À la naissance de Marie Thérèse Vieillot en 1888 son père, normand et architecte, était en charge d’adduction d’eau en Turquie. Sa mère, marseillaise, reprend l’entreprise familiale de construction métallique en 1899, à la mort de son mari pour élever ses quatre filles dont Marie-Thérèse qui a alors 11 ans.

M-T Vieillot fait ses études dans un collège anglais en Turquie et une première année d’infirmière dans une école de la Croix-Rouge d’Istanbul. Elle décide de venir en France en 1912 « pour se débrouiller seule dans la vie ». Elle y poursuit ses études infirmières dans une nouvelle école de la Croix-Rouge et s’inscrit en 1913 aux cours de l’Ecole pratique de service social que vient d’ouvrir le pasteur Doumergue, faisant ainsi partie de la première promotion d’élèves de l’école. Elle dit ceci de cette époque : « En retraçant les faits qui ont amené l’existence de l’Ecole Pratique de Service Social, on s’aperçoit que Paul Doumergue n’a pas été seulement le fondateur de la première école en France, mais aussi le promoteur d’une idée originale : celle d’une préparation nécessaire à l’exercice de la bienfaisance. Cette conception était alors hardie car les notions de profession et de bienfaisance semblaient à beaucoup inconciliables. Aussi est-il curieux de noter que les cartes d’inscription à ces cours aient porté les mentions « Service Social » et « Durée des études : deux ans », que le mot de « Service Social », rejoignant la terminologie étrangère, était inconnu en France, et que, dans aucune École existante, les études ne dépassaient une seule année scolaire. Ce petit carton imprimé est la preuve tangible d’une création authentique ».

Cette année scolaire terminée, elle retournera en Turquie. Mais comme elle le dit elle-même « je n’ai jamais fait du sur-place », et elle reprend le bateau pour la France le 22 juillet 1914. Dès le 6 août, elle est à Nancy dans une antenne chirurgicale de la Croix-Rouge suite à la déclaration de la guerre. Sa maîtrise de l’anglais la conduit à exercer le rôle d’interprète auprès de missions américaines de la Croix-Rouge et de la Fondation Rockefeller dès 1917 et à rencontrer ainsi le Dr Richard Cabot, le fondateur du service social à l’hôpital, et Miss Margaret Curtis avec qui elle va nouer une solide amitié. Cabot et Curtis en particulier vont convaincre Doumergue de rouvrir l’EPSS dès 1915, en vue de préparer l’action sociale d’après-guerre, et soutenir financièrement cette ouverture. Ils permettent également à M-T Vieillot d’obtenir la première bourse d’étude accordée à une Française pour fréquenter en 1920-1921 l’enseignement de service social de l’université de Boston au Simmons Collège of Social Work. Et dès son retour en France en 1922, elle est engagée à l’EPSS comme « directrice des stages pratiques » et enseignante en charge des « cercles d’études », activité qu’elle assure de façon bénévole jusqu’en 1926 où elle devient officiellement salariée de l’EPSS.

Elle y assure un cours de « travail familial » qui devient par la suite « Étude et traitement des cas » dans lequel elle introduit l’étude du « cas particulier » et l’analyse de cas fournis par les services familiaux. On y trouve également la thématique de ce qu’elle appelle «l’éthique professionnelle », première occurrence de cette expression dans la littérature française relative au service social. Elle assure un lien fort avec les monitrices de stages et organise dans le cadre des « cercles d’études » des analyses collectives de l’expérience de terrain des stagiaires.

En parallèle à cette activité pédagogique, elle s’investit dans la création de nouvelles formes du service social : d’abord dès 1922 avec le service social à l’hôpital aux côtés de Mme Getting à la maternité Baudeloque qui est alors la plus importante de France, puis en 1923 avec le « service social de l’enfance en danger moral » dont elle va devenir la cheville ouvrière.

