Née à Limoges (Haute-Vienne) le 13 avril 1917, Germaine Ribière fut pendant la Seconde guerre mondiale, sous l’Occupation, une jeune femme en résistance. Du 1er novembre 1941 à la Libération, elle fut la « responsable nationale des services d’Entraide sur tout le territoire » du mouvement clandestin TEMOIGNAGE CHRETIEN, homologué par décret du 9 septembre 1944, reconnu R.I.F. Résistance Intérieure Française.

Elle reçut en 1947 deux hautes distinctions : la médaille de la Résistance française et la croix de guerre 1939-1945 avec étoile de vermeil, citation à l’ordre du corps d’armée directement reprise du mémoire de proposition du père Pierre Chaillet, Fondateur responsable national de Témoignage Chrétien, qui demandait pour elle la Légion d’honneur.

Elle reçut la Légion d’honneur en 1956 après l’affaire Finaly, et la médaille de Yad Vashem en 1967.

Elle fut une figure majeure de la Résistance chrétienne et Juste parmi les Nations.

Comme figure féminine de la résistance civile, dans le domaine du service social, elle fut à la manœuvre sans discontinuer, discrète et très secrète. Ses initiatives prises dans la clandestinité, son « intelligence inventive », rendirent d’éminents services et la rendirent indispensable au sein de l’équipe centrale du mouvement composée de jésuites, de protestants, de juifs, pour la plupart des croyants, qui se donnèrent la main.

Elle était la seconde fille de sa famille. Léon Ribière, son père, né à Limoges en 1875 dans une famille de porcelainiers (les ouvriers de l’industrie porcelainière), s’en était émancipé.

Sillonniste (le mouvement de Marc Sangnier) et leplaysien (la société savante fondée par Frédéric Le Play) au tournant du siècle, il fut le responsable discret, pendant plusieurs années, des cercles d’études sociales qui mêlaient des jeunes ouvriers et des étudiants de sa ville. Fort de ses études à l’ENAD, Ecole Nationale d’Art Décoratif de Limoges, de ses 15 ans à ses 20 ans, il était peintre sur porcelaine et il était sans doute chambrelan (artiste indépendant) à la naissance de Germaine ; il changea de métier vers 1922, après 20 années de pratique, et devint agent d’assurances, car il avait pu suivre des cours de droit à Limoges et on le connaissait. Il s’était marié tard, en 1909, et la famille vécut en centre-ville, place Blanqui. La mère de Germaine Ribière était et demeura couturière pour petits garçons, établie au domicile familial. C’était une famille de milieu modeste mais honorablement connue : père très croyant, présent, une éducation solide qualifiée ainsi par Germaine : « ouverte sur ce qui se passait dans le monde ».

Son père mourut en 1937 et sa mère en décembre 1943. Son frère fut prisonnier de guerre en Allemagne avec d’autres séminaristes de Limoges et sa sœur aînée vivait au Maroc où elle donna naissance à sa fille en 1941.

Germaine Ribière vécut à Limoges jusqu’à l’âge de 26 ans, mais elle demeura une étudiante de Poitiers, en philosophie, jusqu’en 1941 ; elle avait été inscrite en 1935 avec le Brevet élémentaire, passé à Limoges en 1934. Elle ne réussit certainement pas à s’inscrire à la Sorbonne en 1940-1941 lorsqu’elle fut appelée à Paris dans l’équipe nationale de la J.E.C.F. (Jeunesse Etudiante Chrétienne Féminine), où elle était en charge des lycées.

Pour ses amies et les compagnons de résistance de sa génération, elle était et resta Maine. Elle fut toujours Mlle Ribière ou Germaine Ribière pour les ecclésiastiques, sans alias pour ses activités clandestines. Elle-même se présentait toujours comme « Mlle Ribière, étudiante en philosophie ».

L’engagement social fut pour elle un engagement de résistance.

