Suzanne Termat, née en 1899, obtient son diplôme de surintendante en 1934. Après un poste à la Compagnie du PLM, elle devient directrice de l’école des surintendantes en 1942 puis à partir de 1947, assistante sociale principale à la SNCF. Elle décède à l’âge de 70 ans, en 1969.

Suzanne Termat est née le 7 mars 1899 au domicile de ses parents situé boulevard St Michel à Paris. Son père, Paul Charvet, âgé de 32 ans, est professeur de mathématique au lycée Buffon à Paris et chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur. Sa mère, Virginie Dumolard, 23 ans, est sans profession. La famille maternelle est originaire de Notre- Dame-de-Vaulx en Isère, commune fortement marquée par le jansénisme. La vie familiale revêt un caractère austère inspirée de cette doctrine. Suzanne Termat, catholique pratiquante, grandit dans un environnement intellectuel et fait des études au-delà du baccalauréat puisqu’elle obtient après une scolarité au lycée Fénelon une licence ès-lettres. Les appréciations des professeurs sur les bulletins scolaires sont élogieuses et unanimes sur l’excellence et l’intelligence de l’élève Suzanne et notent déjà une maturité et une vivacité d’esprit rares.

Suzanne Termat est diplômée de puériculture en 1923 à la suite d’une période à l’Hôpital des enfants assistés où elle suit des cours organisés par l’Union des Femmes de France. Puis, elle s’inscrit quelques mois dans une école sociale et assiste Mlle Geoffroy « l’infirmière sociale », d’un centre d’hébergement à Paris. Elle rencontre son mari Adrien Termat, originaire d’Arlod dans l’Ain. Il est professeur agrégé de mathématiques à Tulle puis à Grenoble au Lycée Champollion. Leur mariage est célébré le 14 avril 1925 à Notre Dame de Vaulx. Elle a 26 ans. Leur fils Marcel, dit Marsou, naît le 4 décembre 1926. Elle aura cinq petits-enfants.

Adrien, son mari, décède le 3 août 1930 à 33 ans et elle se retrouve veuve à 31 ans avec son fils, âgé de 4 ans. Cet évènement marque profondément sa vie.  Rapidement, ce veuvage l’amène à rechercher une activité rémunérée et elle choisit d’exercer comme institutrice à l’école de Saint Aupre, village au Nord de Grenoble d’octobre 1930 à avril 1931, puis se fait embaucher comme secrétaire dans une étude de notaire d’octobre 1931 à septembre 1932.

Cependant, ces activités n’ont pas l’air de la satisfaire pleinement puisqu’en septembre 1932, dans le but de s’engager dans des études d’assistante sociale, elle reprend contact avec Mlle Geoffroy, alors devenue directrice de l’école des surintendantes qu’elle a connue au centre Jourdan et pour qui elle semble avoir gardé une profonde estime et une grande confiance. Plusieurs échanges épistolaires nous apprennent ses appréhensions quant aux contraintes des études et de son éloignement et elle s’inquiète de savoir « si elle pourra garder son fils auprès d’elle ? ». Elle demande si lui sera possible, à l’issue de sa formation, de bénéficier d’un « placement sur un poste dans la région de Grenoble ». Elle fait finalement le choix de reprendre des études mais elle souhaite vraiment avoir une situation stable qui lui « donne un but à sa vie en plus de l’éducation de son fils » et soit « moins restreinte et bornée que dans son emploi à l’étude de notaire » confie-t-elle à son interlocutrice. Ces éléments semblent marquer une détermination et une ambition de réalisation professionnelle. Elle rejoint l’école sur Paris en novembre 1932 puis effectue un stage ouvrier à l’usine de viande industrielle La Nationale à Aubervilliers. Les appréciations de ce stage la décrivent comme « intelligente, vive et au jugement sûr » et précisent une « adaptation rapide au travail de l’usine ». Elle accomplit un autre stage à la Compagnie des Chemins de fer PLM à la gare de Paris-Bercy.

Premiers pas professionnels

Le 15 mai 1933, elle est recrutée par la Préfecture de la Seine au centre d’hébergement Alexandre Luquet à Paris en qualité d’assistante sociale du centre de protection maternelle et infantile. Son travail consiste à effectuer des enquêtes sociales sur les familles hébergées et de proposer des mesures quant à la durée de l’hébergement et du montant de la contribution aux frais de séjour des familles. Elle est remarquée pour ses compétences et recommandée, elle obtient la médaille de bronze de l’Académie de médecine en 1936 au titre du service de l’hygiène et de l’enfance. En 1936, Elle devient membre du comité technique de l’école des surintendantes. Elle quitte ce poste le 1er octobre 1937.

