Née le 26 juin 1901 à Toulouse (Haute-Garonne), décédée le 31 août 1995 au Mas-d’Azil (Ariège) ; surintendante ; résistante ; inspectrice générale des assistantes sociales  des Forces armées puis de l’AFSA, membre du Conseil supérieur du service social.

Jeanne Sivadon est née le 26 juin 1901 à Toulouse. Son  père, Daniel Sivadon, est pasteur de l’Église réformée ; il a exercé dans plusieurs communes du Sud-Ouest puis, après la naissance de Jeanne, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Sa mère, Leïla de Verbizier-Latreyte, est issue d’une famille huguenote. Jeanne a trois frères, dont Paul Sivadon qui sera médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard. Elle fait ses études au lycée de Clermont-Ferrand.

Très attirée par la musique et très douée (elle obtiendra le premier prix de piano du Conservatoire en 1919), elle souhaite, à seize ans, quitter le lycée pour s’inscrire au Conservatoire. Ses parents l’obligent à poursuivre jusqu’au diplôme de fin d’étude. Dans cette période et jusqu’à la fin des années 1920, elle participe activement  à divers groupes dans la paroisse et à la fondation d’une troupe non confessionnelle d’éclaireuses. Elle anglicise son prénom en Jane, prénom qui sera souvent utilisé.

En 1930 elle entre à l’École des surintendantes. Sur les raisons de ce choix, elle déclare que les surintendantes lui ouvrent un accès sur le monde ouvrier qu’elle ne connaissait pas. Pour sortir de son milieu, elle ne choisit pas l’École pratique de service social, « très connue dans les milieux protestants », et elle  trouve l’École normale sociale « trop confessionnelle ». Pendant ses études, elle loge chez son frère ainé médecin. Elle finit major de la promotion en première année.

À sa sortie des Surintendantes,  en 1932, elle est  orientée par la direction de l’école et  prend le poste de directrice de l’École de plein air à La Motte-les-Bains (Isère). Moins d’un an après sa prise de fonction, elle démissionne en raison d’un désaccord avec l’employeur sur l’éducation des enfants. En juillet 1933, Cécile Brunschvicg*, vice présidente du conseil d’administration de l’école, lui offre le poste de sous directrice, le poste de directrice ayant été attribué à Hélène Vialatte (surintendante aux usines Michelin à Clermont-Ferrand). Se focalisant sur les « relations extérieures », la directrice lui confie rapidement la responsabilité de la marche de l’école ; sa fonction est d’être en lien avec les professeurs, les terrains de stage,  les élèves. C’est  dans le cadre de son rôle dans la sélection des élèves qu’elle fera, en 1936, la connaissance de Berty Albrecht, avec qui elle devient très amie après sa scolarité. En 1938, elle obtient, pour le diplôme de surintendante, la reconnaissance de l’Éducation nationale. En 1939, en raison du départ de Mme Vialatte, elle est nommée directrice de l’École des surintendantes. Elle  loge dans les locaux de l’école, situés 1 rue Princesse, dans le sixième arrondissement de Paris.

Après l’instauration de l’État Français, au cours du dernier trimestre 1940, Berty Albrecht la met en contact avec deux envoyés du Mouvement de libération nationale (le lieutenant de Froment puis le capitaine Guédon). Elle décrit ainsi le jour de son adhésion à la Résistance :

« J’ai donné mon adhésion un certain jour où toutes les directrices d’écoles sociales parisiennes étaient dans mon bureau pour un Comité d’entente. Au milieu de la réunion, ma secrétaire téléphone pour me demander de sortir un instant ; je me suis trouvée en face d’un officier en civil (muni de faux papiers !) ; envoyé par une de mes amies, il venait me demander d’entrer dans un groupe de Résistance. Sans hésiter – quelle imprudence – j’ai répondu affirmativement. En quelques secondes, j’avais changé de route. C’était une directrice d’école sociale qui était sortie du Comité d’entente, c’était une résistante qui revenait s’asseoir à son bureau. » (Récit 1977)

