Née le 31 mai 1880 à Besançon (Doubs), décédée le 12 septembre 1936.

Juliette Delagrange naît le 31 mai 1880 à Besançon dans une famille protestante d’imprimeurs. Elle est la fille de Charles Delagrange et de Marie-Louise Louys. Après des études au lycée de jeunes filles de cette ville et dotée du brevet élémentaire, elle travaille dans l’imprimerie de ses parents, rue Desgrange. Celle-ci connaît des difficultés en raison de la gestion défectueuse de son père. En effet, son père, passionné d’entomologie, s’absenta fréquemment du foyer pour ses recherches et, d’ailleurs, donna son nom à des lépidoptères. De ce fait, ses affaires périclitèrent et Juliette Delagrange fut obligée de travailler.

Juliette prend alors un poste de préceptrice dans la famille d’un industriel de Belfort dont la femme était sérieusement souffrante et ne pouvait s’occuper de ses deux enfants. C’est là que Juliette Delagrange surmontant sa timidité, apprit à prendre des responsabilités. Elle dut pourvoir à l’éducation et à l’instruction des enfants mais consacrait ses heures de loisirs à des œuvres charitables protestantes et d’union chrétienne. À la déclaration de guerre, les enfants partent pour la Suisse et Juliette se retrouve sans travail.

En septembre 1917, Juliette Delagrange intègre la deuxième promotion de l’école des surintendantes.  Elle effectue son stage à l’arsenal de Puteaux et est diplômée en décembre 1917. Suite à une circulaire de Loucheur, alors ministre dans le cabinet de guerre, définissant les dispositions réglementaires régissant les surintendantes d’usine en service dans les établissements de l’artillerie, elle fut envoyée en décembre 1917 à l’école de pyrotechnie de Bourges et y retrouva quatre autres surintendantes dont Mme Gervais-Courtellemont, Melles Lenais et Leduc. Dans cette usine dirigée par le général Appert, elle fut répartie avec ses compagnes, dans les principaux ateliers ou groupes d’ateliers et avec de très gros effectifs (plus de 15000 ouvrières et ouvriers) qui fabriquaient des munitions. Elle recevait les réclamations émanant de 6 000  ouvrières, résolvait des questions d’hygiène du travail, d’entraide sociale, de protection de la mère et de l’enfant.

Après l’armistice, à la demande du préfet du Nord, elle est nommée inspectrice déléguée par le ministère des régions libérées pour créer les services d’hygiène, de protection de l’enfance, d’assistance au retour des réfugiés. Elle monta un important service de 22 infirmières.

Puis appelée au Ministère de l’hygiène, elle y supervise les questions d’hygiène et d’assistance pour 8 départements : Aisne, Ardennes, Marne, Meurthe et Moselle, Nord, Oise, Pas de Calais et Somme. Elle dirige alors neuf inspectrices et 100 visiteuses et crée un ensemble d’œuvres sociales, des consultations, des ouvroirs, des bibliothèques, des sanatoriums…

L’année 1922 est marquée par ses activités très riches. D’une part, après le décès accidentel d’Hélène Gervais-Courtellemont (1861-1922), Juliette Delagrange qu’elle affectionnait comme une fille, est devenue présidente de l’Association des travailleuses sociales (ATS). Le but de l’ATS est de  « grouper les femmes qui consacrent leur vie à l’hygiène, l’éducation et l’assistance sociale, de leur fournir un organisme d’entraide, d’établir entre elles des relations suivies qui leur permettront d’étudier les questions professionnelles et le développement des institutions auxquelles elles sont attachées ; enfin, de maintenir entre toutes les travailleuses sociales une même ardeur de dévouement au bien général. (L’Association s’interdit d’une manière absolue toute propagande politique ou confessionnelle) ». Juliette Delagrange y fut très active jusqu’à la fin de sa vie.