Si la France a engagé en 1912 le développement de Tribunaux pour enfants mineurs sur le modèle des USA et des principaux pays européens avancés, les moyens en vue de réaliser les enquêtes sociales et d’assurer le suivi des décisions de justice n’ont pas été mis en place. C’est Miss Chloé Owings, diplômée de l’université de Washington et travailleuse sociale au sein du service social auprès des tribunaux à New York qui va engager la création de ce type de service en France et entraîner M-T Vieillot dans ce projet. Chloé Owings est en effet enseignante à l’EPSS au début des années 20 et réussit à s’inscrire en thèse de sociologie sous la direction de Paul Fauconnet, ancien élève et successeur de Durkheim, thèse qu’elle consacre à l’approche comparative des systèmes pénaux américains et français et de leurs pratiques de placement des mineurs. Cette thèse qu’elle soutient en 1923 (la première thèse de sociologie sur la justice et le travail social ! ) va être couronnée par un prix, saluée par le président Millerand et les diverses autorités, notamment le juge Rollet qui se bat pour le développement d’une justice éducative des mineurs et a fourni à Chloé Owings ses terrains d’enquête. Il en résulte une mobilisation institutionnelle et financière (avec le couple Spitzer) qui aboutit à l’ouverture du service social en faveur de l’enfance en danger moral en juin 1923. M-T Vieillot, alors directrice des stages à l’EPSS, qui a bien connu le fonctionnement d’un tel service aux USA lors de son séjour récent y est recrutée et sera la seule salariée rémunérée pendant un an. Elle met en place l’équipe en lien étroit avec Olga Spitzer qui, outre le financement apporté par son mari banquier, s’investit avec M-T Vieillot dans le projet institutionnel et professionnel d’un service social visant une assistance éducative. L’équipe est constituée de deux salariées de l’EPSS mises à disposition (Melle Cerf et Miss Horn), de deux assistantes sociales, dont Melle Baïla, d’une juriste, Melle Landry, qui va travailler sur le dossier de reconnaissance d’utilité publique obtenue en 1928, et de Melle Bonis, médecin formée auprès de Théodore Simon, qui implante ainsi la consultation médico-psychologique au sein du service social. M-T Vieillot fait appel à l’Association des Travailleuses Sociales au fur et à mesure des besoins de recrutement, le service connaissant en effet un développement considérable puisque on dénombre huit assistantes sociales en 1927 et 22 en 1932, année où le service s’installe rue du Pot de fer, qui donnera alors son nom au service. Marie-Thérèse Vieillot mobilise également les ressources des élèves de l’EPSS qui viennent pour un grand nombre y faire leur stage (en moyenne 8 par an entre 1923 et 1948), sans compter les stagiaires d’autres écoles à partir des années 1930.

M-T Vieillot y met en œuvre une démarche qui se réfère explicitement à Mary Richmond auprès de qui elle s’est formée au Case Work lors de plusieurs séjours aux États-Unis. Ses différents écrits, abondamment cités dans l’article de la revue Vie sociale qui lui est consacré, mettent en avant l’importance pour elle des principes suivants : une approche la plus exhaustive possible par l’enquête rigoureuse de « l’enchevêtrement des divers problèmes sociaux » au niveau de l’environnement de l’enfant et du fonctionnement de l’enfant lui-même, ceci en vue d’une approche globale -et non « fragmentaire et momentanée » – en prenant soin de repérer « les facultés restées saines sur lesquelles il sera possible d’étayer la réadaptation souhaitable » (p. 418).

Et d’ajouter peu après :

« Il est du devoir de l’assistante de ne pas limiter son action à une des difficultés familiales qui se répercutent toujours les unes sur les autres. Si l’assistante les voit dans leur ensemble et dans leurs rapports, si elle sait les expliquer aux intéressés, et si elle propose des moyens pratiques de résoudre une à une chaque question, alors seulement elle fait de l’action sociale éducative » (souligné par nous).

