Née le 26 novembre 1903 à Paris, décédée le 18 septembre 1988 ; religieuse-assistante sociale diplômée de l’École pratique de service social, responsable du Centre social de la Croix Saint Jacques à Dammerie-les Lys, asssitante sociale chef du Secours national, pendant la guerre, puis assistante sociale de la Sauvegarde, à partir de 1945, consacre plus de cinquante ans de sa vie à l’action sociale.

Celle qui dira que « l’affabilité est un devoir social » est née le 26 novembre 1903 à Paris. Marthe Marie Jacquemont est issue d’une famille originaire de la Loire, du côté paternel, plus particulièrement dans la région du Forez. C’est une famille composée essentiellement d’une noblesse de robe, d’artistes et de religieux influencée par le jansénisme et une éducation jésuite.

André Jacquemont, père, fait ses études à Oullins, dans un collège dominicain pour devenir, par la suite, avocat à la Cour d’Appel de Paris. Sa femme, Marthe Blazy, appartient à une famille parisienne, de Fontenay-aux-Roses, plus exactement. Les oncles de Marthe Marie, André Marchal et Louis Vierne sont des organistes célèbres et initient la jeune fille à la musique qui prendra, par la suite, des cours de piano et d’orgue et elle deviendra une musicienne accomplie. Parallèlement, elle suit des cours de théologie qui occupent grandement son emploi du temps.

Marthe Marie est, en quelque sorte, la synthèse du couple parental : le sens social et religieux omniprésent dans la famille paternelle, André Jacquemont étant désigné comme « l’avocat des pauvres » ; la musique, fer de lance de la famille maternelle, Marthe Blazy étant l’élève de Claude Debussy. Pendant longtemps, la musique et son intérêt pour le fait religieux seront souvent en concurrence.

À l’école des sœurs dominicaines de Sainte Agnès à Asnières, elle est une élève brillante dans les apprentissages religieux. À 19 ans, elle entre dans la Fraternité des Tertiaires Dominicaines et devient Catherine-Dominique.

Le décès prématuré de sa mère, le 8 décembre 1917 va modifier ses projets d’avenir. Cette dernière, engagée volontaire comme infirmière militaire a contracté la tuberculose.  Marthe-Marie devient la maîtresse du foyer familial auprès de son père, de ses frères Charles (11 ans) et Maurice (4 ans).

La jeune fille s’occupe, d’une part, de sa famille et intègre, d’autre part, en mars 1923, en qualité de secrétaire, la branche féminine des Équipes sociales fondées par Robert Garric en 1921.  C’est un mouvement éducatif, basé sur l’amitié et l’échange d’expériences entre des jeunes issus de milieux sociaux divers. Elle assure également le catéchisme pour enfants ayant des troubles mentaux et devient visiteuse de prison à Fresnes. Indépendante et toujours mobile, elle obtient son permis de conduire en 1926.

En 1935, elle est assistante sociale diplômée de l’École pratique de service social. Elle vient d’y rencontrer Madeleine Delbrêl avec laquelle elle va travailler, plus tard, en étroite collaboration. Elle y croise également Annette Monod qui œuvrera, entre autres, dans les camps de Drancy, Voves et ceux du Loiret. C’est une étudiante qui excelle en démographie, sociologie, pédagogie et éducation, morale professionnelle et en méthode pratique de travail social. Son mémoire –thèse, comme cela figure sur son écrit- porte sur les Équipes sociales. Sa nouvelle qualification s’ajoute à celle d’infirmière délivrée auparavant par l’École de la Croix Rouge.

Marthe Marie est toujours très active. Elle collabore désormais au journal dominicain, la « Revue des Jeunes ». Elle est décrite comme étant curieuse d’esprit, présente, discrète, méfiante de tout ce qui pouvait déranger un ordre établi et capable, en même temps, d’une grande franchise et d’esprit d’entreprise.

