Née le 22 juillet 1882 à Paris, décédée le 7 septembre 1960 à Paris ; créatrice du service social de la Fondation Mamoz ; diplômée de l’École des surintendantes d’usine (1916) ; surintendante d’usine à la Compagnie générale d’électricité (CGE) puis responsable du service social de la Caisse de compensation de la région parisienne ; membre du comité directeur de l’Association des travailleuses sociales.

Madeleine Hardouin est née à Paris, le 22 juillet 1882, plus exactement, au 2, rue du Cherche Midi, d’Alexis Hardouin, fondé de pouvoir et de Marie Elisa Denizet, sans profession. Elle est la deuxième et seule fille d’une fratrie de trois enfants. Pour des raisons économiques, la famille va s’installer à Étampes (Seine-et-Oise, aujourd’hui Essonne) auprès des grands-parents maternels et paternels qui sont de grands propriétaires terriens.
La maladie et la mort vont, peu à peu, décimer la famille : 1889, décès du grand-père paternel ; 1892, décès de Marie Elisa Denizet, d’une embolie pulmonaire? et de la grand-mère paternelle ; 1893, congestion cérébrale d’Alexis Hardouin qui diminuera ses facultés psychologiques et physiques jusqu’à la fin de sa vie ; 1894, décès de la grand-mère paternelle ; 1900, la grand-mère maternelle souffre d’apoplexie et décède en 1903. Entre SIX et vingt-et-un ans, Madeleine accompagne la trajectoire dramatique de sa famille et se montre courageuse et déterminée. C’est un leader naturel, tant à l’école qu’au domicile familial, et ce même aux pires moments de sa vie. Elle soigne son frère cadet qui se casse la jambe et qui peine à se remettre tout en effectuant les démarches nécessaires pour répondre aux besoins sanitaires et matériels de l’ensemble de la famille. Douée d’une grande faculté d’adaptation, elle trouve également du soutien dans la religion catholique dans laquelle elle a été élevée.
C’est d’ailleurs à l’école catholique privée où elle est scolarisée qu’elle rencontre Sœur Raphaël – qui deviendra son mentor – surprise par la vivacité de la fillette qui, tout au long de sa scolarité, va obtenir la plupart des prix scolaires. Elle ne poursuivra pas ses études et, sans pour autant en ressentir un sentiment de sacrifice, se met pleinement au service de sa famille éprouvée. C’est Sœur Raphaël qui « installera » la jeune fille dans ce qu’il conviendra d’appeler la charité. Ainsi, pour Madeleine, protéger, aider, se substituer deviennent vite un art de penser, un art de faire.
En 1904, Madeleine Hardouin retourne à Paris. Entre-temps, Paul, le frère aîné, rejoint le groupe de Marc Sangnier, journaliste et homme politique qui a fondé le mouvement « Sillon » (qui sera condamné par le Pape en 1910), porteur de l’idée d’un catholicisme démocratique combinant foi religieuse et aspirations sociales. Elle est séduite par l’idéal d’éducation de la classe ouvrière et mesure le clivage qui existe entre celle-ci et la bourgeoisie. Sa rencontre avec Marc Sangnier va être déterminante. Marraine d’un des enfants Sangnier, elle est d’abord une amie de la famille plutôt qu’une militante à proprement parler. Elle accepte cependant, à la demande de Marc Sangnier, de diriger un foyer coopératif étudiant à Paris. Elle s’intéresse également aux activités de la Fondation Mamoz, directement rattachée à l’Élysée. Cet organisme qui croule sous les demandes de secours, diligente des enquêtes à domicile et dirige, entre autres, un ouvroir de chômeuses. Elle va très vite intégrer le personnel de la fondation car, d’emblée, elle se montre très efficace dans tout ce qu’elle entreprend. Elle est désignée comme créatrice du service social de la fondation.
En 1914, la guerre s’annonce avec ses premiers ravages. Les hommes étant sur le front, les femmes sont contraintes de les remplacer dans les usines pour assurer l’effort de guerre. Cinq femmes se préoccupent de la nécessité d’apporter aux équipes féminines, qui œuvrent dans les usines au contact des ouvrières, une aide matérielle, morale, touchant aussi bien aux questions familiales qu’aux principes de l’hygiène. Ce travail d’accompagnement ne peut se faire qu’avec ce qu’on appellerait aujourd’hui une solide qualification, d’où l’idée de mettre en place une formation adaptée aux exigences de la situation. Il s’agit de Cécile Brunschvicg, Marie Diemer, Marie Routier, Henriette Viollet et Renée de Montmort. Madeleine Hardouin sera d’ailleurs diplômée de l’École des surintendantes en 1916. Elles combineront leurs réflexions et leur savoir-faire à la faveur des élèves de ce centre de formation.