Il faut donc présenter Germaine Ribière d’abord en résistance, de 1940 à 1944. Ce fut un parcours cohérent qui débuta parmi les étudiants de Paris en novembre 1940 et se poursuivit au cours de l’année 1941 parmi ses camarades jécistes où elle chercha à repérer ceux qui étaient vraiment capables de s’engager. Le danger du nazisme était tel pour les Juifs que les Chrétiens devenaient responsables de leur sauvetage. Son père l’avait « mise en vigie », c’est son expression, en présentant à ses enfants dès avril 1933 les premières exactions des Nazis contre les Juifs allemands, elle atteignait ses 16 ans, et il était décédé en 1937 ; il avait « beaucoup parlé » avec elle, dit-elle, mais elle avait juste 20 ans ; « Vichy » fut pour elle une imposture, il fallait réagir, et il fallut tenter de contrer des déportations.

Elle partit à Lyon, où le jésuite Pierre Chaillet prenait, fin 1941, la tête de la Résistance chrétienne et elle fit partie immédiatement de l’équipe centrale de l’Amitié Chrétienne et Témoignage Chrétien, parce qu’elle avait du bon sens et le sens de la clandestinité pour agir et réussir les missions qu’on lui confiait. Elle ne quittait pas Limoges où sa mère l’aidait à cacher des personnes menacées. Sauvetages et camouflages de familles et d’enfants juifs devinrent son quotidien, sans prosélytisme, partout où elle passait, et toutes sortes de missions clandestines lui étaient confiées simultanément. Elle parcourait la France en train, franchissant la ligne de démarcation et les frontières, infatigable, intrépide, et même chef de guerre aux yeux de ses amis de Lyon, tant était grande sa détermination. Elle sauva des centaines de vies mais n’en fit jamais aucun décompte.

Très autonome au jour le jour, très mobile de ville en ville, la gare de Limoges resta son point d’attache principal jusqu’au décès de de sa mère en décembre 1943. Limoges, Poitiers, Paris, Lyon, Grenoble, Brive, Toulouse, la Suisse, la Belgique, on la croisa partout sans la connaître, mais elle osait agir partout, s’interdisant la peur. En 1944, elle vécut entre Lyon et Paris, elle était à Lyon à la Libération.

Le mémoire de proposition pour la Légion d’honneur, rédigé par le père Chaillet en 1946 au sortir de la guerre, précise dans l’exposé des faits :

« Au profit des victimes des persécutions raciales ainsi que des réfugiés polonais et alsaciens, elle met sur pied un réseau d’assistance et de camouflages qui sauvera des milliers de vies humaines, abritant de nombreux réfugiés dans sa propre maison (1941-1943).,Venue à Lyon en mission en février [janvier] 1943, elle n’hésite pas à affronter personnellement la Gestapo qui occupait les locaux de l’Amitié Chrétienne, organisation de camouflage du T. C. [Témoignage Chrétien]. »

C’était exact : elle avait décidé la veille au soir de passer la journée dans l’escalier pour prévenir les Juifs de ne pas monter chercher les faux papiers préparés pour eux, ils auraient tous été arrêtés. C’est son exploit le plus connu, elle avait été informée d’arrestations par la Gestapo à la gare de Perrache, justement elle rentrait de Limoges.

Le service social de Germaine Ribière en temps de guerre et à la Libération fut donc improvisé. « Assistante chef de meute » de Louveteaux à Limoges en 1935-36, étudiante à Poitiers au moment de l’Exode, sans formation, elle avait créé un accueil pour les bébés, une pouponnière qui se structura par la suite avec l’aide de lycéennes bénévoles que quelques professeurs sollicitaient.

Très vite les Jécistes de Poitiers, Maine et les amies de Maine, connurent par le père Fleury et le rabbin Bloch les violences qui se déroulaient à Poitiers, ville de la zone occupée, en lien avec le camp dit de concentration de la route de Limoges, destiné aux Tsiganes, puis côte à côte mais séparément aux Tsiganes et aux Juifs. Au départ de la prison de ce camp, les transferts à Drancy se multiplièrent à partir de juillet 1942 et tout au long de l’année 1943, séparant des familles repliées de Lorraine depuis 1939 et assignées à résidence dans diverses communes, alimentant les déportations de Juifs vers Drancy puis au départ de Drancy, on sut plus tard que c’était principalement vers Auschwitz.

