Née le 3 décembre 1888, fille d’un caissier de la Banque de France d’Arras, Céline Lhotte vit une enfance sans histoires. Durant son adolescence, ses parents s’installent au Havre, grande ville portuaire de Seine-Inférieure ; elle y suit une scolarité normale jusqu’au lycée. De petits boulots en petits boulots, Céline Lhotte peine à trouver sa voie. C’est alors qu’éclate la Première Guerre mondiale. Elle participe à à l’effort de guerre en devenant infirmière plus par nécessité que par vocation (Thébaud, 1986). Toutefois, cette profession « de circonstances » se transforme très vite en une véritable révélation. Frappée par la sévérité des blessures et consciente de l’apport moral plus que physique qu’elle procure aux blessés, Céline Lhotte veut développer la fonction sociale de l’infirmière, alors en pleine émergence.

Elle est également dans le tiers ordre de Saint-François, (Ordre Séculier vivant dans l’esprit des vœux et dans l’unité fraternelle), et amie des Équipes du Sillon fondé par Marc Sangnier (1894-1910)

Infirmière visiteuse de l’enfance

Lors de la première guerre mondiale, Céline Lhotte qui devient infirmière par nécessité, comprend très tôt que son rôle possède un caractère nettement moins austère que celui du médecin, favorise les relations avec les blessés, et découvre les nécessaires nouvelles luttes contre les fléaux sociaux.  

Au sortir de cette guerre douloureuse, et pendant l’entre-deux-guerres ; elle devint infirmière visiteuse de l’enfance dans un dispensaire havrais « C’est une profession puisqu’on demande aux candidates plusieurs années d’études sérieuses sanctionnées par un diplôme. Ce n’est pas un métier, car le métier à proprement dit représente l’échange consciencieux d’un travail contre de l’argent… » Elle est portée à l’époque par la doctrine hygiéniste qui consiste à améliorer les conditions sanitaires et sociales de la population. Dans un de ses livres, elle dépeint l’infirmière visiteuse : « Joie, l’austère vêtement bleu, une croix rouge à la place du cœur, la sacoche de cuir et ses multiples paperasses »

Au dispensaire Gibert du Havre, dirigé par le docteur Gibert, chargé de recenser les mères de famille dans le besoin et de les secourir en leur offrant des soins et des bons de nourriture, les interventions à domicile sont vitales et garantes de l’efficacité de la structure préventive. Céline Lhotte se rend au domicile pour y effectuer une enquête de terrain minutieuse du logement et y introduit des principes d’hygiène individuelle (pour le malade) et collective (pour la famille). Elle démontre toute la complexité de l’engagement : servir, soigner et conseiller : un devoir, presque une fierté 

Durant les années trente, le discours de Céline Lhotte se fait plus polémique. En effet, en même temps que son travail devient reconnu par la loi, celle-ci multiplie les ouvrages et veut ouvrir des perspectives sociales claires « pour que des lois équitables soient votées et appliquées » 

En 1935, La JOCF lance une enquête sur « la santé des jeunes travailleuses compromise par certaine conditions de vie ». 70 questions sont posées sur les conditions de travail et les causes des maladies. D’autres portent sur les soins aux malades. Une enquête est également menée sur les « maisons de soins ». Sur les 20000 questionnaires distribués, 9365 réponses sont valides et exploitées par Céline Lhotte et Elisabeth Dupeyrat. Elles publieront cette enquête en deux tomes : « Révélations sur la santé des jeunes travailleuses. Les enquêtes de la JOCF », (Éditions Spes, Paris, 1936).

Seconde Guerre Mondiale et création du Service Social dans les prisons

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Céline Lhotte intègre le Secours national qui gère  en 1941, 6023 assistantes sociales.

En même temps, elle se lie à la résistance. Sa permanence, rue Raitbout, sert de « boites à lettres ». De plus dès Janvier 1942, elle s’engage au sein du mouvement Libération-Nord., ce qui explique qu’en février 1944, elle est mise en demeure de quitter Paris.