Elle devient secrétaire générale du mouvement Combat Zone Nord (zone occupée). En 1941, les réunions préparatoires à la diffusion du journal Les Petites ailes se déroulent soit dans les locaux de l’école, soit chez une surintendante, Denise Lauvergnat.  Des réunions du Mouvement se déroulent aussi à l’école, les allées et venues dans ces locaux passant plus inaperçues que dans un domicile particulier :

« C’est comme cela que toutes les réunions de Combat se sont faites chez moi parce que j’habitais à l’École des surintendantes, au troisième étage, rue Princesse. C’était une maison neuve, les étages d’en dessous n’étaient pas habités. Il n’y avait pas de concierge, on pouvait passer me voir comme on voulait et moi, de par mon métier, je recevais des hommes, des femmes, des industriels qui venaient chercher une assistante sociale, des pères de famille, etc. C’était un métier parfait pour faire de la Résistance. À l’École des surintendantes, il y avait plusieurs assistantes sociales résistantes. Elles n’avaient pas besoins de se cacher. Elles circulaient comme elles voulaient, elles allaient partout. » (A. Mabon, 1995)

Des élèves surintendantes  sont recrutées : certaines deviennent porteuses de courrier, d’autres sont chargées d’espionner les usines où elles sont en stage. Les premières arrestations frappent l’équipe des surintendantes le 25 octobre 1941, celles d’Anne-Marie Boumier et d’Anne Noury. En janvier 1942, à la suite de la réorganisation du mouvement,  Jeanne Sivadon devient membre du comité directeur de Combat Zone Nord.

Elle est arrêtée par la police nazie pendant la nuit du 1er au 2 février 1942, ainsi que Mme Lubrat, femme de chambre qui avait la charge de l’entretien des locaux de l’école. Cette dernière est libérée au bout  d’une dizaine de jours. Faisant partie du même mouvement, sont arrêtées le même jour Odile Kienlen,  secrétaire de l’école, et Denise Lauvergnat, surintendante. Au total, une quarantaine de membres de Combat ont été arrêtés, dénoncés par un infiltré au service de la police nazie. Elle est détenue au secret pendant quatre mois à la Santé et  interrogée à l’hôtel Cayré, boulevard Raspail. En juin 1942, elle est transférée en Allemagne à la prison de Berrobruck où elle restera dix-sept mois, détenue au secret et seule dans sa cellule jusqu’au procès du Mouvement Combat. Celui-ci se déroule le 12 octobre 1943 à Cologne. Il y a 42 accusés ; au terme du procès, le 2 novembre 1943, 23 sont condamnés  à mort : 17 hommes et 6 femmes.  Jeanne Sivadon figure parmi les condamnées avec Élisabeth Dussauze, Odile Kienlen, Hélène Vautrin, Marietta Martin-Le-Dieu, Gilberte Bonneau du Metray. En attente de leur exécution,  elles sont enfermées quatre mois à la prison  de Cologne « avec les fers aux mains nuit et jour, les bombardements incessants et l’idée que l’on pouvait d’une minute à l’autre venir nous chercher pour l’exécution ». Les hommes condamnés à mort sont décapités à la hache en janvier 1944, tandis  qu’en février 1944, l’exécution de la condamnation des femmes est suspendue. Le 9 mars 1944, avec d’autres condamnées, elle est transférée  au bagne de Lübeck puis  au bagne de Jauer (Jawor en Pologne) et le 4 avril  au bagne de  Motthus. Le 15 novembre 1944, les condamnées sont transférées au camp de Ravensbrück où plusieurs d’entre elles meurent à peine arrivées. Dans la nuit du 6 au 7 mars 1945, elle arrive, avec d’autres, au camp de Mauthausen. Elle en sera libérée le 23 avril 1945 par la Croix-Rouge suisse et arrivera à Paris le 29 avril où elle se remettra dans l’appartement d’un de ses frères à Ville-Évrard.