Trois actions furent essentielles dans cet engagement, à l’échelle nationale, et toujours dans l’urgence : trouver des refuges, convoyer des femmes et des enfants seuls, apporter les sommes nécessaires aux familles d’accueil. Il n’y a ni photos ni archives – sauf des listes pour les enfants confiés au père Théomir Devaux, 450 enfants environ. En 1943, les décisions étaient souvent prises à trois personnes dont Germaine Ribière, rue Notre-Dame des Champs, au siège de la congrégation Notre-Dame de Sion. Ceci se passait silencieusement en province, dans des régions rurales ou dans des villes ou des bourgs desservis par le train.

Il faut insister, parce que c’était capital à cette époque, sur la distribution de faux papiers d’identité et de fausses cartes d’alimentation que procurait à Maine massivement l’excellent faussaire à Lyon de Témoignage Chrétien, Jean Stetten Bernard, et à Paris en plus, pour Maine en 1943-44, son amie Marcelle Deschamps, étudiante en médecine jéciste de Poitiers qui partageait son appartement et l’assista activement pour le service social, alimentant en cartes vierges Constance de Saint-Seine et Hélène Durand, leurs amies vivant à Poitiers.

Dans le cartable de Germaine Ribière, il n’y avait en permanence que des papiers compromettants.

Un second témoignage, présenté par le père Jean Fleury au cours d’une conférence, en 1970, permet de se faire une idée du rôle particulier qu’avait Germaine Ribière agissant à Poitiers en 1943 :

« Il y avait tout un réseau au centre duquel je m’étais trouvé comme par hasard, Mlle de Mornac, Mlle Durand, Mlles Peltier et Bourlat, Mlles Marzellier et Fayolle à la Préfecture, Mlle Tête, les assistantes sociales, Zita Ricard, Germaine Ribière qui débarqua un jour à la gare de Poitiers avec onze enfants devant les miliciens en position avec leurs mitraillettes, Eva Reiserova maintenant en Australie, Mme Poirier dont je connaissais l’activité (…) Le sinistre adjudant [Hipp] de la Gestapo prétendait qu’il y avait encore trois cent juifs cachés dans la Vienne, ce qui était vrai.

Enfin la Libération arriva au moment le plus difficile. Il était temps. Quelques temps encore, on n’aurait pas tenu.

Mme Peltier vint me demander si je pouvais l’aider à payer la pension de trente-deux enfants qu’elle avait placés. Les communications étaient devenues plus difficiles. Heureusement, Germaine Ribière était venue de Paris et m’avait apporté cent mille francs. Cela permit de payer les parents nourriciers et d’assurer la pension d’autres Juifs qu’on cachait. »

« J’organisais », répondit Germaine Ribière quand on l’interrogea sur son action, dans les années 90. On peut attester que lorsqu’elle devait improviser, elle le faisait avec une empathie qu’elle conserva sa vie durant, et toujours la volonté d’assurer le suivi ; elle passait voir les enfants cachés dans des familles non juives en apportant elle-même l’argent nécessaire à leur entretien. Elle agissait d’ailleurs en lien avec des assistantes sociales dans toutes les régions où elle mettait des enfants à l’abri, comptant sur les recherches d’hébergement de ses amies en Poitou et sur l’aide de convoyeuses qu’elle recruta parfois elle-même et qui accompagnaient comme elle des petits groupes d’enfants.

Pour ce service social très particulier du temps de guerre, elle avait acquis expérience et expertise. Elle avait l’instinct très sûr de ce qu’elle pouvait réussir et n’hésitait jamais longtemps. Vu l’urgence des situations, rien ne pouvait attendre.