En février 1942, le secours national obtient l’autorisation d’intervenir dans les camps d’internés civils malgré une forte opposition des autorités. Céline Lhotte est alors affectée à ce nouveau service mais dit ne pouvoir agir que dans les limites permises. A l’activité du service des camps et prisons, se constitue peu à peu la volonté de s’occuper également des détenus politiques  dans les droits communs. Début 1942, il y a 22 000 internés civils en zone occupée « répartis dans une douzaine de camps », et entre 16 000 à 18 000, le nombre de ceux internés en zone libre. A partir de cela, s’ébauche le service social des prisons. « Tout laissait déjà présager, sans que d’ailleurs nous en ayons conscience à penser, l’évolution proche du service » écrit Céline Lhotte. C’est ainsi qu’en 1942, elle crée le Service Social des prisons. Ce qui est considéré maintenant comme un Service public dépendant du Ministère de la justice, n’existait pas avant.  

Soutenu par Raoul Dautry, une commission sociale definit le service social des prisons : rôle para-médical, culturel (biblioyhèques, travail social auprès desd étenus, et prparation à la libération conditionnelle, encadrement des visiteurs de prison. C’est la circulaire du 29 juin 1945 qui fonde officiellement le service social des prisons, le définissant comme « le lien fraternel entre les condamés et la société, le condamné et sa famille, en même temps qu’un instrument actif du rélèvement du détenu et de son reclassement à la libération ». Le service social des prisons est fortemment reconnu, étatisé et très sutucturé. Devant être diplômées du DE, elles seront recrutées pour les prisons de plus de 500 détenus et se précupera de leur donner une formation soécifique par des stages annuels. Elles auont un rôle de leader, le droit de circuler librement dans la prison et de s’entretenir confidentiellement avec les détenus hors de la présence des agents de l’administration.

Alors que la circulaire fondatrice définissait leurs domaines d’activité et listait les taches techniques, et que la circulaire du 15 janvier 1948 impliquera d’avantage les assistantes sociales, petit à petit, elles perdent leur rôle lorsque l’administration fait appel aux éducateurs.

En 1945 à la demande des archevêques et des cardinaux de France générale des prisons, l’abbé Rodhain crée l’Aumônerie générale des prisons, et centralise l’action des aumôniers engagés auprès des détenus. Pour alimenter leurs réflexions sur le monde carcéral, il organise, avec Céline Lhotte et le Secours catholique, des congrès nationaux des prisons.

Le Service social des prisons au Secours catholique

Alors que Céline Lhotte continuait d’oeuvrer pour les prisonniers, en 1945, elle sentit qu’avoir été porteuse de valeurs plutôt maréchalistes pouvait lui être reproché, malgré son rôle de résistante. Aussi elle démissionna en 1948 et alla rejoindre Mgr Rodhain pour servir au siège du Secours Catholique (créé en 1946). Elle y prend la responsabilité du service propagande et y fit 34 articles dans la revue Messages. Elle contribue à donner une tonalité sociale au secours Catholique et devient responsable du département des prisons, organisé pour venir en aide aux détenus et à leurs familles. Elle noue des relations étroites avec les premières assistantes sociales en milieu carcéral. L’action du Secours Catholique en prison reposera sur plusieurs initiatives comme les colis de Noël expédiés aux détenus, une aide financière et morale adressée aux prisonniers les plus pauvres et à leurs familles, un service de correspondance aux prisonniers (SOS Courrier) et un accueil et un accompagnement des sortants de prison.

Céline Lhotte y travaillait encore le jour même de sa mort à soixante-quinze ans, le 28 mai 1963. Pour Mgr Jean RODHAIN, Céline Lhotte ne voulait pas terminer sa vie sans labeur. Sa foi toujours discrète, mais vive, l’avait conduite à minutieusement préparer sa disparition, mais elle cherchait en attendant à ne pas perdre un instant. Revenant des journées Nationales du Secours Catholique, ce mardi 28 mai, en la voyant accomplir exactement son horaire de chef de Service, qui aurait cru qu’elle était dans sa soixante-quinzième année, et qui aurait supposé qu’elle terminerait cette journée-là dans un autre monde ? » (Présentation » in Céline Lhotte, Ce prisonnier, comment puis-je l’aider ? Paris, SOS, 1963).  Céline Lhotte mourut. Elle avait  interdit toute notice nécrologique, mais lors de son décès, les témoignages arrivés de toutes les prisons saluent celle qui a été fondatrice  du service social des prisons.

Celine Lhotte, essayiste, romancière « populiste »

Elle est surtout connue pour ses écrits. Outre toute son action sociale et son engagement catholique (tertiaire de l’ordre de Saint-François), et influencée par sa lecture de Lucie Delarue-Mardrus qui a laissé plus de soixante-dix romans, recueils de poèmes, biographies, Mémoires, Celine Lhotte est une romancière « populiste » et une essayiste, à l’origine de la collection « Réalités du travail social » aux éditions Bloud & Gay.  