En effet, elle souhaite se rapprocher de sa famille installée près de Grenoble. Aussi, elle sollicite les services sociaux de la Compagnie du PLM. Elle entre donc aux chemins de fer en septembre 1937 et prend un poste d’assistante sociale près d’un grand centre ferroviaire de Lyon. L’aspect médico-social est prépondérant mais les assistantes sociales de la Compagnie du PLM assurent une présence au sein des ateliers et dépôts avec des permanences hebdomadaires, particularité de ce service social. Sa formation de puériculture lui sera très utile pour les consultations de nourrissons organisées dans les cités cheminotes. Elle y restera cinq années avant de reprendre le chemin de la capitale répondant aux sollicitations des dirigeantes de l’association des surintendantes dont elle est restée proche.

Directrice de l’école des surintendantes

Au mois de juin 1942, alors âgée de 43 ans, elle est sollicitée par madame Henriette Viollet, fondatrice de l’Association des surintendantes pour remplacer Jeanne Sivadon. Celle-ci, directrice de l’école depuis septembre 1939 a été arrêtée par la Gestapo le 2 février 1942, avec 4 autres personnes, en raison de ses activités pour le mouvement de résistance « Combat ». Selon les termes de Suzanne Termat, « la situation matérielle et morale de l’école apparaissait gravement compromise » et « seule l’évidence du danger couru par notre école pouvait me décider à quitter Lyon où j’avais ma famille, mon foyer et mon service SNCF ». Ce dernier l’autorise à quitter son service sans délai et lui fournit le laissez-passer permanent nécessaire pour se rendre à Paris.

À son arrivée, après 48 heures avec Mademoiselle Gournay, directrice à titre provisoire, elle se retrouve « seule, sans téléphone, une bibliothèque vide, aucun document sur l’organisation de l’école où la poussière alternait avec un grand désordre ». Elle décrit également dans un rapport présenté au conseil d’administration de l’école le 1er juillet 1943 un « grand désarroi moral des élèves » au nombre de 140 à son arrivée. Elle se met immédiatement à la tâche : établir les programmes, recruter des collaboratrices, rétablir les contacts avec les ministères du travail, de la santé et de l’enseignement technique. Elle intervient parallèlement pour la « défense des intérêts des surintendantes ». Ainsi, le diplôme de surintendante est reconnu le 6 avril 1943. Elle participe aux travaux du ministère sur les questions sociales et reprend les contacts avec les chefs d’entreprise pour placer les élèves. Elle crée aussi la formation d’auxiliaire sociale à la demande du ministère pour répondre aux besoins des multiples institutions recruteuses.

En mai 1943, lors de l’assemblée générale des surintendantes, exceptées celles retenues en raison de la ligne de démarcation, elle évoque les événements survenus en février 1942 et l’arrestation de Jeanne Sivadon : « Notre pensée commune rejoint celles qu’une cruelle épreuve retient loin de nous sans que nous connaissions exactement la nature et l’ampleur de leur peine ».  La journée est consacrée aux réflexions professionnelles et Suzanne Termat initie les regroupements par spécialité de surintendantes dans l’objectif d’aider les plus jeunes. Cependant, en juillet 1943, le climat de l’école est loin d’être apaisé puisque qu’elle évoque dans son rapport « le comportement de certains membres du conseil n’est pas sans répercussion sur la marche de l’école qui peut souffrir gravement de certains errements, de certaines obstructions ». Ce passage laisse entendre des conflits ouverts entre les membres du conseil et Suzanne Termat sans connaître précisément les enjeux du moment sous-entendus dans le texte.

Le 22 février 1944, elle organise l’assemblée générale annuelle de l’association. La secrétaire générale de l’Association, Mlle D’abadie d’Arrast, lui rend un hommage appuyé, « ayant toute notre confiance », « avec son esprit clair et sa vive intelligence » et sa « maîtrise exceptionnelle pour reprendre le gouvernail et donner une magnifique impulsion ». Ensuite, Suzanne Termat y tient un discours mobilisateur auprès des surintendantes avec six grands principes qu’elle « demande de défendre âprement » : « défense du titre et des fonctions, indépendance du service social sans tutelle médicale, respect absolu du secret professionnel, représentation efficace et maintien de notre idéal et de la valeur de nos missions ». Elle conclut par un slogan : « nous sommes au service de tous et aux ordres de personne » et appelle les surintendantes présentes à se regrouper dans l’association « qui sera votre joie et peut-être un jour votre force ». Quelques mois après, en janvier 1945, elle annonce sa démission. Mlle Robert lui succède à la direction de l’école où depuis sa fondation 920 surintendantes ont été formées. L’effectif de l’école est passé en deux ans de 140 à plus de 200 élèves.

