Née le 1er avril 1856 à Paris, décédée le 15 juin 1920 à Ballan-Miré (Indre-et-Loire) ; philanthrope, militante féministe, fondatrice d’une école privée d’infirmières à domicile.
Thérèse Léa Maryvonne Gabrielle Salvador est la fille de Daniel Levi dit Gabriel Salvador, un officier qui se distingua pendant la guerre de 1870, et de Séphora Adamine Crémieux. Après son mariage avec Émile Alphen (famille d’origine alsacienne, qui avait choisi de rester française en 1872, après l’annexion de l’Alsace), banquier âgé de dix-huit ans de plus qu’elle (l’acte de mariage comporte le double patronyme Alphen-Salvador, ce qui est rare à l’époque), petite cousine d’Henriette Nizan, épouse de l’écrivain Paul Nizan, elle eut un fils unique, Casimir. Son époux meurt en 1891 et, veuve à 35 ans, Gabrielle Alphen-Salvador ne se remarie pas. Elle réside avec sa sœur Margueritte Brandon (également jeune veuve), dans un grand appartement au 9 rue de la Tasse à Paris 6e. Le journal La française du 8 septembre1908 les place au premier rang des personnalités mondaines de Paris. Leur salon devient un de ceux recherchés où se rencontrent savants, intellectuels et scientifiques, gens du monde. Gabrielle Alphen-Salvador fait de la musique avec Massenet, s’adonne à la sculpture, peint des aquarelles remarquées… Dans l’affaire Dreyfus, elles ont été, selon l’expression de leurs amis, des « dreyfusardes inconditionnelles » et ont signé « l’Hommage des artistes à Picquart ».
Dans leur vaste domaine « la Commanderie », dans lequel leurs parents avaient fondé en 1882 un établissement d’aide aux nécessiteux, comme dans leur propriété « la tourangelle » en Suisse au bord du lac Léman, les deux soeurs reçoivent également de nombreuses visites, comme celles de l’écrivain André Gide ou d’Eugène Rouart, le fils du peintre Henri Rouart…
Dès son veuvage, convertie au protestantisme, Gabrielle Alphen-Salvador se consacre aux œuvres sociales sous l’influence du pasteur Charles Wagner (1852-1918). Elle l’aide à animer le temple « le foyer de l’âme », crée avec lui l’œuvre « la guirlande » réunissant les jeunes filles, participe en 1900 au Congrès des institutions féminines chrétiennes… Elle s’investit aussi dans des activités associatives très diversifiées, allant du féminisme à la formation de personnel soignant féminin. Nommée en 1900, présidente du travail féminin et vice-présidente de l’œuvre du cercle du travail féminin, elle devient une des trois vices présidentes du comité exécutif des femmes françaises fondé le 18 avril 1901. Lorsque, en 1902, le CNFF forme trois sections, elle préside la section « éducation », puis devient présidente de la « section d’hygiène » ainsi que présidente de la branche départementale d’Indre-et-Loire. Elle sera aussi membre du comité directeur du conseil international des femmes en 1914-1919. Parallèlement, elle est présidente d’honneur de l’Union des Françaises contre l’alcool ainsi que de l’Office national de l’activité féminine, et membre de l’Union française pour le suffrage des femmes (UFSF). C’est une des deux femmes admises au Musée Social dans la section d’études féministes et dans la section d’études « action sociale ». Sa participation importante aux œuvres sociales prend ensuite une autre tournure
Création de l’oeuvre « Association d’assistance aux malades »
En 1900, l’année du décès de sa mère, un groupe, où les protestants prédominent, dans lequel se trouve Léonie Allégret (1860-1928), directrice du lycée de Versailles et des membres du corps médical, se constitue en association pour fonder une école de garde-malades avec des services hospitaliers. Devant les nombreuses difficultés auxquelles se heurtent, à la sortie du lycée, les jeunes filles qui recherchent un avenir professionnel, celle-ci veut les diriger vers la profession d’infirmière qu’elle considère noble entre toutes, en raison du remarquable modèle anglais qu’a su imposer Florence Nightingale. Léonie Allégret estime que cette profession peut être l’occasion d’une carrière pour les femmes françaises. Tout est à faire car en France, à l’époque, la situation des hôpitaux est plus que défectueuse (inconfort, manque d’hygiène…), des soins peu rigoureux y sont prodigués et il y a peu de considération pour la basse condition du personnel soignant. L’organisation prend corps le jour où Léonie Allégret, s’assure le concours de Mme Émile Alphen-Salvador qui en devient présidente. Un comité provisoire est ainsi constitué en 1897 et fonctionne durant plus de deux années avec de nombreux objectifs de travail allant de l’élaboration d’un programme de formation d’infirmières et de l’action de recrutement des premières élèves, à l’adoption d’un règlement et la recherche de fonds financiers, en passant par la « propagande » pour se faire connaitre, etc. C’est dans le creuset d’idées progressistes de l’époque que se forge cette œuvre qui se veut laïque et républicaine. Également très intéressée par Florence Nightingale, première infirmière britannique que Mme Gabrielle Aphen- Salvador considère comme un modèle pour cette profession, elle fera en 1911, avec sa sœur, une traduction-adaptation en français de l’ouvrage anglais de Sarah Tolley sur la vie et l’œuvre de Florence Nightingale. Elle-même ne possède pas de formation médicale, mais elle finance généreusement cette école, la première du genre à Paris, sinon en France.