Après la Libération, en janvier 1945, la directrice de l’École des surintendantes, Suzanne Termat  (nommée en septembre 1942), démissionne ; elle est remplacée par Mlle Robert qui fait savoir qu’elle remettra le poste à Jeanne Sivadon lors de son retour.  En même temps, au lendemain de son retour, Jeanne Sivadon est contactée par trois représentantes du ministère du travail – Mlles Raffalovitch, Roux et Warchzwsky – qui la rencontrent pour lui proposer de démissionner des Surintendantes pour prendre la direction de l’École des conseillers du travail : « Leur projet était de me faire cautionner, pour lui donner toutes ses chances, une École, avec le programme de formation spécialisé que j’avais contribué à développer à l’École des Surintendantes » (Récit 1977), affirmera-t-elle des années plus tard. Finalement, elle démissionne effectivement de l’école lors de l’assemblée générale de l’Association des surintendantes le 2 juillet 1945,  et elle accepte de construire l’École des conseillers du travail du ministère.  Parallèlement, elle participe à la création de l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIE)  dont elle prend la présidence lors de son assemblée constitutive le 4 novembre 1945.

À l’École des conseillers du travail, elle se heurte rapidement au fonctionnement très bureaucratique du ministère. Par lettre, elle proteste directement auprès du ministre qui lui répond qu’elle n’est pas passée par la voie hiérarchique et envisage de la nommer dans un autre service. Elle prend cela pour une mise à la porte de fait. Deux possibilités s’offrent à elle à ce moment-là :

  • soit être nommée par le ministère de la Santé publique directrice d’une école de formation pour directrices d’école et chefs de service ;
  • soit être nommée par le ministère de la Défense nationale inspectrice générale des assistantes sociales  des Forces armées.


Aucun financement n’étant programmé pour l’école de formation du ministère de la Santé, elle opte pour  les Forces armées qu’elle intègre en début 1948.

En 1948, les services sociaux des trois armes (Terre, Mer, Air) sont fusionnés au sein de l’Action sociale des forces armées (ASFA), dont le rôle est ainsi défini par le décret du 29 janvier 1948 (J.O. du 31 janvier 1948) :

« Article 3. Le service d’action sociale des forces armées a pour mission d’organiser et de gérer les oeuvres sociales des armées dans la limite des crédits ouverts au budget. Il gère et répartit les crédits nécessaires à l’action sociale et établit les prévisions budgétaires correspondantes. Il représente en outre le ministre des Forces armées auprès des organismes nationaux et internationaux d’entraide et d’assistance, qu’ils soient publics ou privés. Le service exerce son activité au profit de tous les personnels militaires et civils et leurs familles relevant du département des forces armées. Il peut également étendre son action, dans certaines conditions, aux anciens personnels de ce département. »

Ce service est placé sous l’autorité directe du ministre des Forces armées. Pour organiser le nouveau service, le ministre Pierre-Henri Teitgen cherche une personne extérieure au trois armes. Mlle Baud, assistante sociale chef au ministère de l’Armement, parle de Jeanne Sivadon au ministre qui la nomme inspectrice générale des assistantes sociales de l’AFSA.

Ses débuts ne vont pas sans difficultés, elles sont  de deux ordres : le directeur, qui est un militaire, la voit comme quelqu’un d’imposé par le ministre, tandis que les assistantes sociales chefs critiquent le fait qu’elle ne connaisse rien au milieu militaire. Sa tâche est facilitée par quelques assistantes chefs, dont Mme Vialatte qui est devenue assistante sociale chef de la Marine.

