En 1896 Marie Gahéry ouvre, à Paris, le premier settlement en France, à l’origine des futurs centres sociaux: l’Œuvre sociale de Popincourt. Avec d’autres femmes engagées elle réside dans l’établissement ouvert à la population du quartier. C’est là le modèle des « maisons sociales » puis des « résidences sociales » qui se développeront peu de temps après. L’œuvre devenue Union Familiale de Charonne ouvre le premier jardin d’enfants en France et fonde, en 1907, une école de formation de ce qui ne s’appelle pas encore des travailleuses sociales : École Pratique de Formation Sociale. Marie Gahéry cesse son activité sociale en 1914.

Marie Gahéry est née à Lisieux, le 14 février 1855. Elle est la fille d’Arsène Gahéry et Zaïde Moisson. Son père, fils d’un greffier ayant créé, en parallèle de sa charge, une école où il accueillait aussi des enfants pauvres, s’investit à son tour dans l’enseignement. Il ouvre et dirige l’école supérieure annexée au collège de Domfront (Orne), puis dirige l’école primaire supérieure de Lisieux (Calvados) où son engagement lui vaut d’être honoré, en 1865, du titre d’officier d’Académie. Il change ensuite de métier pour devenir le receveur municipal de Lisieux.

Devenue majeure, Marie Gahéry entre au Carmel de Lisieux, semble-t-il, sans l’adhésion de sa famille qui serait de tradition républicaine. Elle quitte cependant le Carmel en juin 1878, après deux années de noviciat, et séjourne quelques années aux USA où elle crée une école. Elle se rend ensuite en Grande-Bretagne.

De retour en France, elle pratique diverses activités charitables puis, à partir de 1891, elle s’occupe d’enfants du quartier de St-Ambroise dans le XIe arrondissement de Paris. Ce faisant, elle appréhende les limites de l’action charitable qui ne fait que secourir et qui infériorise le secouru. Elle identifie l’importance des clivages entre les classes sociales qui s’accentuent dans les années 1890. Dès lors, elle estime que le véritable enjeu est celui d’une régénération sociale et que celle-ci passe par des actions éducatives et non pas par des patronages. Bien décidée à entreprendre ce « travail social », elle ouvre, dans le quartier ouvrier de Popincourt, en mars 1894, un « petit ouvroir » pour fillettes de 6 à 10 ans, estimant qu’un travail éducatif auprès des enfants lui permettrait de l’étendre auprès de leurs parents. Le nombre d’enfants déborde vite les possibilités du local loué et nécessite de repenser l’action entreprise. Marie Gahéry profite alors de l’été 1895 pour étudier sur place, en Angleterre, le mode d’action des settlements, nés à l’exemple de l’initiative engagée en 1884 par le révérend Samuel Barnett dans le quartier londonien de White Chapell. Elle en avait pris connaissance dans des revues françaises et elle s’intéressait en particulier aux settlements féminins anglais.

En 1896, elle se décide, avec d’autres femmes volontaires, à résider sur le lieu même de son action, dans l’esprit des settlements anglo-saxons. De cette manière, elle estime pouvoir créer des contacts personnels et durables, sans prosélytisme religieux ou politique, entre des personnes de classes sociales différentes pour qu’elles apprennent à se connaître, à se reconnaître, à se faire confiance et à en venir à coopérer à l’amélioration de la vie ouvrière. Elle l’exprime en ces termes : « Au lieu de dire : faisons des libéralités pour attirer à nous ceux sur qui nous voulons agir, nous disions : ne pas faire d’aumône, n’aller chercher personne, ainsi nous ne froisserons pas ; puis laisser voir comment nous vivons et à quoi nous pouvons être utiles, alors on viendra à nous comme à des amis. Il n’y aura pas d’arrière-pensée. Et voilà très simplement comment l’idée de la résidence dans les quartiers ouvriers nous est venue, comment elle s’est imposée à notre esprit et à notre cœur avec tous les caractères d’une inéluctable nécessité. » (Gahéry, 1906).

