches faites pour la reconnaissance du diplôme de l’école et pour que le diplôme leur permette d’obtenir des postes dans les dispensaires subventionnés par le comité national Les fonds collectés aux USA par le CARD permirent donc la reprise du projet de construction de la nouvelle école et de son hôpital. Major Julia Simpson, superintendante des nurses de l’armée américaine fit plusieurs séjours de quelques mois en France afin d’en étudier sur place la réalisation. Le gouvernement Français apporta également des subventions. C’est ainsi qu’après bien des déboires et des difficultés financières, la nouvelle école fut construite à Montrouge par des élèves de l’architecte Perret. Enfin, l’occupation générale eut lieu en janvier et l’école de Montrouge fut inaugurée le 20 juin 1932 par le président de la République, l’ambassadeur des États-Unis et le ministre de la Santé. Cependant, l’hôpital- école ne vit jamais le jour, en raison d’un manque de financement…

Jeanne de Joannis se consacra aussi à la progression et à l’adaptation de l’école aux nouveaux diplômes puis à la filière assistante sociale. Elle veilla également à bien insérer l’école dans la commune de Montrouge, où elle organisa un service de service à domicile… En remerciements, le conseil d’administration la nomma administrateur.

Un intense souci de promouvoir la profession d’infirmière

Parallèlement, en raison de ses compétences et de sa grande valeur, Melle de Joannis fut chargée de mission au bureau central des infirmières du ministère de l’hygiène de la prévoyance sociale et effectua des missions d’inspection d’école d’infirmières. Elle fut aussi membre du conseil de perfectionnement des écoles au ministère de la Santé et nommée inspectrice des écoles d’infirmières. Participant activement à l’association nationale des infirmières diplômées d’État (ANIDEF), dont elle est secrétaire générale de 1923 à 1936, aux côtés de Léonie Chaptal, puis présidente après la mort de cette dernière, de 1937 à 1948. Également, nommée Vice-présidente du Conseil National des infirmières de 1937 à 1948, elle participa pendant 8 ans à tous les grands congrès internationaux où elle représentait la France (Danemark en 1926, Genève en 1927, Finlande, Canada, Italie…). Le Conseil international des infirmières l’a nommée vice-présidente, représentante des infirmières d’Europe.

Les récompenses témoignent de son engagement pour la professionnalisation des infirmières. Par exemple, en 1921, elle devint Chevallier de la légion d’honneur en qualité d’infirmière major de l’Uff-Croix rouge ; elle reçoit la Croix de guerre avec palmes ; en 1934, elle est nommée officier d’Académie « pour services rendus à l’enseignement professionnel » ; En 1951, elle est faite Chevallier de la santé publique

Mademoiselle de Joannis prit sa retraite en 1953, après 40 ans de direction, mais comme directrice honoraire, restait logée, présente à l’école et en suivait l’évolution. Durand sa retraite, elle fut souvent malade et notamment pendant l’hiver 1953. Mais à l’école, même alitée » elle en restait l’âme  » dit-on. Elle approuva le projet du Ministère de faire de Montrouge, l’école nationale de service social où des cadres seraient formés et où la recherche serait menée. En 1956, la formation d’infirmière est définitivement abandonnée. L’Institut de Service Social, école pilote en service social, est à ce même moment créé. Elle y mourut le 28 mai 1963 dans sa 84éme année et fut enterrée le 1er juin au cimetière Montparnasse après un service religieux en l’oratoire du Louvre à Paris.

Jeanne de Joannis reste pour tous la personnification de l’école de la rue Amyot, devenue ensuite école de Montrouge. Elle fut à la fois vénérée et crainte. Toute sa vie a été « une lutte constante et patiente pour l’amélioration du sort matériel des infirmières, pour leur perfectionnement technique, pour la création d’une élite d’êtres entièrement consacrés à la vocation, à une nouvelle religion, celle des malades ». En somme, on la retrouve toujours présente et efficace dans tous les endroits importants pour la promotion de l’infirmière et des infirmières-visiteuses. Cependant, elle se préoccupa moins du service social qu’elle considérait comme complémentaire…

SOURCES : Dossier de Melle de Joannis, centre de documentation de l’IRTS de Montrouge – Brigitte Bouquet, « Melle de Joannis », Vie sociale, n° 3-4, 1993 – Évelyne Diebolt, « Jeanne de Joannis (1877-1961) », Revue de l’infirmière, n°161, Juin 2010, p. 45-46. – Wikipédia.

Brigitte Bouquet