Depuis 1931, le Père Nasse, est devenu son directeur spirituel, suite à une conférence menée auprès des anciennes élèves de l’Institut des Dominicaines de Sainte Agnès à laquelle Marthe Marie participe. C’est une rencontre fondamentale dans la vie de la jeune femme qualifiée de « coup de foudre spirituel ».  Avec lui, elle s’interroge sur les multiples orientations à donner au travail social et ils fondent ensemble, peu de temps après, la congrégation des Dominicaines du Verbe Prêtre qui s’appellera en 1952, les Dominicaines du Verbe Incarné. Celle-ci est composée de religieuses sans habit, -ce qui trouble Marthe Marie- (suite aux consignes de l’évêché), et sont, toutes, obligatoirement impliquées dans l’action sociale.

La congrégation s’installe rue de la Montagne de Mée à Melun. Elle est soumise aux prérogatives de l’Église de Rome qui fait obligation, dans l’une de ses Constitutions, d’y inscrire une mission de  travail social : « La plupart des sœurs, diplômées d’État, occuperont des postes dans les services publics et privés : services sociaux, centres d’orientation professionnelle, assistance publique, Inspection du Travail, et tous autres organismes nécessitant d’une part, la pénétration dans les milieux du travail et pouvant aboutir, d’autre part, à des vues d’ensemble dans des divers secteurs de la vie sociale. Par des contacts personnels et quotidiens avec les travailleurs et leurs familles, elles prendront conscience de leurs nécessités et de tout ce qui les empêche de vivre honorablement leur vie d’homme. »  Y figure également l’injonction suivante : « Les sœurs se tiendront au courant de la vie sociale contemporaine et pourront être appelées à collaborer à des études et elles apporteront le fruit de leurs recherches basés sur des expériences concrètes. »

Aussitôt, les religieuses s’emploient à s’occuper des plus démunis.

Un centre social est créé. Il s’agit de soutenir le service social à l’hôpital, par le biais de permanences sur site, de collaborer avec l’Office d’hygiène sociale et la Confédération française des professions (Confédération générale du patronat français ?) ce qui permet à la congrégation d’être reconnue dans le milieu patronal. Marthe Marie, sollicitée par Geneviève Pichot, assistante sociale du Barrage de Génissiat, dans l’Ain, organisera, en parallèle, le travail des ouvriers, l’acheminement de matériel sanitaire et surtout de chauffage. Ce qui ne l’empêche en rien de gérer les nombreuses activités sociales proposées aux familles en situation de grande pauvreté.

Cependant, il s’avère que la maison se révèle trop petite pour mener à bien toutes les missions de travail social.

Il s’agit désormais de trouver un lieu plus spacieux. Mais les deniers personnels de Marthe Marie ont depuis longtemps disparu dans la fondation et les sources de financement se font rares.  Elle rencontre Germaine Sommier, bienfaitrice et dame de charité fortunée qui possède plusieurs propriétés et châteaux dont celui de Vaux-Le-Vicomte. Parmi elles, il y a une demeure qui pourrait convenir, sise à Dammarie-les-Lys. Marthe Marie et Germaine Sommier nouent des relations de grande proximité d’autant que Madame Sommier soutient des groupes chrétiens de travail social qu’elle souhaite fédérer avec l’aide de Marthe Marie.  Finalement, la propriété sera cédée le 21 octobre 1938, à la congrégation au prix des seuls frais de notaire. Cette vaste demeure va loger à la fois les religieuses et abritera des activités à caractère social. Elle deviendra le Centre Social de la Croix Saint Jacques. Marthe Marie justifie la création de celui-ci par une étude territoriale qu’elle a menée, elle-même, sur la ville de Melun et ses alentours.

Entre temps, Marthe Marie est libérée de son engagement familial car son dernier frère vient de convoler. Elle peut se consacrer entièrement aux activités sociales au sein de la fondation.

Même si la maison est prestigieuse, Marthe Marie tient à conserver sobriété et pauvreté, en accord avec les fondements spirituels de la fondation. Elle peut compter sur l’implication importante de Madeleine Delbrêl qui aide à l’installation du Centre Social.