Ainsi se définit une nouvelle forme d’action, « sociale », et non plus « charitable », qui doit néanmoins trouver soutiens et « travailleurs ». Marie Gahéry réussit à obtenir de solides appuis auprès surtout d’aristocrates parisiens, catholiques et protestants, de tradition monarchiste, conscients du paupérisme ouvrier, soucieux des divisions sociales et désireux de s’engager personnellement, au-delà des pratiques aumônières. Elle bénéficie notamment de l’appui actif du marquis Albert Costa de Beauregard (1835-1909), ancien député légitimiste et du dévouement de son épouse, la marquise Costa de Beauregard (1841-1929). Leurs notoriétés, un article du marquis dans Le Correspondant en septembre 1896, une conférence, le 15 mai 1897, d’Etienne Lamy (1845-1919), catholique notoire et ancien député républicain, soutenant l’originalité et la nécessité de « l’Œuvre nouvelle » devant un parterre « du tout Paris », de nombreux articles de presse valorisant la formule anglo-saxonne des settlements, la création de deux Comités, celui des Messieurs (présidé par le marquis) et celui des Dames (présidé par la duchesse de Gramont, née Rothschild, 1855-1905) donnent du crédit à l’Œuvre sociale de Popincourt, constituée en juin 1897, et présentée comme étant le « premier settlement français ». Marie Gahéry en est la secrétaire générale. Dans une ancienne fabrique, l’Œuvre accueille chaque jeudi et dimanche près de 400 enfants, garçons et filles, encadrés par des dames du monde qui organisent des jeux et des leçons, y compris de morale, voire de catéchisme pour ceux qui le demandent. Les « résidentes » entrent en relation, se voulant sans présupposés, avec les familles des enfants et répondent à leurs demandes de conseils, de soins ou de recommandations. Un cercle d’études pour adultes est initié. Ainsi, « enfants, jeunes filles, pères et mères de famille, athées et révolutionnaires sont atteints par l’Œuvre sociale », comme le constate le marquis lui-même.

Pour consolider son œuvre, Marie Gahéry sollicite l’aide de Mercédès Le Fer de la Motte (1862-1933), supérieure d’une petite communauté religieuse oratorienne qu’elle vient de constituer à Paris et susceptible d’agir socialement sans affichage religieux. Parallèlement, elle est de plus en plus en désaccord avec ses comités de patronage concernant l’orientation de l’œuvre et les manières d’agir des « dames » bénévoles. Elle quitte alors brutalement « son » œuvre, en décembre 1898, en laissant la place à Mercédès Le Fer de la Motte qui, sécularisée, fera de l’Œuvre sociale de Popincourt une des Maisons sociales qu’elle suscitera à Paris et en banlieue entre 1903 et 1909.  De son côté, Marie Gahéry crée une nouvelle œuvre à proximité, quasi identique, appelée l’Union sociale de Charonne. Trois années plus tard, contestée à nouveau par son Comité de patronage, elle reprend sa liberté et réinstalle fin 1902, toujours dans le même quartier, une nouvelle structure, qu’elle arrivera enfin à stabiliser et qu’elle appellera L’Union Familiale (de Charonne).

Cette fois-ci, Marie Gahéry affirme ses finalités et ses méthodes dans les statuts associatifs de L’Union Familiale, déclarés en mars 1903 : « L’Association dite L’Union Familiale, fondée en dehors de tout prosélytisme politique et religieux, a pour but de travailler à l’amélioration de la situation des classes laborieuses, en préparant la jeunesse, en dehors de l’école, à l’accomplissement du devoir familial et social ». De plus, elle s’attache un comité partageant ses vues, présidé par Emile Cheysson (1836-1910), une personnalité leplaysienne bien en vue.

Marie Gahéry considère que l’amélioration de la situation des classes laborieuses viendra d’une « reconstitution » de la famille ouvrière au moyen d’actions éducatives. Dans ce but, elle crée des œuvres complémentaires de l’école pour les enfants, des colonies de vacances, des groupes d’études, un cercle d’éducation familiale pour adultes. Elle donne cependant une priorité à l’enseignement ménager estimant, tout comme la comtesse de Diesbach (1853-1931), que le rôle dévolu par la nature à la femme est d’être au foyer, pour le bien de la famille. Elle organise donc le jeudi, pour les élèves des écoles communales, des leçons de cuisine, de lavage, de repassage, de raccommodage, de nettoyage, associant théorie et pratique et le lundi matin des cours de cuisine populaire, ouverts aux mères de famille. Elle constitue la section de Charonne de la Mutualité maternelle. Elle crée une œuvre du trousseau pour les jeunes filles. Elle ouvre aussi une école ménagère pour des jeunes filles munies de leur certificat d’études. Soucieuse de la qualité de ces enseignements, elle crée des cours « normaux » pour former des maîtresses d’enseignement ménager.

