Née en 1920 à Varsovie (Pologne), décédée le 2 juin 2013 ; assistante sociale à l’Union générale des Israélites de France (UGIF) puis à l’Œuvre de secours aux enfants (OSE).

Renée (Rywka) Krystal est née à Varsovie en 1920. Elle arrive en France avec ses parents en 1926, fuyant l’antisémitisme. Elle vient d’une famille aisée. Son père était fabricant de gants en cuir. Comme il était difficile de trouver du personnel, il a changé de métier et a créé une entreprise : un magasin de détail où l’on vendait du linge de maison. Il y avait un rez-de-chaussée et un premier étage, avec du personnel polonais catholique. Mais un jour, la police est arrivée à cheval pour tout saccager. Ses parents ont alors décidé de quitter la Pologne.

Son père est venu à Paris en 1925, où il continua le métier de gantier. En vérité, il avait l’intention de partir pour l’Argentine. S’arrêtant à Paris pour voir sa mère et sa sœur qui y habitaient depuis 1905, il s’y est beaucoup plu et a décidé de rester. Il était devenu façonnier. Il fabriquait des gants pour une maison très importante à Paris. Il travaillait dans la chambre, sa table devant la fenêtre. Sa femme et les quatre enfants l’ont rejoint un an plus tard. Ils habitaient rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement, un petit appartement de deux pièces et une cuisine. « Le soir, quand on était tous ensemble entassés, c’était le vrai bonheur : mes parents dormaient dans la chambre, ma jeune sœur et moi dans l’alcôve, et les autres dans la salle à manger, dans quatre lits-cages, qui s’ouvraient. » Renée était la cinquième des six enfants. Elle avait six ans. Elle entre directement à la grande école, rue Servan, en octobre, y reste jusqu’au certificat d’études, puis va avenue Parmentier jusqu’au brevet.

Son frère aîné, Jacob, s’est beaucoup occupé de l’accueil des Juifs allemands, surtout après 1933. Il les aidait dans leurs démarches, les emmenait à la Préfecture, où il connaissait quelqu’un pour avoir des papiers ou pour trouver des appartements. Renée allait souvent garder son premier enfant, né en 1934. En même temps, l’inquiétude commençait à poindre chez ses parents, et son père voulait que la famille parte aux États-Unis. Sa sœur, qui avait dix-sept ans, a refusé, entraînant tous les autres. Ils sont donc restés.

En septembre 1939, Renée Krystal devait épouser Victor Ornstein, un ami de la famille qui, mobilisé, est fait prisonnier et envoyé dans un stalag. Ils se marient lors d’une permission spéciale en avril 1940. Renée a vingt ans. Elle cherche à travailler à la Croix-Rouge, qui refuse à cause du statut des Juifs. Elle postule alors pour un poste d’assistante sociale à l’Union générale des Israélites de France (UGIF), créée par le gouvernement de Vichy, à la demande des Allemands pour regrouper tous les Juifs. Elle va se former sur le tas, avec les conseils d’une autre assistante sociale Madeleine Kahn-Meyer. Elle est chargée de venir en aide aux Juifs nécessiteux du 4e arrondissement de Paris, puis du 13e. Son premier « client » est un malade sorti de l’Hôtel-Dieu qui devait être ramené chez lui. Elle se souvient :

« Il n’avait strictement rien et il fallait s’en occuper. Je me suis rendue à son domicile. Quelle tristesse. C’était au fond d’un couloir, il n’y avait pas de portes. C’était un rideau qui faisait office de portes. Lui avait un lit, une table et je ne sais pas ce qu’il y avait d’autre. Mais c’est tout ce que j’avais remarqué. On m’avait prévenue qu’il était sale, qu’il fallait le laver, lui couper les cheveux et surtout lui laver la tête, car on pensait qu’il avait des poux. Je suis retournée à mon bureau. Je ne savais pas vraiment comment m’organiser, car c’était la première personne. Mais rapidement, j’ai trouvé quelqu’un qui s’est complètement occupé de ça. Je suis allée avec cette personne retrouver mon malade et on s’est occupé de tout. J’ai pu à l’époque m’organiser avec la concierge pour qu’elle lui achète de quoi manger. Bien sûr, l’UGIF l’a remboursé et l’a aidé pour vivre. Je l’ai suivi à plusieurs reprises. Il était rétabli. »

Renée s’occupe ensuite des familles juives qui viennent chercher du secours dans le Paris occupé. Ce sont surtout des femmes et des enfants de Juifs étrangers qui n’ont plus de quoi vivre, car les maris sont engagés volontaires, ou arrêtés lors de la convocation du « billet vert » du 14 mai 1941 ou encore cachés. Les aides sont autant matérielles que morales.

Son propre frère Jacob avait lui aussi été arrêté et envoyé au camp de Pithiviers (Loiret), il travaillait à la raffinerie Say. À l’époque, Renée faisait passer beaucoup de gens en zone libre. Lors d’un passage, elle fit la connaissance d’un monsieur à La Rochefoucauld, qui s’était proposé d’aller chercher son frère en moto à Pithiviers et de le conduire chez les parents réfugiés dans la Haute-Vienne. Son frère a catégoriquement refusé, de peur de mettre la famille en danger.