A la Libération, à Lyon, elle accepta d’aller plus loin encore, de s’engager auprès d’un homme politique, Yves Farge, qu’elle connaissait depuis 1942 à Lyon puis à Paris, et qui devint commissaire régional de la République, en charge des huit départements formant Rhône Alpes. Faisant partie du service de santé FFI, elle reçut un laissez-passer lui permettant d’assurer sa fonction de coordination des œuvres sociales, à cette échelle. Elle accueillit par exemple l’aide alimentaire octroyée par la Suisse aux ouvriers de Lyon et de Saint-Etienne, on connaît quelques photos officielles de l’OSEO, l’Œuvre Suisse d’Entraide ouvrière (Zurich). En mai 1945, elle fut envoyée en mission en Allemagne (Allach-Dachau), chargée de ramener les déportés politiques de la région Rhône Alpes à Lyon, dans ce même cadre. Elle prit le temps nécessaire pour veiller sur chacun d’entre eux, son rétablissement et sa réinsertion, avant de quitter Lyon pour reprendre ses études à Paris. Là encore, le travail social correspondait à une responsabilité assurée avec une honnêteté et une empathie remarquables. Elle quitta Lyon le 15 octobre 1945.

Elle devait absolument reprendre ses études, interrompues pendant cinq années. Elle aurait pu choisir le service social. Mais elle voulut étudier dans le domaine médical, et elle réussit à le faire auprès de deux médecins-chefs d’hôpitaux psychiatriques qui acceptèrent son choix et assurèrent sa formation en neurobiologie et psychopathologie, avant et au cours des années effectuées comme stagiaire de recherche au CNRS (1949 à 1951). Les lettres de recommandation de ces deux médecins de renom, accompagnant la citation de sa croix de guerre, avaient convaincu le jury d’admission de lui donner sa chance, au lendemain de la guerre.

Il lui manqua toujours les diplômes qui auraient pu lui permettre de faire carrière, d’avoir un emploi rémunéré et stable. Elle ne se plaignit jamais. Elle pouvait compter sur le soutien fidèle d’amis qui lui faisaient confiance et la voyaient poursuivre ses recherches personnelles avec une ardeur qui ne faiblissait pas, sur un chemin de crête entre science et foi chrétienne. La cause des enfants restait une priorité pour elle qui avait accompagné à Limoges, au printemps de 1947, des enfants en très grande détresse. Comment assurer à tous les enfants croissance et éducation ? C’était à ses yeux une question de justice et elle ne perdit jamais de vue ce combat. Réussir à publier chez Nathan en 1977, associée à deux médecins de Milan, un ouvrage de pédagogie préscolaire sur L’élaboration du langage chez l’enfant de 18 mois à 5 ans fut l’apogée de son parcours de chercheur.

Dans les années 70, elle s’intéressa de près aux travaux de Maria Montessori et elle fabriqua, pour ses amis Lanternier de l’école privée Montessori de Rennes (des Limousins), des objets d’expérimentation pour les enfants qui s’y trouvent encore ; elle venait régulièrement présenter aux enseignants les avancées des neurosciences et écrivit de courts articles dans leur bulletin de 1979 à 1989.

« Elle regardait vers l’avenir » !

Ses amies très respectueuses de ses silences n’osèrent jamais la questionner sur son parcours.

C’était le signe d’une forte personnalité, forgée pendant « les années sombres », qui furent pour elle celles du service social.

Claude PENIN Limoges, 13 décembre 2023.

Sources :

Arch. familiales : une vingtaine de pièces et documents officiels, dons envisagés en 2024

Arch. départementales de la Vienne, 2683 W 95 ; 2683 W 51

SHD Service Historique de la Défense, GR 16 P 508685 et GR 18 P 40

Mémorial de la Shoah, CMXCV, CMLXXIV (7)-14, CMLXXIV (4)-7 et -9 ; CDLXXVI-43 ; DCLXXVIII-1 …etc

Archives Nationales, dossier de chercheur du CNRS n°20111090/184

ANDS Archives de Notre-Dame de Sion, Gen 4_Ma_648_7

Archives du ministère des Affaires étrangères, site de la Courneuve, série Protocole, dossier de Légion d’Honneur

Dr Gaston Lévy, Souvenirs d’un médecin d’enfants à l’OSE en France occupée et en Suisse, mis en ligne

Alice Steinitz, Quitte ton pays…. Fayard, 1993, mis en ligne, et témoignages inédits de ses amies.

Articles de revues : Rencontre – Chrétiens et Juifs, signés G.A. Ribière, de 1967 à 1986 ; Information Juive, mai 1973 ; Bulletins des Enfants cachés, de 1993 à 1998  et textes de colloques d’historiens et témoins.