Estimant que l’action éducative et responsabilisante doit être la plus précoce possible, Marie Gahéry accueille des enfants du quartier, dès l’âge de trois ans. Elle est l’une des premières, voire la première en France, à pratiquer et à adapter la méthode pédagogique active initiée par Friedrich Froëbel (1782-1852) qui consiste à éveiller la curiosité et la créativité des tout-petits, de trois à six ans, au travers du jeu et du jardinage. « Il faut, dit-elle, apprendre à lire autour de soi avant que d’apprendre à lire dans les livres ; il faut apprendre à dessiner avant que d’apprendre à écrire ». Sa garderie enfantine, qu’elle appellera « jardin d’enfants », dont les débuts datent de 1902, est très demandée par les familles du voisinage. Mais Marie Gahéry en limite l’accès pour y bien pratiquer la pédagogie qu’elle a mis au point : de 40 à 50 enfants selon les années. Pour les encadrer, elle implique les parents et même des fillettes : des petites filles âgées de dix ans sont chacune chargées de 4 ou 5 enfants ; elles les surveillent, les tiennent propres et leur donnent à faire des exercices élémentaires. Elles se préparent ainsi à leur rôle futur de mère, et leur groupement forme l’Ecole des petites mères.

S’appuyant sur ses diverses initiatives, Marie Gahéry fonde, en 1907, une Ecole pratique de formation sociale destinée à de futures responsables d’actions sociales, école qui peut être considérée comme l’une des premières écoles de travail social. Elle structure un parcours pédagogique en trois années. En première année, l’enseignement est centré sur l’enfance et l’expérience pratique est acquise au jardin d’enfants de L’Union familiale. Elledonne lieu à un « Brevet de jardin d’enfants ». La seconde année est dévolue à l’acquisition de la « science ménagère », au travers de cours et de mises en situations pratiques. Elle permet d’acquérir le « Brevet d’enseignement ménager populaire ». La troisième année ne peut être engagée que si l’on a acquis les deux premiers brevets. Son programme prépare aux responsabilités d’œuvres sociales, celles-ci étant expérimentées à la tête de l’un des services de L’Union Familiale. L’ensemble de ce parcours permet l’obtention du « Diplôme de formation sociale ».

Les réalisations de Marie Gahéry sont suivies par la presse philanthropique et lui vaut plusieurs Prix. Signalons en particulier, en 1905, l’obtention du Grand Prix de l’Exposition d’Economie sociale, au Grand Palais de Paris, pour ses présentations d’installations modèles d’école ménagère populaire et de garderie froebélienne. En sus de sa présence aux expositions, Marie Gahéry participe à de nombreux colloques et congrès, en France et à l’étranger, où elle promeut ses œuvres d’éducation populaire. Etant membre de la Société internationale pour l’étude des questions d’assistance, elle est élue, en 1906, rapporteur de la thématique « Assistance préventive par l’éducation ménagère et l’enseignement domestique » de la section « Assistance par le travail », présidée par Emile Cheysson. Elle est aussi vice-présidente de la Société d’encouragement du Devoir Social, société dénommée auparavant L’Encouragement à la Mutualité et dont le président, Emile Chapellier, est membre du Comité d’honneur de L’Union Familiale.

A la ddéclaration de la guerre de 1914, Marie Gahéry, quitte L’Union Familiale, précipitamment d’après plusieurs témoignages, et s’établie à Thonon, en Haute-Savoie, où elle décède en 1932. L’Union Familiale perdurera, sous la direction de Marie Perron (1876-1950) et adhérera à la Fédération des centres sociaux de France, à partir de 1930 et ce, jusqu’en 1950 au moins.

ELOY Jacques      novembre 2022