Pendant  une première période de trois à quatre ans, elle s’attèle à la tâche d’organiser le service. Au niveau de la direction centrale, elle a fait nommer une ou deux assistantes sociales dans chacun des bureaux de la direction : Personnel, Finances, Documentation, Bureau médico-social, Institutions sociales. Et chaque lundi après-midi, elle réunit ces différentes assistantes sociales. Elle passe ensuite à la mise en place des directions régionales de l’ASFA (ce qui implique la fusion des directions régionales des services sociaux des trois armes) : elle nomme les assistantes chefs régionales. Il y a  neuf régions sociales : Paris, Lille, Rennes, Cherbourg, Bordeaux, Toulouse, Metz, Dijon, Lyon, Toulon. Sensible aux retours du terrain, elle se déplace auprès de toutes les assistantes sociales (elles étaient près de mille). Et elle renforce le service Documentation pour répondre à la situation des assistantes sociales isolées.  Tous les ans, elle organise à Paris une journée d’étude regroupant le personnel de la direction, les délégués régionaux et les assistantes chefs régionales, les chefs de secteur et assistantes sociales principales, les chefs des établissements industriels  et leurs assistantes sociales. De leur coté, les régions et secteurs organisent leur propres journées d’étude. Pour les jeunes assistantes sociales embauchées, elle met en place un stage afin de leur faire connaitre le service tandis que des stages de perfectionnement  s’adressent aux assistantes sociales cadres.

Jeanne Sivadon reste également fortement présente dans le champ du service social. En 1950, elle est désignée comme membre du Conseil supérieur du service social (fondé par le décret du 4 avril 1950). Elle participe aux Congrès internationaux de service social de Paris (1950) Toronto (1954) et Rome (1961). À la  5e conférence  internationale de Paris (1950), elle présente, avec Gabrielle Girard* (conseillère technique sociale de la Fédération nationale des organismes de Sécurité sociale), une communication sur « les différentes techniques auxquelles le Service social doit s’adapter ». Dans cette communication, elles rappellent le  double mouvement de l’action du service social : « le Service social est intéressé à la solution de nombreux problèmes humains, en particulier de celui qui les domine tous : l’adaptation de l’individu à un milieu donné et les modifications du milieu en fonction d’un développement plus harmonieux de l’individu » (Informations sociales, n° 14, 15 juillet 1950). Jeanne Sivadon se préoccupe également de développer les liens professionnels entre les assistantes sociales et, pour cela, obtient chaque année, pour un certain nombre d’assistantes sociales de l’AFSA,  un congé  leur permettant d’assister aux congrès de l’ANAS. Et, pour leur faire connaitre ce qu’est le service social, elle invite les trois directeurs successifs de l’AFSA  à des réunions du Conseil supérieur  du service social, aux congrès de l’ANAS et de l’UNIOPSS. En 1961 elle part à la retraite et, en 1971, elle se retire dans sa maison familiale au Mas-d’Azil (Ariège) que ses parents avaient fait construire en 1935 lors de leur départ à la retraite. Elle reste cependant active et renoue, en 1974, avec ses racines familiales en fondant, avec deux cousines, l’association « La Réveillée », regroupant les descendants de trois familles de gentilshommes verriers huguenots. Le siège de l’association est à Font-Brascou, sa maison au Mas-d’Azil. Elle décède le 31 août 1995  au Mas d’Azil, où elle est inhumée.

SOURCES : Jane Sivadon, « Fierté française, sérénité chrétienne, témoignage d’une déportée » Temple du Mas d’Azil, 28 juillet 1945. – Récit de Jeanne Sivadon recueilli en 1977 au Mas d’Azil par un des membres de l’équipe de recherche mis en place par Yvonne Knibiehler en 1977-1978 (bibliothèque du CEDIAS-Musée social) –  Blog Mémoire de guerre 1939-1945. – Site Ariège par Michel Bégon. – Dictionnaire Maitron en ligne. – Archives ANAS. – Armelle Mabon-Fall, « Jane Sivadon (1901-1995) ou l’esprit de résistance », Nervures, journal de la psychiatrie, décembre 1995-janvier 1996. – Armelle Mabon-Fall, Les assistantes sociales au temps de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1995, 170 p. – Henriette Bigand, L’association des surintendantes d’usine et de services sociaux et son école, Paris, ETSUP, 2007. – « 5e Conférence internationale de service social. Réponses françaises », Informations sociales, n° 14, 15 juillet 1950.

Henri Pascal