Née le 6 juillet 1909 à Saint-Quentin (Aisne), décédée le 11 novembre 2001 à Andrésy (Yvelines)
Annette est la fille du pasteur de la ville. Après ses études secondaires, son père l’envoie travailler en Angleterre comme enseignante de français, pendant un an. Alors qu’elle se destinait au métier d’infirmière, son père lui conseille, au vu de son tempérament, d’opter plutôt pour une carrière sociale. Elle passe le diplôme d’État d’assistante sociale à l’école de Paul Doumergue – fondateur, en 1913, de l’École pratique de service social (EPSS), place des Vosges, à Paris -, innovante par sa réflexion sur la pratique. Elle obtient très rapidement un poste dans une cité d’Habitations à Bon Marché ouvrière d’Ivry-sur-Seine, comportant 200 familles, y travaille à temps plein, au sein du service de la protection maternelle et infantile, et réside sur place.
En 1939, Hélène Campinchi, femme de César Campinchi, ministre de la Marine (de 1937-1938, puis ministre de l’Outre-mer, au moment de la déclaration de guerre) et professeur de droit, qu’elle a connue à l’école Paul Doumergue, lui propose de fonder un foyer d’accueil pour les matelots à Cherbourg, un lieu où se retrouver, jouer au ping-pong, repasser les plis de leurs pantalons, assister à des représentations théâtrales, bref, un lieu de convivialité. L’expérience se termine en 1940 avec les bombardements de Dunkerque. Annette Monod et sa soeur trouvent alors refuge chez des amis protestants de leur père, le comte Hubert de Pourtalès, dans son château de Martinvast (Manche). Elles y restent un mois, jusqu’à la réquisition du château par l’armée allemande. Arrivée à Paris, non sans mal car les communications sont coupées, Annette Monod est embauchée par la Croix-Rouge, dans le cadre des services d’urgence à Compiègne, pour aider les Français réfugiés et ravitailler les trains de prisonniers de guerre à la place du Nationalsozialistiche Volkswohlfahrt (NSV), le secours national allemand, avec des chariots de café et de bouillon. Puis elle s’occupe de la caserne Jeanne-d’Arc, transformée en camp de prisonniers de guerre, qui connut de nombreuses évasions, du fait de sa surpopulation.
En 1941, toujours dans le cadre de la Croix-Rouge, elle accepte de visiter les camps du Loiret avec Yvonne Cochet. 3 747 Juifs étrangers, en majorité polonais, à peine démobilisés des compagnies de combattants volontaires, y furent internés, le 14 mai 1941, à la suite de la rafle dite du « billet vert ». Elle installe un service social dans l’un des baraquements du camp de Beaune-la-Rolande, tout en habitant à l’hôpital tenu par des religieuses. Son travail consiste à aider à mettre en place une vie juive, également sur le plan cultuel, au sein du camp, à permettre un approvisionnement en nourriture cachère, fournie par les oeuvres juives, notamment à la période des fêtes. Beaucoup d’internés ne parlant pas français, elle se fait aider par deux secrétaires pour les traductions du yiddish et du polonais. Elle conserve de son passage dans les camps du Loiret un portrait réalisé par un détenu du camp de Pithiviers, au dos duquel il a écrit : « À Mlle Monod, qui représente pour nous, étrangers, la vraie France. » Mlle Roland la remplace, lorsqu’elle part pour le camp de Drancy, à partir de décembre 1941. Elle y monte un centre social avec l’aide d’internés français, dont l’avocat François Lyon-Caen. Fin août 1942, le camp de Drancy comptait 4 235 Juifs internés, dont plus d’un millier français, et 40 avocats parisiens, arrêtés à leur domicile, dont Pierre Masse, célèbre avocat parisien. Le 12 décembre 1941, ce sont 743 Juifs français, tous d’un milieu aisé, qui sont arrêtés pour être internés au camp de Compiègne. Elle y reste six mois pour apporter réconfort aux internés et entrer en contact avec les familles, qui apportaient le linge propre au camion de la Croix-Rouge et repartaient avec le sale, place Jean-Jaurès. Elle est renvoyée pour « excès d’activités », c’est-à-dire pour avoir fait sortir des lettres, sans passer par la censure. Dans les faits, elle ne s’entendait pas avec la police judiciaire (PJ) qui faisait régner l’ordre dans le camp. Son bureau, qui servait d’entrepôt, était situé près des latrines, appelées « château rouge », dans lesquelles la direction avait un jour entreposé un mort, histoire de la pousser dehors.