Elle saisira la première Conférence internationale de service social à Paris en 1928 pour présenter l’originalité du service auprès du Tribunal et montré en quoi il a profondément transformé l’intervention judiciaire, le diagnostic préalable réalisé par l’assistante sociale permettant au juge de prononcer une décision individualisée à finalité éducative. Cette expérience la conduit à prendre conscience, notamment à propos de la criminalité, de l’importance d’un « traitement de longue haleine et très individualisé pour aboutir à une réadaptation durable ». (p 420). Ce qui la conduit à créer en 1929 à Soulins (Essonne) un nouveau type de structure très précurseure pour l’époque, un « Foyer » qu’elle appelle encore un « centre d’observation » en vue de conduire de front sur trois à six mois dans un cadre institutionnel un premier travail de rééducation et d’analyse des possibilités d’assistance éducative à long terme. Ce qui conduit à associer aux premiers professionnels du service (assistantes sociales, psychiatre et psychologue) un instituteur spécialisé dans les méthodes d’Éducation nouvelle ainsi que des « éducatrices » qui vivent avec le groupe d’enfants.

En 1930, M-T Vieillot repart aux USA se ressourcer professionnellement en vue de prendre à son retour en 1931 la direction du Foyer de Soulins à Brunoy dans la région parisienne où elle s’installe et dont elle va organiser la démarche d’ « observation psycho-pédagogique », selon sa propre expression, en vue de dresser un « portrait psychologique » des jeunes accueillis (entre 8 et 16 ans), qui « joint à leur dossier familial, était destiné à éclairer le Tribunal » (422).

En 1932 elle réinvestit l’EPSS assurant le remplacement de la directrice Melle Cremer qui est malade. Elle va alors organiser la mise en œuvre des nouveaux enseignements introduits par la création du diplôme d’état la même année dont elle a dit, ainsi que Juliette Delagrange, que le programme de formation de l’EPSS « servit de base à celui du diplôme d’État ». La commission mise en place par le Ministre de la santé en vue d’élaborer un projet de diplôme était en effet présidé par Edouard Fuster, co-fondateur de l’EPSS avec le pasteur Doumergue, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « Prévoyance et assistance sociales » entre 1905 et 1934, où il assura un enseignement de service social aux élèves de quatre écoles sociales ainsi qu’aux professionnels en exercice du service social.

Elle quitte l’EPSS en septembre 1934 pour un nouveau séjour d’études en 1934-1935 aux USA à l’École de service social de New York où « elle a étudié la collaboration entre toutes les institutions d’assistance sociale dans une ville de 50 000 habitants et l’application des nouvelles lois régissant l’Assistance Publique », selon les termes du Bulletin de l’Association des Travailleuses Sociales dont elle est membre du comité central depuis 1927.

A son retour en 1935, elle prend la direction de l’Ecole de Formation Sociale de Strasbourg qui a été créée en 1921 dans une filiation avec l’EPSS puisque le fondateur Paul Gemaehling, professeur de droit à l’Université de Strasbourg l’a désignée comme « la digne fille de l’école pratique du service social ». Fonction qu’elle assure jusqu’à la déclaration de la guerre en 1939.

Sa fiche d’ancienne élève de l’EPSS indique qu’elle est assistante sociale aux usines d’armement Harlé Sautter, puis dans une compagnie d’assurances la Prévoyance à partir de 1942. La fiche indique « Ministère du Travail » pour 1944 et « sans poste » pour 1945. Elle est décorée à la Libération de la médaille de la Résistance. Entre 1944 et 1949, elle collabore avec l’American Joint Distribution Commitee (AJDC), une organisation caritative américaine, qui participe à la reconstruction des communautés juives d’Europe et du Moyen-Orient, M-T Vieillot travaillant alors avec des spécialistes américains du travail social envoyés en France par cette institution. C’est ainsi que naît le projet d’une École américaine de service social en Europe dont tout naturellement pour l’AJDC M-T Vieillot ne peut être que la Directrice. Mais l’école « Paul Baerwald School of Social Work » ouvre sans elle en 1949 à Versailles, M-T Vieillot ayant préféré – pour des raisons que nous ne connaissons pas – prendre la direction de l’Ecole de Service Social de la Croix Rouge à Rouen. Ce choix surprend d’autant plus qu’elle avait là l’opportunité de développer sa propre conception du service social et de sa formation, dans le sillage de Mary Richmond, sans être dépendante des contraintes du diplôme d’état réformé en 1938 à propos duquel elle était particulièrement critique comme on le verra plus loin. Cette école américaine deviendra dans les années 50 le point d’appui de la diffusion du Case Work à travers les nombreux stages de formation qui participeront du véritable point de départ d’une méthodologie d’intervention sociale pour le service social français.

