Marie-Louise Destruel fait ses études à l’ENS (École Normale Sociale), elle y reste active auprès des pionnières fondatrices de l’école jusqu’en 1919. Puis elle revient à Lyon où elle est active dans les syndicats féminins et à l’Union Féminine Civique et Sociale. En 1933 elle participe à la création à Lyon de l’Ecole de Service Social du Sud Est (ESSSE) dont elle prend la direction l’année suivante et la conservera jusqu’au début des années 1960.
Le 28 octobre 1891 nait à Mâcon, rue des Minimes, Marie-Louise Camille Pauline DESTRUEL. Ses parents viennent de Saint Jean d’Ardèche, où son grand -père maternel était médecin, et c’est la profession d’agent des télégraphes de son père qui les conduit dans cette ville. Sa mère va trop vite décéder, en 1895, laissant 3 enfants en bas âge (après la naissance de ses frères Edmond et Jean), les petits retourneront quelques temps en Ardèche chez leurs grands-parents. Leur père se remarie en 1896, et une nouvelle fratrie naitra à Mâcon (Raoul et Yvonne), où Marie-Louise poursuit ses études. Très discrète sur sa vie privée, ses futures collaboratrices n’entendront jamais parler de ces évènements familiaux, tout au plus de son beau-frère, radiologue à Paris, père d’un petit François, lui aussi trop tôt privé de sa mère, sa demi-sœur Yvonne…
Il a été impossible de retrouver ce qui a attiré Marie-Louise vers le domaine du social. Mais c’est vers Paris qu’elle se dirige, plus précisément vers l’École Normale sociale, où elle fait ses études avant d’y être recrutée, de novembre 1916 jusqu’en janvier 1919. Un an auparavant, son frère Edmond était mort à VERDUN ; elle va donc beaucoup côtoyer les pionnières du service social que sont les fondatrices (en 1911) de l’Ecole Normale Sociale, Andrée BUTILLARD et Aimée NOVO. Son certificat de travail comme monitrice puis professeure, avec aussi une activité syndicale, signé d’Aimée NOVO, montre qu’elle y est tenue en haute estime. A l’époque, il n’existe pas de diplôme national, quelques écoles parisiennes sanctionnent les études et délivrent des diplômes d’études médico-sociales, en opposition aux formations délivrées par les sociétés Croix-Rouge, plutôt de type médical et non qualifiantes. Toutes ces nouvelles écoles sont en rivalité fréquente, quand bien même toutes voudraient aboutir à la création d’un véritable secteur professionnel de qualité. Toutes leurs fondatrices des écoles, pour l’instant parisiennes, avaient une foi intense et sincère, la doctrine sociale de l’Église de l’époque étant posée par l’Encyclique Rerum novarum de 1891, qui invitait les laïcs à s’engager dans la bienfaisance pour lutter contre une société individualiste et anticléricale. Il est évident que Marie-Louise DESTRUEL est également très croyante.
Andrée BUTILLARD et Aimée NOVO s’étaient implantées dans un quartier parisien ouvrier, étaient très au fait des dures conditions du travail ouvrier féminin et de sa mauvaise rémunération, elles s’étaient donné pour but d’informer et former des femmes, qui puissent ainsi mieux se défendre. Elles le réaliseront à l’ENS, et créeront notamment un syndicat chrétien féminin (qui deviendra la CFTC) en 1913 pour mieux les défendre. Elles publient plusieurs journaux syndicaux, dont « la travailleuse », où Marie-Louise DESTRUEL publiera un article en 1919. Le 31 octobre 1917, elles avaient aussi fondé avec quelques autres personnes un institut religieux, avec l’aide du Père Eymieu, du nom de Notre Dame Du Travail (nom de la paroisse de Plaisance où elles donnaient des conférences), auquel Marie-Louise DESTRUEL va aussi appartenir. Il ne s’agissait pas d’une congrégation, mais d’un institut, la plupart des personnes participantes vivaient seules et non en communauté, habillées en civil ; elles étaient particulièrement vigilantes à ne pas afficher leurs convictions, à cause du pouvoir des responsables religieux de l’époque, tout comme d’un anticléricalisme de la société. Cet institut deviendra en 1949 un institut séculier. Andrée BUTILLARD obtint par la suite des patrons de la Haute couture qui employaient ces ouvrières l’organisation de cours pour leurs apprenties, et c’est parmi elles que se recruteront dès 1924 les premières Guides de France, crées par Marie DIEMER. Mademoiselle DESTRUEL sera également liée à ce mouvement, avec le titre de commissaire scoute qui revêt grande importance à ses yeux, elle gardera toujours sa croix scoute.