Le temps de l’écriture

Munie de son expérience de terrain et des responsabilités de directrice d’une, elle souhaite partager ses connaissances et son point de vue sur le métier. Elle rédige et publie en 1945 un ouvrage « L’assistante sociale, sa missions ».

Ce livre de 196 pages dresse un panorama complet du métier. Son propos se veut exempt de toute analyse ou critique sociale et politique. Elle reste centrée sur l’aspect professionnel. Son livre se veut un guide pour celles qui se dirigent vers le métier mais il est également  une description précise de la philosophie du métier avec des aspects moraux propres à l’époque mais aussi une description des conditions du métier et des difficultés sociales rencontrées. De nombreuses pages listent les programmes des formations, les écoles existantes et les spécialisations.

Elle pose rapidement un historique de la profession, sa place à côté des œuvres sociales, des mutuelles et des autres instruments de la protection sociale. Écrit avec aisance et une plume précise, elle défend quelques principes qui reflètent les enjeux de la profession notamment la question du secret professionnel. Pour elle, le « diplôme d’État valide un état de connaissance, une aptitude et une valeur morale ». Elle définit les qualités pour exercer ce métier essentiellement « tourné vers l’action directe ou indirecte, patiente, personnelle, féminine, indépendante, impartiale, discrète, imaginative et éducative ». À certains passages du livre, on retrouve les notions de vocation : « les assistantes guidées par un appel, une vocation choisissent ce métier difficile, attachant, plein de promesse vers une vie consacrée aux autres, le don joyeux de soi-même, l’égalité d’humeur, l’art d’éclairer et de consoler ». Les termes choisis évoquent une vocation religieuse. La technicienne de l’aide souhaitée n’a pas encore abandonné les oripeaux religieux et la cape bleu marine de la surintendante reste d’actualité.  Cependant, elle ajoute qu’il n’y a « pas de place pour les timorés, les nonchalantes, les casanières ». Pour Suzanne Termat, les assistantes sociales sont des femmes d’action, il leur faut donc développer des aspects féminins dits classiques et des qualités dites masculines portées vers l’action et la responsabilité. De plus, elle ajoute que le « service social suffit à remplir la vie ardente et joyeuse de celles qui l’ont découvert », le célibat reste donc d’actualité. Suzanne Termat affirme que « le service social est une action strictement féminine. Par essence, ce sont des mains et des cœurs de femmes qui peuvent au maximum tenter cette lutte contre la souffrance, cette veille sur l’intériorité familiale, cette patiente éducation et pénétration des esprits dans les milieux les plus divers ». Ainsi, selon elle et beaucoup de ses contemporaines, la profession d’assistante sociale renvoie à des prédispositions naturelles considérées comme typiquement féminines telles que la disponibilité, le dévouement, la compassion, l’intuition et l’écoute.

Elle insiste aussi sur la nécessaire culture générale des assistantes sociales : « ses rapports avec les chefs, les médecins, les administrateurs doivent comporter cette aisance d’esprit que donne une bonne culture ».  Elle regrette plus loin, que le public ignore l’action sociale ou la confonde avec d’autres activités. Elle évoque « la classe cultivée et dirigeante qui reconnait rarement son caractère professionnel, son but élevé qui est de rendre à chacun sa totale dignité humaine et de chercher à élever le niveau général de vie ». Elle croit que « cette ignorance vient beaucoup du fait que sa discrétion lui a imposé cette demi-obscurité ».

Elle conclut son propos, en expliquant que « le service social est entrainé dans le vaste mouvement du progrès social de la civilisation ». Elle ajoute : « parfois même il le précède, avertisseur ou signal d’alarme, il est en évolution continue, suit les découvertes de la science, les expériences sociales diverses, s’adapte aux milieux différents, aux problèmes nouveaux ».

Retour aux chemins de fer

Dès 1946, elle effectue un passage rapide du 15 avril 1946 au 5 janvier 1947 comme assistante sociale chef au Service social colonial du ministère de la France d’Outre-mer. Poste qu’elle quitte pour être nommée assistante sociale principale SNCF de la région Méditerranée créée la même année. Elle est sous l’autorité d’Henri Flament, directeur du du personnel qu’elle a connu à l’Association des surintendantes.