Elle redresse l’école de Rouen selon ses propres termes et la quitte à l’issue de deux années de direction, prenant sa retraite en 1951.

Elle va connaître une très longue retraite au cours de laquelle elle se partage entre son appartement de la rue Férou à Paris, à l’ombre de St Sulpice, et sa petite maison du « Chêne Godon » à l’orée de la Normandie.

Elle entretient des liens étroits avec ses amis américains à travers sa correspondance et leurs visites. Elle accepte de participer de temps à autre aux activités de la Fédération Française des Travailleurs Sociaux (FFTS) qui a pris le relais de l’ATS en 1950, dont la secrétaire générale de l’époque, Hélène Bergeron, a été son élève à l’EPSS. C’est ainsi qu’elle va répondre à une enquête de l’association sur la diffusion en cours du Case Work en France et donner deux articles pour la revue « Travail social » de la FFTS et trois traductions de textes importants relatifs au case Work en 1953 et 1954, publiant également en 1957 le compte rendu de son récent voyage d’études à Boston.

En 1981, son état de santé s’aggrave et elle doit rejoindre une maison de retraite où elle décède le 28 mars 1985 dans sa 97° année.

Marie-Thérèse Vieillot qu’on a pu qualifier de « pionnière du service social », fut en réalité une très grande figure du développement du service social dans l’entre-deux-guerres pour trois raisons qui justifient que l’on puisse la considérer comme une des actrices clés de l’époque, même si elle fut et reste encore dans l’ombre derrière les pionnières habituellement mises sur le devant de la scène comme Cécile Brunschvicg, Juliette Delagrange, …

D’abord, elle est la figure qui incarne le mieux en France le modèle richmondien du service social. Ses extraits de textes que la revue Vie sociale a publiés témoignent de sa maîtrise de l’approche de Mary Richmond auprès de qui elle s’est formée. De ce point de vue, elle a défendu par son enseignement et sa formation de quelques générations d’élèves à Paris (EPSS), Strasbourg et Rouen – à travers les cercles d’études et l’analyse des études de cas – une démarche méthodologique du service social qui permettait d’asseoir la spécificité du métier d’assistante de service social comme métier autonome à côté de celui du médecin ou du juge (et non comme métier auxiliaire comme pour l’infirmière) : une approche globale de la situation familiale, associant la famille, en vue de diagnostiquer le problème de fond et de repérer les ressources propres de l’environnement élargi de la famille lui permettant de se reconstruire par ses propres moyens avant d’utiliser les ressources apportées par la collectivité. Elle le résume ainsi en 1937 dans une lettre à la secrétaire du Comité d’entente des écoles de service social : « Dans l’action de l’assistante sociale, l’accent est placé sur la prise de contact et sur la collaboration avec l’assisté, avec son entourage, familial et professionnel. Il s’agit pour elle de découvrir les possibilités latentes de l’assisté pour qu’il comprenne et agisse lui-même, aussi de chercher dans son entourage naturel l’aide matérielle et morale, avant d’avoir recours aux subsides et aux organisations de la collectivité ». Ce qui l’a conduit très tôt à parler d’ « assistance éducative ».

La diffusion du modèle richmondien dans l’entre-deux-guerres a ainsi reposé sur M-T Vieillot ainsi d’ailleurs que sur le couple Marie Fuster – Edouard Fuster, très impliqué à l’EPSS également et professeur au Collège de France où il enseignait aux élèves de trois écoles de service social l’approche richmondienne du service social, et Marie qui devient directrice de l’Ecole familiale et sociale à partir de 1927. On peut penser que de ce fait une fraction significative des assistantes formées à cette période ont été marquées par le modèle richmondien, comme en témoignent plusieurs d’entre elles dans l’article que la revue Vie sociale a consacré à M-T Vieillot ou dans l’ouvrage d’Y. Knibiehler. Même si, la pression des demandes d’aide sociale et la pénurie en professionnels qualifiés ont très probablement rendu particulièrement difficile la pratique rigoureuse de la démarche richmondienne, comme on peut le penser à la lecture de rapports de stages des élèves de l’EPSS du temps où MT Vieillot y assurait la direction des stages.