Nous l’avions laissée en janvier 1919, son certificat de travail à l’ENS nous apprenait qu’elle se dirigeait désormais « à LYON, où l’attendait un large champ d’activité ». En fait, elle avait été appelée par Mme MATHIAS, la secrétaire générale des syndicats professionnels féminins (6, rue des capucins à LYON), pour qui elle va travailler jusqu’en 1925 comme secrétaire de l’organisation, dans laquelle elle donnera aussi des cours professionnels, réalisera des visites et enquêtes en vue d’actions professionnelles. Et en 1922, elle va aussi être employée dans un foyer de jeunes filles, tout juste fondé par l’Association Féminine pour l’Action Sociale, en qualité de secrétaire. Il est situé rue Sébastien Gryphe à Lyon, elle y sera domiciliée. Elle en prendra la Direction en octobre 1925 jusqu’en novembre 1933, et son certificat de travail nous apprend qu’elle lui a assuré « un intéressant développement, qu’il jouit d’une excellente réputation à Lyon ». En 1925, elle va enfin participer à la création de l’Union Régionale pour l’Éducation Civique et Sociale de la Femme (rue Mulet à Lyon), à l’activité de laquelle elle va ensuite largement participer, par des cours en sciences sociales, ainsi qu’à différentes réalisations de cette Union.
En 1923, Andrée BUTILLARD avait fondé l’Union des Auxiliaires sociales, pour regrouper les élèves sortant des formations exclusivement sociales, afin de défendre la création d’un diplôme national qui ferait ressortir la spécificité de leurs études. Marie -Louise DESTRUEL en fera également partie. Et ce diplôme sera enfin organisé par le décret du 12 janvier 1932, ce qui influencera alors son destin.
Cette même année retrouve aussi Mademoiselle DESTRUEL membre du Conseil d’Administration de L’ENS, constitué de permanentes de l’école et de personnalités, la Présidence étant toujours dévolue à Aimée NOVO. Le projet qu’elles forment, depuis 1930 et avec d’autres (Madeleine CARSIGNOL, Marcelle ROLLET) est la création d’une école à Lyon, soutenue dans sa création par l’ENS, afin que les futures élèves n’aient plus à venir à Paris, comme elle avait dû le faire…L’Association « École de service social du Sud Est » a été déclarée en Préfecture le 9 mai 1933, dans le but de préparer aux carrières de service social, Mademoiselle DESTRUEL en est la secrétaire. Le siège est alors 3 rue Sainte Croix. Il s’agit de promouvoir le service social et ses méthodes, mais articulé à une action sociale qui considère la question sociale et met en jeu d’autres agents ; le travail collectif, la participation des usagers seront la marque de l’équipe pédagogique, largement constituée des premières diplômées. Il est également primordial de pouvoir fournir aux institutions qui se créent dans le paysage social du personnel compétent. Mademoiselle DESTRUEL en prendra la direction en 1934, après avoir validé son diplôme à l’ENS en 1934.