Le 16 juillet 1942, Annette Monod est l’une des rares assistantes sociales à être autorisées à pénétrer dans le Vélodrome d’Hiver. 13 000 personnes avaient été arrêtées les 16 et 17 juillet, tous des Juifs étrangers, dont 5 919 femmes et 4 115 enfants de moins de 16 ans (pour beaucoup nés en France). Les familles sont parquées au Vel’ d’Hiv’, les autres partent directement à Drancy. Elle est, ce jour-là, au repos dans sa famille, à Saint-Germain, où son père est pasteur. Madame Gillet, responsable de la Croix-Rouge, lui demande d’aller au Vel’ d’Hiv’ :
« On la laisse entrer. Le spectacle l’effraie, l’atmosphère démente, le bruit, l’odeur la saisissent. Deux contrastes la frappent : celui de l’insouciance des enfants et de l’angoisse des adultes, et celui des énormes gardes mobiles, bien portants et forts, sanglés et replets, armés de leurs mousquetons, gardant des bambins pas plus hauts que trois pommes. Mais son rôle habituel est l’assistance aux familles. De la bouche des gens du service d’ordre, elle apprend que les personnes arrêtées vont être dirigées sur les camps du Loiret. Elle repart aussitôt pour préparer l’accueil, car rien n’a été prévu, notamment pour les enfants. La seule prévision a été de déporter les hommes pour faire de la place dans les camps. Suzanne Bodin, responsable de la section parisienne de la Croix-Rouge, se trouve également au Vel’ d’Hiv’, ainsi qu’une douzaine d’infirmières qui se relaient pendant une semaine. » (Claude Lévy et Paul Tillard, Ce jour-là, La grande rafle du Vel d’Hiv, Robert Laffont, 1967)
Constatant son impuissance, elle préfère donc aller à Beaune-la-Rolande pour préparer l’accueil des familles internées au Vel’ d’Hiv’. Entre le 19 et le 22 juillet, sept trains spéciaux sont dirigés vers les camps du Loiret, quatre vers Pithiviers et trois vers Beaune-la-Rolande. Elle a vu la détresse des mères que l’on a séparées de leurs enfants, avant de les déporter, l’état des enfants seuls, couchés dans la paille, plein d’impétigo et de gale, et envoyés à Drancy, à leur tour. Elle a réalisé à ce moment-là qu’il s’agissait de la solution finale, l’anéantissement des Juifs. Elle a croisé le Dr Adélaïde Hautval, elle-même internée comme « amie des Juifs », qui soignait sans relâche les tout-petits, dont certains ne connaissaient même pas leurs noms. Elle a aussi croisé les habitantes de Beaune, volontaires pour participer à la fouille des femmes internées. Mais d’autres ont été plus humains : Annette Monod obtient, sans le moindre ticket de rationnement, d’importantes quantités de pain d’épice des établissements Gringoire, de Pithiviers.
Épuisée par ce qu’elle vient de vivre, elle revient à Paris pour prendre un peu de repos, avant de prendre son nouveau poste à Voves (Eure-et-Loir), un camp où étaient enfermés les « rouges », communistes et républicains espagnols, uniquement des hommes. Elle y reste un an pour organiser le service social, les permissions, les visites, mais aussi monter une bibliothèque et s’occuper des cercles artistiques. Elle est renvoyée, car son secrétaire parvient à s’évader, à l’insu de tout le monde, en se cachant dans une malle qui servait à faire venir des livres. Cette dernière est transportée à la gare et le tour est joué. Interrogée par la PJ, elle est considérée comme responsable.