Une seconde raison fait de M-T Vieillot une grande figure tout à fait exceptionnelle du service social : il s’agit du rôle central qu’elle a joué dans la formalisation d’une démarche professionnelle au sein du service social auprès du Tribunal pour enfants de Paris à partir de 1923, mettant à l’œuvre elle-même l’approche richmondienne avec une équipe grandissante d’assistantes de service social et un très grand nombre de stagiaires des écoles sociales qui y accouraient, comme l’a montré M. Becquemin dans sa monographie sur l’association Olga Spitzer

Elle va y jouer un rôle majeur, participant à la construction progressive d’une première forme de travail éducatif en institution autour d’un métier d’éducateur intervenant en relais au diagnostic social de l’assistante sociale et à l’examen psycho-pédagogique. M-T Vieillot jette les bases dès les années 20-30 de la rééducation et du métier d’éducateur qui émergera à grande échelle dans la seconde moitié des années 1940.

Une troisième raison a trait à sa conception de l’enseignement du service social. Ses textes publiés dans la revue Vie Sociale rendent compte de son analyse très critique à l’égard d’une forme de dérive « scolaire » des épreuves d’examen conçues par le jury national à partir du décret fondateur du diplôme d’état d’assistante de service social en 1932. Elle met en cause de façon répétée le fameux « cas monstre » qui consiste à présenter un cas théorique cumulant le maximum de « problèmes sociaux » possibles en vue de vérifier la capacité des candidats à les repérer et à associer à chaque type de problème le « remède » correspondant (aides accessibles, œuvres de secours), ce qui est bien entendu la négation même de l’approche globale du problème et l’appui apporté à la famille dans la reconstruction par elle-même de son équilibre matériel, psychologique et social. Ces textes de M-T Vieillot la montrent assez désabusée à l’égard de l’évolution de la formation. Son engagement particulièrement important dans le service social de l’enfance en danger moral ne lui a visiblement pas permis de jouer un rôle actif au sein du comité d’entente des écoles de service social, à moins qu’elle ait considéré que ce n’était pas un espace stratégiquement opportun à investir. Elle est bien présente en 1927 lors de la première réunion du comité, représentant l’EPSS aux côtés du pasteur Doumergue, mais ne participe pas aux travaux de la commission mise en place par le ministre de la santé et présidée par Édouard Fuster en 1930 pour élaborer un projet de diplôme d’état. Elle est alors aux USA et c’est la nouvelle directrice, Melle Crémer, qui représente l’EPSS. Lorsqu’elle devient directrice de Strasbourg, c’est le président fondateur de l’Ecole de Formation Sociale et non elle, en tant que directrice, qui représente l’école aux réunions du Comité d’entente des écoles de service social qui se désigne pourtant très fréquemment comme le comité des directrices d’écoles.

Pour des raisons inconnues – sans doute peut-on faire l’hypothèse que Marie Fuster* proposa M.T. Vieillot à Hazemann chef de cabinet du ministre  – le nouveau ministre de la santé du Front populaire, Henri Sellier, qui a décidé de réformer les diplômes d’état d’infirmière et d’assistante sociale en vue d’aller vers une première année commune, charge M-T Vieillot d’une mission consistant à « faire le rapport de l’Etude du programme et de l’organisation de l’enseignement du service social » en vue du futur diplôme. M-T Vieillot écrit au comité d’entente en disant « je ne suis pas la plus désignée pour cela » et ne fera visiblement pas ce rapport.