La première promotion intègre en octobre 1933, 31 jeunes femmes en externat, sur 2 ans, où les stages prennent vite une grande importance ; seulement 14 sortiront diplômées. Mademoiselle DESTRUEL ayant dirigé un foyer de jeunes filles, elle fera en sorte d’y faire héberger ses élèves non-lyonnaises, mélangées avec des employées de commerce, de l’industrie ou d’administration, permettant ainsi d’accueillir des « internes », dont certaines seront boursières. C’est aussi un système que Mademoiselle DESTRUEL va organiser, à partir des personnes qui composent le Conseil d’Administration de l’école (6 à 12 membres). La Chambre de Commerce de Lyon a accordé son patronage dès 1933, puis la Caisse d’Épargne suit, la Chambre d’Agriculture, et enfin l’Union de syndicats agricoles, qui accorde des prêts d’honneur. Mademoiselle DESTRUEL entretiendra les liens avec des acteurs du privé comme du public, la municipalité d’Edouard Herriot comme la Préfecture, mais il est clair qu’elle est très attachée, comme le Conseil d’Administration le souhaite, à ancrer l’école dans le milieu local et le secteur professionnel, notamment avec la création du Comité de Patronage (propagande, recrutement de nouvelles élèves comme de membres bienfaiteurs). L’équipe enseignante sera composée autour de Marcelle ROLLET, de permanentes auxquelles s’adjoindra en 1939 Andrée POTET (qui succèdera à Mademoiselle DESTRUEL bien des années plus tard), elle attachera un soin extrême aux stages des étudiantes, qui permettront de consolider les différents partenariats ainsi noués.
Le 9 mars 1934, L’École reçoit l’approbation officielle du Ministère de la Santé Publique et l’autorisation de présenter des élèves au Diplôme d’État de juillet 1935. Elle s’installe alors 1 rue Alphonse Fochier, pour environ 40 ans… Les professeurs seront des hommes de notoriété issus du catholicisme social, philosophes, littéraires, juristes, économistes, fonctionnaires du Ministère de la Santé publique, on note une tutelle discrète de l’enseignement catholique sans qu’il y ait de prêtre, ni d’ailleurs de médecin, des sommités des Hospices Civils de Lyon arriveront ultérieurement, ce qui constitue une notable différence par rapport à d’autres écoles. Un témoignage d’une ancienne formatrice montre que Mademoiselle DESTRUEL est vigilante à s’assurer les compétences que pourraient fournir les parents d’élèves qui disposent de connaissances utiles à ses élèves, souvent mineures lorsqu’elles intègrent l’école. Le lien avec le catholicisme social est transparent, notamment avec la présence de Marius GONIN parmi les administrateurs (il est le fondateur des semaines sociales, de la revue Chronique Sociale du Sud-est, dans laquelle les responsables de l’ESSSE écriront plus tard)
Dès 1934 s’ouvre la formation de jardinières d’enfants, avec l’ouverture d’un jardin d’enfants pour ceux du quartier. Cette idée de travail communautaire avec la population d’un quartier sera reprise plus tard à l’achat du château de Ménival, pour en faire un centre social, récupérer des locaux pour l’école. Et s’organisent des cours d’enseignement social et ménager, pour former les femmes à leur rôle familial. Cette section deviendra en 1936 la filière sciences familiales, préparant aux professions de maitresse de maison et monitrice d’enseignement ménager.
En décembre 1935, Mademoiselle DESTRUEL sera nommée au Conseil de Perfectionnement des écoles de service social, belle reconnaissance dans un paysage encore très parisien…
Le 10 septembre 1938, l’École reçoit l’agrément par le Ministère de la Santé pour la préparation au Diplôme d’État de service social ; dès octobre se met en place leur nouveau programme d’études, sur 3 ans, dont la première année est commune avec les infirmières ; et pour cela est créé une entente pérenne avec l’École de la Croix-Rouge et l’école catholique d’infirmières pour y pourvoir, dès 1941.
En novembre 1939 s’ajoute une filière d’auxiliaires sociales, pour répondre aux besoins créés par les évacuations de populations, 2 sessions de 6 mois se sont succédé. L’année 1940 verra une réorganisation de la section familiale et ménagère en 2 années d’études conduisant au certificat Régional de monitrice d’éducation familiale et ménagère ; en 1941, Mademoiselle DESTRUEL sera reconduite au comité de perfectionnement des écoles de service social, en 1942 L’École sera habilitée pour les spécialisations de Surintendantes d’usines et d’Assistantes sociales de l’Enfance (Cette première spécialisation n’existera qu’une seule année, reprise ensuite par le Ministère du Travail). Les années de guerre verront baisser les effectifs d’élèves. Mademoiselle DESTRUEL se montre très attentive à la formation des élèves, particulièrement celles qui interviendront dans le milieu rural. L’école est reconnue aussi comme école des cadres pour la formation des Monitrices et professeurs d’enseignement familial et ménager.