Annette revient à Paris pour s’occuper des détenus de la prison de Fresnes, et accessoirement de la Petite Roquette, d’abord les résistants, puis les collaborateurs et après guerre, ceux du FLN et de l’OAS. C’est ainsi qu’elle voit l’histoire changer sous ses yeux. Le travail d’assistante sociale dans les prisons ressemble à celui des aumôniers, il s’agit d’être à l’écoute des gens et d’assurer un minimum de liens avec les familles. Dans le Paris occupé, elle visitait les familles juives, dont les hommes étaient internés à Drancy, pour passer des choses en circulant la nuit. En août 1944, lorsque la Gestapo quitte Paris, elle participe avec le consul de Suède, Raoul Nordling, à l’ouverture des camps et des prisons. C’est également Nordling, qui persuade le général Von Choltitz de renoncer à faire exploser les monuments de la capitale, et entre en contact avec les gaullistes, qui ont pris la préfecture de Paris, pour organiser le cessez-le-feu. Elle se porte volontaire pour Romainville et Drancy. Aloïs Brunner (l’un des rouages de la solution finale aux côtés d’Adolf Eichmann), responsable du camp, est remplacée par Annette Monod, qui dort dans son lit et mange sa soupe et sa crème au chocolat. Du jeudi 17 au dimanche 19 août, alors que les Allemands sont encore dans Paris, il faut organiser la sortie des internés, trouver des cartes d’alimentation et des papiers pour chaque homme libéré. Elle travaille avec une équipe de quelques volontaires, aidée par les chefs d’escalier et les gendarmes. Ce fut sa plus grande revanche et sa plus grande fierté. Elle se souvient d’avoir circulé dans un camion de la Croix-Rouge sur l’avenue des Champs Elysées vide et complétement silencieuse, et avoir déménagé le maximum d’archives de Drancy au siège de la Croix-Rouge, rue de Berry. Mais elle se souvient également de l’arrivée de De Gaulle, chargée de faire la haie sur le trottoir, en hurlant de joie.
En 1945, toujours sous la bannière de la Croix-Rouge, Annette Monod est sollicitée par Marcelle Bidault (dite Agnès), sœur de Georges Bidault, président du Conseil national de la résistance (CNR), à la suite de Jean Moulin et futur ministre des affaires étrangères. Arrêtée par la milice en juillet 1944, elle est internée à la prison de la petite Roquette, où travaille Annette Monod. Elle fut camouflée en prisonnière de droit commun pour éviter la déportation. Marcelle Bidault a contribué à l’unification des services sociaux de la Résistance, par la mise sur pied d’un service central, dirigé par le père Chaillet, fondateur du Témoignage chrétien. Secrétaire générale du COSOR (les œuvres sociales de la Résistance), elle va diriger le service d’accueil des déportés, au Lutetia. Annette la rejoint et travaille nuit et jour pendant quelques semaines. L’encadrement du Lutetia comprend 600 personnes à l’ouverture du centre et s’étend sur trois étages. Les « petites bleues » du corps volontaire féminin (CAF) du Lutetia, dirigé par Madeleine Thibault, assurent par roulement l’accueil et la gestion continus des étages. L’hôtellerie est sous la direction de Sabine (dite Yanka) Zlatin, l’ancienne directrice de la maison d’Izieu.
Annette Monod n’a revu qu’un seul interné de Beaune-la-Rolande, qui lui raconte Auschwitz pendant toute une nuit, révélant que certains détenus avaient eu l’occasion de manger le foie et le cœur des cadavres et qu’il aurait bien voulu en faire autant, tant la faim le taraudait. C’est ainsi qu’elle apprend par bribes les détails de la solution finale. Elle a rencontré au Lutetia le fils de Joséphine Getting, qui venait chercher des nouvelles de sa mère, qu’elle-même avait bien connue. Joséphine Getting a monté le service social de l’APHP, puis travaillé pendant la guerre à l’Union générale des Israélites de France (UGIF), rue de la Bienfaisance, en lien avec la Croix-Rouge.
Après un repos bien mérité, Annette Monod retourne en Alsace pour un travail difficile et lourd, comme sous-directrice de la prison d’Haguenau, qui était une prison allemande pendant la guerre. Il faut régler progressivement le sort des Allemands qui restent et les remplacer par des femmes de droit commun. Elle y reste quatre ans, puis retourne à Paris, comme assistante sociale du ministère de la justice et travaille à la prison de Poissy. En 1950, à l’âge de 41 ans, elle épouse Pierre Leiris, le frère de l’écrivain et anthropologue Michel Leiris, et termine sa carrière à la prison de Fresnes, où elle prend soin, successivement, des militants du FLN et de l’OAS. À la retraite, elle continue à s’engager pour l’abolition de la torture dans le cadre d’Amnesty international. Elle meurt à l’âge de 92 ans.
« Annette Monod est une femme discrète, droite et tenace, ni résistante au sens classique du terme, ni «sauveteuse de Juifs » (en tout cas pas directement), mais militante de la dignité des internés à l’intérieur du système, et rempart fragile, mais tenace, contre la barbarie du quotidien » (extrait du blog de Sébastien Fath).
SOURCES : USHMM, Oral History Interview RG-50.498 0002