Renée elle-même est arrêtée lors de la rafle du 16 juillet 1942, et utilise sa carte de légitimation de l’UGIF qui lui permet de ne pas être inquiétée. Elle décide ensuite de faire un aller-retour en zone libre, pour voir ses parents en Haute-Vienne. À cette occasion, elle emmène avec elle un enfant de douze ans, séparé de sa mère. Un voyage périlleux avec la complicité des cheminots. On la cache avec l’enfant dans un wagon de marchandises rempli de laine à matelas. À Vierzon, où se trouve la ligne de démarcation, les Allemands sondent à plusieurs reprises le wagon avec des piques, sans les repérer. « On trouvait le temps long. Nous étions très nerveux, aussi bien l’enfant que moi. J’ai bougé dans la laine. Tout d’un coup, j’ai touché une main. J’ai hurlé : “Il y a quelqu’un dans le train !” Le petit me dit : “Pourquoi criez-vous ainsi ?” Je lui réponds : “J’ai trouvé une main.” “Mais c’est la mienne !”, me dit le petit garçon. Puis, on s’est calmé. » Le train repart en direction de Toulouse. Il ne s’arrête pas à la gare de Limoges comme prévu. Plus loin, il ralentit. « Comme il ne s’arrêtait pas, nous avons sauté du train. L’enfant abandonne une valise et moi un sac avec des bricoles. » Renée parvient à remettre Maurice, sain et sauf, dans les mains de son oncle, qui attendait sur le quai. Le retour a lieu trois ou quatre jours plus tard, dans des conditions tout aussi périlleuses et toujours avec la complicité des cheminots, dans un wagon rempli cette fois de paniers d’huîtres. Le train est stoppé à La Rochefoucauld. Les Allemands déplacent quelques paniers, sans la voir.

De retour a Paris, Renée démissionne de l’UGIF, traite les dossiers en cours, termine son mois et part à Limoges rejoindre ses parents. Elle reprend son travail d’assistante sociale pour le compte cette fois de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE). Elle est engagée par Julien Samuel, qui lui propose de partir pour Megève occupée par les Italiens où l’OSE avait ouvert un centre animé par Jacques Salon et sa toute jeune femme Nicole Weil. L’objectif principal est d’assister les familles juives étrangères assignées à résidence, de s’occuper des enfants, d’organiser des goûters et des jeux et surtout de préparer les passages en Suisse. Il fallait marier les célibataires pour former des fausses familles avec enfants de moins de six ans. L’argent des passeurs était mis en commun et les plus riches payaient pour les plus pauvres. Septembre 1943, les Allemands envahissent la zone italienne. Renée Krystal, munie d’une fausse carte d’identité au nom d’Auclaire, accompagne les familles qui s’entassent dans des autocars pour Nice. C’est une nasse. Il y aura plusieurs centaines d’arrestations. Elle se relaie avec Nicole Salon pour convoyer les groupes vers Annemasse. Nicole, qui demande à prendre le tour de Renée, est arrêtée et déportée par le convoi 62 vers Auschwitz. La famille de Renée, elle aussi, a été arrêtée en 1943, à Megève, sur dénonciation. Ses parents, sa sœur de 28 ans avec sa petite fille de quatre ans et demi, et sa belle-sœur ont tous été déportés.

Malgré les dangers, Renée continue, mais elle oublie dans un hôtel les cartes d’alimentation qu’elle venait de récupérer du groupe parti en Suisse. L’affaire remonte jusqu’à la police. Coup de téléphone. Renée est grillée. Elle s’enfuit pour Limoges, où elle se met à la disposition de Julien Samuel et Pierre Dreyfus alias Dutertre. Julien la nomme à Brive-la-Gaillarde, où l’OSE a besoin d’une assistante sociale. Renée a recueilli les deux enfants de son frère et de sa belle-sœur, déportés. Ils n’ont que six et huit ans et la suivent partout. Une visite est prévue chez les grands-parents, cachés à 9 kilomètres de Brive. Lorsqu’elle arrive le lundi au bureau de l’OSE, les portes du local sont scellées. Elle apprend par une passante, qui se présente comme la fille de Colette, l’écrivain, que tout le monde a été arrêté. Étrange destin, étrange rencontre, Renée a de nouveau échappé à une arrestation. Mais elle n’en démord pas et reprend son travail dans un nouveau local de l’OSE pour porter assistance aux familles de Corrèze et du Lot. C’est à Brive, en s’occupant de familles juives d’Alsace-Lorraine, qu’elle a appris l’existence des camps et qu’elle a compris que personne ne reviendrait. La région était devenue très dangereuse, d’autant que les résistants y étaient nombreux. Un jour de l’année 1944, Andrée Salomon, la responsable du service social de l’OSE, débarque à Brive et lui ordonne de fermer le bureau et de s’occuper de ses enfants.

La guerre terminée, Renée se rend à l’OSE, rue des Franc-Bourgeois, où elle retrouve le docteur Malkin et sa collègue Madeleine Kahn-Meyer. En 1945, l’OSE lui propose de prendre la direction d’une maison d’enfants. Mais les événements de la guerre pèsent lourds. Elle démissionne pour se consacrer à l’éducation de son neveu et de sa nièce et des deux enfants qu’elle aura avec son mari, revenu sain et sauf de captivité. Dans les années 1980, elle reprend contact avec les Anciens de l’Amicale de l’OSE. Elle reçoit le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 2003 et meurt le 2 juin 2013. L’accueil de jour de l’OSE, à Sarcelles, porte son nom.


SOURCES : Dossier du personnel, Archives de l’OSE. – Jacques Salon, Trois mois dura notre bonheur, mémoires 1943-1944, Éditions FMS/Le Manuscrit, 2005.

Katy Hazan