En décembre 1944, Mademoiselle DESTRUEL participe au congrès de fondation de l’Association Nationale des Assistantes Sociales Diplômées d’Etat (ANASDE) qui devient l’ANAS en 1948. Elle est vice-présidente de cette association de décembre 1944 à novembre 1950. C’est grâce à l’organisation matérielle qu’elle a mise en place que le premier congrès de l’ANAS a pu se tenir à Lyon du 29 novembre au 2 décembre 1946 ; son thème était « service social et structures nouvelles ». L’ANAS a permis la collaboration entre collègues, l’unification des enseignements, la création d’une éthique professionnelle permettant de lutter contre des dérives demandées par des employeurs dans ces années bien troubles de la guerre.
En 1950 sera créée la section infirmière (en fait, la deuxième année qui s’ajoute à la première année mixte), mais 1951 voit fermer le jardin d’enfants et la formation au monitorat d’enseignement familial et ménager. 1952 verra l’organisation de la formation monitrice de maison d’enfants, préfigurant la formation d’éducatrices spécialisées.
En 1953, Mademoiselle DESTRUEL sera nommée par arrêté du Garde des sceaux assesseur suppléant au Tribunal Départemental des enfants du Rhône pour 3 ans, confirmée en 1956, puis 1959, très appréciée par le Chef de Parquet, comme en témoigne un courrier où celui-ci lui apprend sa nomination à Grenoble. Cette charge sera ultérieurement confiée à Mademoiselle POTET.
En 1955, l’école sera agréée comme centre de formation de Jardinières éducatrices par le Ministère de la Santé Publique et la Population. Un témoignage d’élève de ces années-là fait part de l’instauration de cours communs avec les infirmières et les assistantes sociales, ce qui enrichit notoirement l’enseignement et prépare les futures professionnelles à collaborer, connaissant les métiers respectifs ; une richesse que cette personne, devenue ensuite cadre enseignante, ne retrouvera pas ailleurs… Mademoiselle DESTRUEL est alors décrite comme une personne impressionnante pour les élèves, malgré un sourire fréquent et une connaissance des prénoms de chaque professionnelle de toutes sections, et assez souvent celui des élèves. En 1958 s’ouvrira une section de secrétaires sociales, qui deviendra bien plus tard le BAC F8. Et pour Marie-Louise DESTRUEL, l’attribution de la Médaille de l’Éducation surveillée le 2 mai 1958 confirme la valeur reconnue à sa présence au Tribunal pour enfants, comme l’écrit le Procureur de la République.
Une association des anciennes élèves de l’ESSSE est créée, qui a participé à la célébration du 25ᵉ anniversaire de l’École le 1ER MARS 1959, où elle retrace le parcours de l’École ; un journal parait annuellement, qui montre Mademoiselle DESTRUEL très soucieuse du recrutement des élèves devenues professionnelles, informe des créations de nouveaux services sociaux dans divers champs du social, évoque les diverses professions formées dans l’École. Une rubrique du journal fait témoigner les professionnelles de voyages d’études à l’étranger, de congrès internationaux d’écoles de service social. Un carnet blanc et rose permet de ne pas se perdre de vue…
Mais la succession à la Direction de l’École devra s’organiser : entre 1960 et 1963, elle passera progressivement de Marie-Louise DESTRUEL à Andrée POTET. Le 11 février 1963, Marie -louise DESTRUEL est promue officier de l’Ordre de la Santé Publique, elle reçoit une lettre de félicitation de Bernard LORY, qui se dit « heureux de l’hommage rendu à vos mérites et à votre activité ».
Sa retraite se passera à Paris, entourée par sa famille et ses amis. Elle s’éteindra le 14 février 1978 à son domicile, c’est-à-dire la maison de retraite du boulevard de Charonne où elle s’est retirée.
Brigitte LENOBLE-CORREARD février 2021
SOURCES : – Archives de l’école ESSSE, sélectionnées par Yvette BADERO – numéro spécial Vie Sociale janvier-avril 1995, article sur l’ESSSE de Pierre MERLE et Marie Noëlle LUC – Documents fournis par ses neveux, François et Nicole DUCHAMP que je remercie particulièrement.