Installée  à Marseille, elle dirige 25 assistantes sociales et des  monitrices d’enseignement ménager, bibliothécaires et jardinières d’enfants Confrontée aux dirigeants SNCF et, sûrement par expérience, elle classe en trois catégories les ingénieurs, chefs de service et médecins : « ceux, la majorité, qui font confiance, ceux qui sont sceptiques mais laissent travailler et les hostiles qui, par indifférence, intérêt ou nonchalance préfèrent fermer les yeux sur les problèmes sociaux et les déclarer sans solution ». Elle collabore avec les délégués syndicaux : « on gardait nos distances tout en collaborant » se rappelle son adjointe Madeleine Champel, recrutée par Suzanne Termat en 1947. Celle-ci l’aide à créer et gérer les maisons d’enfants et colonies de vacances.

Elle conseille aux assistantes de mener des actions « imaginatives dans le détail quotidien pour le débrouillage, le dépannage pour susciter des réalisations nouvelles, les adapter aux besoins ».  Ces propos ne restent pas sans résultat puisque les rapports de fonctionnement des services sociaux de la région Méditerranée font part de multiples tâches et activités. Les équipements sociaux, centres, permanences, cours ménagers se multiplient. Les assistantes sociales interviennent pour les pupilles et accompagnent les apprentis des écoles SNCF tout en luttant contre les fléaux sociaux particulièrement la tuberculose.

Avec son adjointe, elle sollicite les psychologues de l’orientation professionnelle pour réaliser des bilans d’enfants avant leur placement en maison d’accueil. Au cours de cette période, des propriétés sont achetées ou louées pour répondre aux besoins de cure ou de vacances pour les adultes et les enfants. Elle semble disposer d’une relative autonomie, propre au fonctionnement de chaque région. Par ailleurs, et dès 1947, elle est membre du jury du diplôme d’État d’assistante de service social.

Au cours de l’année 1948, elle effectue un stage dans un centre familial aux États-Unis et se forme au case-work. Sensibilisée par ces apports et les méthodes de ses consœurs américaines, elle développe à son retour une approche sur les dynamiques familiales et organise des sessions de perfectionnement pour les assistantes avec un psychologue de la faculté d’Aix-en-Provence. Au-delà de son activité principale, Suzanne Termat s’investit à côté de l’amicale des assistantes sociales SNCF dont la revendication pour l’intégration des 300 assistantes sociales au Cadre permanent des cheminots est soutenue par les syndicats et la hiérarchie sociale. Elles accèdent au Statut avec la signature d’un protocole d’accord le 7 juillet 1949. Cet épisode souligne une identité professionnelle originale conjuguant valeurs du travail social et fierté d’appartenance à la société cheminote.

Jusqu’à sa retraite, elle reste liée à l’école des surintendantes comme membre du comité technique et du conseil d’administration de l’Association. Elle est membre également du comité national de l’Association nationale des assistantes de service social (ANAS). Elle reste une figure respectée au sein des services sociaux SNCF pour son expérience et sa volonté de faire progresser la technique professionnelle. Suzanne Termat quitte ses fonctions en 1960 et fait valoir ses droits à la retraite. Infatigable, malgré des problèmes de santé, elle reprend immédiatement une activité d’enseignante pour l’année scolaire 1960-1961. Après quelques courtes années de retraite, elle décède le 23 novembre 1969 à l’âge de 70 ans.

BIBLIOGRAPHIE : Suzanne Termat, « Service social, l’assistante sociale, sa mission » Paris, Librairie générale de droit, 1945 (Bibliothèque du Musée social-CEDIAS référence : 34 220 VB).

SOURCES : Archives de l’ETSUP, Centre de documentation (Bulletins de l’Association des surintendantes ; dossiers d’élève, courriers, notes). — Archives familiales de Serge Termat. — Feuillets de l’ANAS, 1951-1952 (Gallica). — Archives SNCF, œuvres sociales et services sociaux (Rapports de fonctionnement des services sociaux – 777LM 19 et 777LM20), Le Mans. — Fonds cheminot, CCGPF (La Vie du rail). — Henri Pascal, notice biographique de Jeanne Sivadon. — Marie-Françoise Charrier et Élise Feller, « Aux origines de l’Action sociale, l’invention des services sociaux aux chemins de fer », Éditions Érès, 2001. — Marie-Françoise Charrier et Élise Feller, « L’action sociale à la SNCF, l’affirmation d’une identité », Éditions Érès, 2012. — Laurent Thévenet, « Les assistantes sociales du chemin de fer. Émergence et construction d’une identité professionnelle 1919/1949 » sous la direction d’André Gueslin, 1997. — Inès Vissouze-de Haven « Hélène Vialatte (1896-1962), une femme active au cœur du XXème siècle » – 2018 – Publication des amis d’Alexandre Vialatte. — Henriette Bigand, De l’école des surintendantes à l’École supérieure de travail social (ETSUP) 1917-2017 Un siècle d’histoire, 2018, p. 59-60.

Laurent Thévenet