Mais elle adresse alors (en 1938) au comité d’entente un courrier (non daté) présentant ses principales propositions en vue de concevoir le futur programme de formation de première année. Ce texte de 2 pages avec une annexe relative à un « Projet d’initiation sociale des élèves de 1re année » est tout à fait remarquable au sens où il donne à voir une conception professionnelle et non scolaire de l’enseignement du service social qui l’a habitée tout au long de son expérience d’apprentissage et de transmission du métier. Elle recommande d’abord l’importance « en premier lieu d’un stage de service social de 5 mois » à mi-temps hebdomadaire qui permettra aux élèves et aux monitrices les encadrant de « vérifier dans l’action les aptitudes, la résistance physique et psychique … et de déceler les capacités latentes et non encore éduquées ».

Elle recommande ensuite « une initiation théorique, même très élémentaire de sa future profession (présentant) une vue d’ensemble, une image globale, dont les éléments seront repris et approfondis les deux années suivantes ». Elle accorde une place importante aux apports théoriques relevant de la sociologie, de l’économie politique et de la psychologie et de la pédagogie. Sa fréquentation régulière du service social américain et son expérience de l’assistance éducative au sein du service social de l’enfance en danger moral l’ont en effet conduit à accorder une place significative à la psychologie et aux « méthodes nouvelles d’éducation » (Decroly notamment).

Fidèle au modèle richmondien, elle recommande de ne pas traiter les grandes questions sociales « sous l’angle de la pathologie sociale (la maladie, le taudis, la misère, le chômage, et,) mais d’un point de vue constructif (la santé, publique, le logement, le budget, le travail, les loisirs) car l’assistante sociale, plus tard, doit surtout, en collaboration avec l’assisté et son entourage, construire ou reconstruire, éduquer et rééduquer, en tout cas sortir d’affaire, aboutir ; il faut donc lui inculquer tout de suite ce tour d’esprit positif qui doit primer chez elle ».

La dernière recommandation proposée par M-T Vieillot pour la réforme du programme et de l’enseignement du service social a trait à la conception même de cet enseignement : si, dit-elle, l’action de l’assistante sociale vie à remobiliser l’assisté dans sa propre (re) construction, le devoir de l’école est « en toute première ligne, de favoriser le développement maximum de la personnalité » de ces futures professionnelles. Et elle ajoute : « Les Cours théoriques ne répondent pas à ce but ; les stages enseignent les bonnes formules d’action, mais il faut encore autre chose pour rendre vivant chez les élèves leurs dispositions plus ou moins grandes pour le sens des responsabilités, le sens de la collaboration, le sens de l’initiative, de l’ingéniosité, la curiosité et l’ouverture d’esprit. Notre enseignement actuel est trop individualiste pour qu’il y ait ensuite coordination dans le travail général. Le Ministère accepterait-il de nous laisser élaborer une formule d’enseignement pratique à cet effet et d’en tenir compte pour le Diplôme au même titre qu’il tient compte des notes de cours et de stages ? Quel est le sentiment des Ecoles à ce sujet ? ».

Marie-Thérèse Vieillot reste évasive à propos de ce que pourrait être cette formule, mais on devine entre les lignes quelle souhaiterait pouvoir transformer en nouveau modèle de formation son expérience d’intégration dans le métier de nouvelles professionnelles qu’elle a eue dans le cadre du service social de l’enfance en danger moral. Un modèle qui accompagnerait la transformation progressive de l’élève en jeune professionnelle développant les compétences qu’elle énumère.

À ces différents titres, Marie-Thérèse Vieillot a joué un rôle capital dans l’entre-deux-guerres pour le développement et la professionnalisation d’un métier de service social ayant une expertise propre. Rôle qui n’a pas été reconnu à sa juste valeur par les premiers travaux historiens relatifs au service social. La faible propension de ces pionnières à écrire et théoriser leur expérience explique en partie qu’elles soient restées dans l’ombre. Et si Marie Thérèse Vieillot avait été la Marie Richmond française du service social de l’entre-deux-guerres en France ?

Sources : Archives de l’EPSSDenise Lenain, Georges-Michel Salomon, « Une pionnière du service social : Marie-Thérèse Vieillot », Vie sociale, 10-11, 1988, p. 412-436 – Michèle Becquemin, Protection de l’enfance : l’action de l’association Olga Spitzer. 1923-2003, Erès, 2003.

Patrick Lechaux