Marthe Marie se partage ainsi entre les activités religieuses, diurnes et nocturnes, et l’action sociale. Ce qui posera problème, par la suite, car Marthe Marie et ses compagnes sont épuisées par la multiplicité des activités professionnelles et spirituelles.

Assistées d’un secrétariat non confessionnel, Marthe Marie et ses sœurs-assistantes sociales assurent des permanences régulières et instruisent les demandes, de toutes sortes, des familles en difficulté. Elles se déplacent à domicile, tissent des liens avec des partenaires sociaux et prodigue même des conseils aux syndicats des usines. Le fait de ne pas porter l’habit leur permet d’agir comme n’importe quelle professionnelle surtout dans des milieux hostiles à l’Église. En 1938 également, le Centre Social de la Croix Saint Jacques intègre le Groupement Central pour l’Action sociale.

En 1939, c’est le début de la guerre. De retour de l’Exode, courant 1940, la congrégation doit faire face à une situation singulière. En effet, la grande maison est occupée par l’armée allemande. Les religieuses vivent à l’étroit dans les dépendances de la propriété. La cohabitation est empreinte de grandes difficultés. A cela s’ajoutent les restrictions diverses, les bombardements, les contrôles incessants de la police, etc.  Les sœurs poursuivent malgré tout leurs activités sociales et s’adaptent aux rigueurs de la guerre. Elles sont en lien direct avec l’Entraide d’hiver du Secours national qui devient l’employeur conventionné de Marthe Marie. Elle y est nommée assistante sociale-chef le 25 octobre 1940. Sur sa lettre de mission, on peut lire « Marthe Marie Jacquemont, assistante-sociale chef du Secours National est chargée d’une mission générale de propagande et d’organisation sociale sur tout le territoire du département ». Le centre social collabore également avec les Maisons des Prisonniers et autres services sociaux. Germaine SOMMIER est aux côtés de Marthe Marie d’autant qu’elle s’implique financièrement au Secours national. Pendant cette période de guerre, l’accompagnement social concerne essentiellement les enfants que les religieuses-assistantes sociales tentent de nourrir et auxquels elles offrent des activités.

Le Ministère de l’Éducation nationale, par le biais de l’École pratique de service social, demande à ce que les élèves collectent des denrées alimentaires et autres produits de nécessité pour le compte de l’Entraide d’Hiver du Maréchal. C’est Marthe Marie qui sera chargée de la coordination de cette collecte. La communauté religieuse sera infatigable, faisant fi de toutes les contraintes de ce temps de guerre et se veut disponible à toutes les demandes.

Après la mort du Père Nasse, en 1941, Marthe Marie prend la direction générale de la communauté. Elle rappelle qu’au travers de sa fonction d’encadrement, il ne s’agit pas seulement d’une vie contemplative mais d’un engagement actif et de grande proximité auprès des travailleurs, des pauvres et de ceux qui souffrent : « Nous n’irons pas là où il y a des choses, nous irons là, où il n’y a rien. » Dira Marthe Marie. Entre temps, la maison est à nouveau réquisitionnée par les Allemands. Cette fois, la situation est encore plus délicate. Le contexte géopolitique a évolué. L’Allemagne a durci ses conditions d’occupation. Marthe Marie doit gérer une situation sous tension sans perdre de vue ses obligations sociales et religieuses.