D’autre part, à la création du Conseil de perfectionnement des écoles d’infirmières qui découle de l’application du décret du 27 juin 1922 instituant le diplôme d’État d’infirmière et de visiteuse et qui dépend de la direction de l’Assistance et de l’Hygiène publique, Julie Delagrange occupe la fonction de secrétaire, sous la présidence du Pr Maurice Letulle (1853-1929) et la vice-présidence de Léonie Chaptal. Juliette Delagrange prépare les séances du Conseil, donne suite aux décisions prises : arrêtés, circulaires, correspondances… Mais le Conseil n’a pas assez de ressources humaines pour faire appliquer toutes ses décisions, aussi la création du Bureau central des infirmières eut lieu en août 1925. Il ne tarda pas à prendre sous son impulsion une activité incomparable et Juliette Delagrange le dirigera Jusqu’à sa mort. Ses fonctions sont multiples : visiter les écoles pour examiner leur organisation et présenter leurs demandes d’agrément au Conseil de Perfectionnement, centraliser les informations relatives aux écoles (liste des établissements agréés, adresses, organisation des cursus, établir un fichier national des infirmières diplômées, élaborer des statistiques, organiser les examens, informer les candidates à l’entrée dans les écoles, aider les infirmières diplômées à trouver du travail dans les hôpitaux ou les dispensaires, etc. Ce Bureau est d’abord rattaché à l’Office national d’hygiène sociale, sous l’autorité du directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques. Puis, en 1934, il est rattaché au ministère de la Santé publique, et fonctionne comme l’un de ses services réguliers. Le Bureau joue un rôle de coordination important dans une profession en pleine croissance : Juliette Delagrange obtient et gère une ligne budgétaire pour le fonctionnement des écoles d’infirmières et l’attribution de bourses d’études aux jeunes filles peu fortunées. Elle se bat pour que seules des infirmières ayant le diplôme d’État occupent les postes à pourvoir. Alors que les écoles comptent 950 élèves en 1927, ce nombre monte à 2 500 en 1931 ; 24 404 en 1930. A cette date, près de 27 600 diplômes ont été délivrés. Juliette Delagrange siège également au Conseil de perfectionnement des écoles du service social.

En 1928, le Pr René Sand, secrétaire de la Ligue des sociétés Croix-Rouge, a souhaité organiser la première grande conférence internationale du service social, mais il rencontre de vives oppositions. En France, Juliette Delagrange soutient son projet qui reçoit l’appui de personnalités aussi diverses qu’Albert Thomas, ancien ministre, directeur du Bureau international du travail (BIT), Mgr Chaptal, ainsi que celui de plusieurs grandes animatrices d’œuvres privées : Marie Diémer, Léonie Chaptal, Renée de Montmort, Georges Getting, Marie-Jeanne Bassot, Apolline de Gourlet… C’est à Juliette Delagrange que revient l’honneur de prendre la tête de la délégation française à cette Conférence internationale qui eut lieu en juillet avec 2 500 participants venant de quarante-deux pays. Elle a également été à la Conférence internationales du Service social de juillet 1932 qui a eu lieu à Francfort et y est intervenue dans la deuxième commission intitulée «  Le service social de la famille comme unité économique spirituelle et morale ». La 3° Conférence internationale du service social eut lieu à Londres en Juillet 1936.

En 1930, sentant que les circonstances s’y prêtaient enfin, J Delagrange propose de reprendre la question du diplôme d’Etat des assistantes sociales. Une commission d’études est alors nommée par le premier ministre et Juliette Delagrange occupera un des postes de secrétaire en qualité de Présidente de l’association de l’Association des travailleuses sociales (ATS). Elle est ainsi une cheville ouvrière du Brevet de capacité professionnelle créé par le décret du 12 janvier 1932.

Juliette Delagrange fit également partie de nombreuses autres activités sociales : Association d’hygiène sociale de l’Aisne (AHSA) en 1923, membre du conseil d’administration du sanatorium de Chantoiseau, Comité national de l’enfance, Conseil supérieur des pupilles de la nation… Son engagement féministe est important. Elle a été membre du comité central de l’Union française pour le suffrage des femmes, membre fondateur du Soroptimist-club, mouvement » (fondé en 1921) pour des femmes exerçant une activité professionnelle et aidant de leurs compétences les communautés locales, nationales et internationales en faveur des droits humains et du statut de la Femme. En 1935, elle avait été nommée par le Commissaire Général de l’Exposition 1937  Présidente de la Classe « La Femme, l’Enfant et la Famille », etc.

De frêle santé, elle n’a pourtant pas interrompu ses activités, prenait peu de repos et de vacances. Avec beaucoup de courage elle a lutté jusqu’à la fin et avait une vie intérieure qui la soutenait. Sa mort inattendue, survenue le 12 septembre 1936 à l’âge de cinquante-six ans, a soulevé beaucoup d’émotions. Ses collaboratrices ont organisé une série d’hommages sous la présidence de Paul Strauss. Y étaient notamment présents le pasteur Cadix, Mme Cécile Brunschvicg, le général Appert, le Dr Édouard Rist, Mme Kempf-Berthelot… « Tout, en elle était vie, action, dévouement. Elle avait une inoubliable compétence. Elle, si frêle de santé, savait semer la force et l’énergie. » a –t-il été écrit dans le journal La Française du 17 octobre 1936

SOURCES : Bibliothèque Marguerite Durand. dossier Juliette Delagrange. — Brigitte Bouquet, « Juliette Delagrange. 1880-1936 », Revue Vie sociale, n° 3-4, n° spécial, mars- avril 1993. — Marie Françoise Colliere, « Juliette Delagrange (1880-1936) », La Revue de l’Infirmière, N.164 / 2010.

Brigitte Bouquet