Seule ou en collaboration avec Elizabeth Dupeyrat (également assistante sociale), elle a publié de très nombreux ouvrages relevant de l’observation vue et vécue et  qui touchent à toutes les questions sociales de l’époque. De plus, ses textes permettent de connaître le travail de l’infirmière visiteuse et du service social.

A travers ses yeux d’infirmière au dispensaire Gibert du Havre dès la fin de la guerre, elle démontre toute la complexité de l’engagement pour les infirmières-visiteuses : servir, soigner et conseiller mais à quel prix et pour quels résultats ? Au gré de ses récits, elle dévoile la réalité quotidienne des infirmières qui revendiquaient une place à part entière dans la résolution de la misère. Elle décrit sa « Joie, l’austère vêtement bleu, une Croix-Rouge à la place du cœur, la sacoche de cuir et ses multiples paperasses… »   (Lhotte, 1930).  Elle raconte ses visites au domicile des malades et des personnes nécessiteuses au sein de quartiers « malfamés » havrais. « Je me souviens de mon arrivée parmi vous, il y a cinq ans ; regards hostiles, réticences et cette porte brutalement fermée ‘‘L’infirmière visiteuse ? Connais pas. Je n’ai besoin de personne chez moi !’’ ». Elle montre les situations difficiles allant de l’enfant battu au père alcoolique, de la mère tuberculeuse au taudis, sans oublier les scènes cocasses, les situations incongrues. Elle côtoie à la fois la tragédie et le vaudeville. Elle n’arrêtera pas d’écrire. Par exemple, elle publie les résultats d’une enquête sur les familles ouvrières du Havre dans Monographie sociale d’un coin de France. On retrouve des instantanés pris sur le vif lors de ses visites auprès des pauvres des Hautes-Mares, faubourg du Havre, dans Chœur triste chez les sans-repos De même, beaucoup plus tard, elle montre de « petits tableaux » de la Cité-Secours de la Porte d’Orléans dans ici, Porte d’Orléans. C.Lhotte a expliqué que le « secret professionnel » et « le droit de transposition concédé à tout écrivain » l’ont autorisée à faire œuvre littéraire sans rien devoir concéder sur l’authenticité des faits.

Ses livres sont marqués par sa religion. Par exemple, Cornettes et barricades. La grande aventure », écrit avec Elisabeth Dupeyrrat, concerne la révolution de 1848 expliquée aux enfants chrétiens. Ou encore Dame Pauvreté chez les Maîtres Du Monde. L’épopée Franciscaine en Chine au XIIIe Siècle, aux éditions Franciscaines.

Ainsi, ses « romans »  portent sur la misère noire et les bas-fonds. Quant à ses essais, ils sont orientés vers la détresse du peuple et la solidarité et compétence qu’elle déploie pour contrer les effets du paupérisme. Ils ont été fortement remarqués en France comme à l’étranger. Par exemple, au Québec, l’ouvrage Le jardin flétri. Enfance délinquante et malheureuse, de Céline Lhotte et Élisabeth Dupeyrat, a profondément marqué le juge Marcel Trahan et enrichit ses perceptions sociales.

Céline Lhotte reçut le Prix Northcliffe de littérature française (équivalent en Angleterre de ce qui à l’époque s’appelait le Prix Fémina–Vie Heureuse) pour deux de ses premiers romans, publiés en 1928 à la Renaissance du livre : Sur les fortifs du paradis et La Petite Fille aux mains sales.  Reconnaissant la qualité d’écriture et l’implication humanitaire de Céline Lhotte, la secrétaire générale de l’Association des travailleuses sociales, Juliette Delagrange, décida de lui attribuer en 1931, le Prix Anne Murray Dike. Enfin en 1934, Céline lhotte reçut de la le Prix Dodo, pour son ouvrage Histoire des peuples chez nous, destiné à récompenser des actes de vertu ou de courage

Bien que l’œuvre de Céline Lhotte (plus de 35 livres sans compter les articles) soit dans l’oubli, et que l’on ne puisse plus avoir accès à ses livres (sauf certains dans certaines bibliothèques ou chez les boutiquiers), il est intéressant que le travail social n’ignore pas son histoire.

Brigitte Bouquet