Après la guerre, Marthe Marie devient assistante sociale-chef de la Sauvegarde de Seine-et-Marne. Elle est en lien permanent avec les tribunaux d’enfants et les services d’hygiène mentale. Les activités du Centre Social perdurent et vont se multiplier dans les décennies qui vont suivre. Une bibliothèque fournie est mise à disposition des familles. Le Centre social devient un lieu d’apprentissage de la sténographie, des éléments de puériculture, de la petite chirurgie, de la couture, de la cuisine, de danses régionales, etc. On y ouvre une école de musique ainsi qu’une école ménagère et un ouvroir qui accueillent essentiellement des jeunes filles et des femmes d’agriculteurs. Un service d’accueil pour personnes âgées et un dispensaire sont mis à la disposition de la population. Plus tard, le centre social verra l’ouverture de consultations d’un médecin, d’une infirmière, d’une orthophoniste et d’une psychologue du travail spécialisée dans l’accompagnement des personnes soignées à Berck. C’est aussi un centre de formation pour préparer des diplômes dans le champ de l’agriculture, en lien avec la Mutuelle Sociale Agricole.  Suivront, par la suite, des sessions de dynamique de groupes ainsi que des modules d’enseignement de Français-langue étrangère. Les enfants y fréquentent également un centre de loisirs. C’est à la Croix Saint Jacques que se réunira parfois la Fédération des Centres sociaux. Parallèlement, Marthe Marie contribue à l’ouverture d’une école de travail social à Mexico.

Envers et contre tout et malgré sa santé fragile, elle continue à se former elle-même et veille à ce que les sœurs le soient aussi. Toutes font des études dont les frais sont pris en charge par la congrégation. Il importe que chacune de ses collaboratrices puissent œuvrer en fonction de ses capacités, ses compétences et ses dispositions :  là, en pédagogie, là en psychologie, là en activités artistiques ou autres. Elle veille à s’entourer des compétences des uns et des autres pour prendre ses décisions et tient à ce que les religieuses soient adhérente à l’ANAS et cela, dès 1954.

Marthe Marie ne cessera de se consacrer sans relâche au travail social tout en menant sa vie de religieuse. Rien n’aura entamé son allant et sa force d’agir.

« Malade, je l’ai vue debout à l’office, tenant son livre et parfois même dirigeant un chant.. Son exemple était de la meilleure école.. J’ai toujours été frappée par sa tenue à table, à son bureau lorsqu’elle y travaillait. Quelques soient les sentiments qui l’animaient, colère, indignation, joie, douleur, elle restait absolument maîtresse de ses gestes et de ses paroles. » disait l’une de ses collègues.

Elle est la directrice de conscience de très nombreuses personnes qui lui demandent conseil pour prendre une décision professionnelle, familiale, personnelle, religieuse comme en témoigne une très volumineuse correspondance. Marthe Marie est à l’écoute de chacun.

Elle veut comprendre le monde et s’attèle même à une analyse comparative entre le communisme et le catholicisme. Animée d’une grande empathie, d’un « sens social inné et d’une intuition surnaturelle », expression qui revient très souvent dans les témoignages, Marthe Marie est une figure incontestable mais totalement méconnue du travail social. Elle laisse une quantité incalculable de carnets, notes, feuillets où elle théorise le travail social -jamais exploités- C’est elle qui écrira : « Le secret professionnel n’est pas une question de loi, il est d’abord promesse. C’est un secret rigoureux, (souligné dans le texte), celui qui existe comme un engagement. Pour le bien que nous faisons, il peut y avoir un excès de mutisme, il peut y avoir l’excès contraire, à raconter à ce propos. Quel est le milieu ? Pratiquement, la question ne se pose pas quand il n’y a pas avantage à révéler. » Et : « L’impartialité est rare chez les hommes. Cette impartialité est un non-jugement sur soi-même et sur les autres. Cela implique de la clairvoyance et un certain sens chevaleresque. »

Elle s’éteint le 18 septembre 1988, criblée de douleurs.

Marthe Marie est enterrée au cimetière privé de La Croix Saint Jacques, le lieu même auquel elle a consacré cinquante ans de sa vie.  

SOURCES : Archives du Centre social de la Croix Saint Jacques. — Correspondances privées confidentielles. — Témoignage de Sœur Françoise Thérèse Sartorius. – Témoignage du Père dominicain Patrick Jacquemont, filleul de Marthe Marie Jacquemont.

 Isabelle Vaha