Entre-temps, elle quitte Paris avec son père malade et sa fillette adoptive. Elle travaille dans une filiale de la Compagnie générale d’électricité (CGE) de Saint-Jean-de-Braye (Loiret) qui fabrique des obus. Elle est elle-même sur les chaînes de montage. Cette expérience, même brève, lui fait prendre conscience des conditions terribles dans lesquelles travaillent les femmes. Ses qualités humaines et organisationnelles sont très rapidement repérées. On lui demande, dans un premier temps, d’améliorer le service de restauration de nuit. Elle veille à l’hygiène et à la sécurité des ateliers tout en ouvrant une crèche et une garderie. Elle se rebelle contre un certain cadre en refusant de porter l’uniforme, trop voyant à son goût, des surintendantes et de transmettre des rapports sur ses activités, arguant de l’urgence de faire et non d’écrire. Toujours éprise d’indépendance, elle passe son permis de conduire, fait plutôt rare, pour l’époque.
À l’Armistice, la CGE liquide une partie de son personnel. Madeleine Hardouin est nommée adjointe d’un directeur commercial, poste qu’elle n’apprécie guère car elle veut avant tout mener une activité à caractère social.
En 1921, Marie Routier lui propose d’entrer à la Caisse de compensation de la région parisienne pour diriger le service social composé de six dames-visiteuses chargées de mener des enquêtes sociales auprès de familles en difficulté. Cette tâche connaîtra un développement considérable. Madeleine Hardouin fera de la lutte contre la mortalité infantile un objectif majeur. Elle est à l’origine de la création de placements familiaux, de centres d’accueil, de colonies éducatives, de camps de vacances en plein air, de dispensaires médico-sociaux destinés aux allocataires et leurs familles. Elle organise également les campagnes de vaccinations. Elle fait distribuer des cartes-lettres dans les mairies, dispensaires, etc. qui permettent, sur présentation, d’offrir aux mères en situation de pauvreté une layette à l’arrivée de leur bébé. Très attentive à la relation mère-enfant, elle travaille à la limitation des placements hâtifs des enfants en nourrice, tout en étant soucieuse des situations graves, les petites victimes du destin. Elle favorise aussi la mise en place de lactariums.
Elle participe également, en parallèle, à la création de deux branches de formation :
- celle de l’enseignement ménager, sanctionné, par la suite, par un Certificat professionnel d’art ménager. « Quand un foyer se crée avec un ouvrier spécialiste et une bonne ménagère, il y a beaucoup de chances pour que ce soit un ménage heureux. » Travaux de couture, de cuisine et d’entretien général sont à l’ordre du jour ;
- celle des auxiliaires familiales qui apportent leur aide à des familles désorganisées, assistent une mère débordée ou malade, remettent en état le foyer laissé à l’abandon, soignent les enfants et reprennent en main le cadre éducatif qui leur ferait défaut.
Par ailleurs, elle questionne l’orientation professionnelle des adolescents en réfléchissant sur la nécessité de réaliser un équilibre harmonieux entre leurs aptitudes et leurs intérêts. La trilogie parent-enfant-employeur apporte, selon elle, une plus-value à l’élaboration du parcours professionnel et personnel d’un jeune en devenir.
En 1932, elle est présente au deuxième congrès international du service social à Francfort. Elle est nommée Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 27 juillet 1933. Elle est, à ce moment, membre du comité directeur de l’Association des travailleuses sociales, membre des conseils d’administration de l’École des surintendantes, de la Fédération mutualiste de la Seine, du Comité social de l’Union des caisses d’assurances sociales de la région parisienne, du comité technique de l’Office de protection maternelle et infantile et du Comité de perfectionnement des écoles de services social.
La Seconde Guerre mondiale ouvre alors un nouveau champ d’activités à Madeleine Hardouin : organisation de la défense passive, assistance aux mobilisés et aux prisonniers, aide clandestine aux persécutés. Elle accepte d’entrer au conseil municipal de Paris, nommée par Pétain, mais refuse de licencier les médecins juifs travaillant à la Caisse. Elle s’engage de plus en plus dans l’action clandestine et fait évader des enfants juifs auxquels elle fournit de faux papiers.
En 1942, Jeanine, sa fille adoptive, meurt accidentellement.
En 1944, sur l’initiative de Madeleine Hardouin et de Marie-Louis Destruel, l’ANAS est créée. Ce sont 80 professionnelles qui se réunissent pour discuter le projet d’un groupement national et de l’avenir de la profession. Madeleine Hardouin soutient la candidature de Ruth Libermann à la fonction de première présidente. Cette dernière avait eu, comme jury, Madeleine Hardouin dont elle dira : « Jeune assistante, j’avais bien entendu parler de Mademoiselle Hardouin, comme un apprenti entend parler d’un grand maître. Je l’avais vu auréolée du prestige de l’examinateur à mon diplôme d’État. »
En 1945, Madeleine Hardouin est frappée d’indignité nationale puis réhabilitée.
En 1948, elle prend sa retraite à soixante-six ans, reconnue par tous, y compris par les syndicats, conscients des réalisations considérables à la faveur de la classe ouvrière.
Le 7 septembre 1960, elle décède subitement.
SOURCES : Madeleine Hardouin, Brochure de la Mairie du Ve arrondissement, 1er trimestre 1961. – Madeleine Hardouin, « Synthèse», Vie sociale, n° 5-4/1993. – Henri Pascal, Histoire du travail social en France, Rennes, Presses de l’EHESP, 2014.
Isabelle Vaha