L’École professionnelle française des infirmières à domicile ouvre en 1900 dans un appartement situé au 8 rue Garancière, dans le 6e arrondissement de Paris. Déclarée au Journal officiel en septembre 1902, l’école reçoit immédiatement une subvention du ministère de l’Intérieur. Mais Gabrielle Alphen-Salvador ne veut pas en rester là. L’école est la pièce maitresse d’une œuvre sociale qui comportera de nombreux services qu’elle met progressivement en place. Elle recherche le concours de multiples personnalités médicales, politiques et sociales et se voit accorder une audience par le président de la République, le 30 décembre 1902.
Devenue présidente de l’association et de l’école, elle continue à financer et à élargir les fonctions de l’association en y introduisant différents services sociaux, des consultations gratuites, des services à l’enfance… Par exemple, de 1901 à 1920, Gabrielle Alphen-Salvador aménage l’hôpital-école gratuit de six lits pour des femmes issues de milieux modestes, qui se transforme en dispensaire jusqu’en 1937. En 1902, elle crée la consultation du « sou du nourrisson » qui resurgira après la Seconde Guerre mondiale sous une nouvelle forme : la pouponnière Amyot. De 1903 à 1907, elle décide d’adjoindre une Maison de santé pour malades payants au 4 de la rue Oudinot dans le 7e arrondissement. Aussi en 1908, un décret ministériel déclare l’association d’utilité publique.
La vie de cette association est ponctuée de conflits entre Gabrielle Alphen-Salvador et le corps médical, qui entend rester maître de son exercice professionnel, ce qui provoque certaines démissions Comme on le verra plus loin, elle doit également faire face au mécontentement des parents d’élèves et des élèves eux-mêmes, qui trouvent la charge de travail en service trop lourde au détriment de leurs études.
La pierre angulaire : l’École professionnelle d’assistance aux malades
L’école est la pièce maîtresse et la charpente de cette oeuvre sociale. L’école déménage au 10 Amyot, dans le 6e arrondissement, où elle restera plus de trente années et le nom de la rue sera attribué aux élèves qui seront nommées « les Amyotes ». Le coût de l’école est élevé et le règlement est jugé sévère : La durée des études est de deux ans, avec l’internat obligatoire, et l’engagement au service de l’oeuvre avec une durée au départ de 6 ans mais vite réduit à trois ans. Trois directrices se succèdent : de 1900 à 1903, Jeanne Thénard ; de 1903 à 1910, Jeanne Schérer, fille du pasteur réformé Edmond Schérer, élu député républicain de Seine-et-Oise , qui a présenté le Dr Édouard Rist (1871-1956) qui en devient le secrétaire général et a négocié avec l’Assistance Publique de Paris l’ouverture de stages ; enfin Jeanne de Joannis (1913-1914 et 1919-1920). Alors qu’au début, la question du recrutement est fortement posée tant en raison des études jugées trop difficiles que du fait de la connaissance insuffisante de l’existence de l’école et de l’exiguïté des locaux, l’effectif de l’école augmentera progressivement et ne désemplira plus.
L’enseignement dispensé comprend au départ une partie médicale théorique et pratique : anatomie et physiologie, petite chirurgie, médecine générale, hygiène sociale, médecine infantile auxquels se sont rajoutés progressivement l’ophtalmo, l’oto-rhino-laryngologie et en raison de leur futur travail dans les familles, diététique et enseignement ménager… La pratique se réalisait par des stages effectués dans les propres services de l’association et dans les hôpitaux de l’assistance publique. L’éducation des Amyotes est complétée par un enseignement moral, sous forme de conférences données par des personnes de toutes confessions et de toutes disciplines, caractérisées par La Semaine littéraire « l’élite morale et intellectuelle ». Les élèves, soit quittent l’œuvre pour se marier, soit assurent les gardes à domicile conformément à leur engagement. Progressivement et comme prévu, certaines auront des postes de direction. L’école dut et sut s’adapter à l’évolution et à l’institutionnalisation. C’est ainsi que de pionnière en 1900, elle fut rapidement rejointe en 1901 par le Dr Anna Hamilton, directrice de la Maison de santé protestante de Bordeaux et par Léonie Chaptal en 1904. De même l’école, en raison des décrets de 1922 et 1923, s’ouvre aux infirmières hospitalières et aux infirmières visiteuses.
Ses activités pendant la Première Guerre mondiale
En février 1914, Madame Gabrielle Alphen-Salvador se rend à l’assemblée constitutive de l’Association des infirmières visiteuses de France qui met en œuvre, à l’échelle municipale, une politique sociale de prévention contre la tuberculose et la mortalité infantile et s’engage, à la demande de la Mairie, à couvrir le Ve arrondissement. En 1915, elle en devient vice-présidente aux côtés notamment de Nicole Girard-Mangin. Elles créèrent une œuvre de guerre, l’hôpital-école Edith Cavell, mis à la disposition du service de santé de l’armée, dont l’ouverture eut lieu le 11 octobre 1916, et qui recevaient les amyotes et les élèves-infirmières militaires. Le Dr Nicole Girard-Mangin en était le médecin directeur. À la fin de la guerre en 1919, l’association passe un contrat et l’hôpital-école Édith Cavell devient l’École de puériculture de la faculté de médecine de Paris où sont formées les infirmières visiteuses de l’enfance grâce à une dotation de la Croix-Rouge américaine (En 1932, cette école est transférée dans des locaux du 26, boulevard Brune, Paris 14e et fermée récemment)
Après une investigation auprès de différentes écoles, En 1919, le Comité américain pour les régions dévastées (CARD) prend contact avec l’association en vue de la création d’un hôpital-école, appelé Washington-La Fayette, à Paris, mais après de nombreux débats, le projet est abandonné. Il ne sera repris qu’en 1925, où l’argent collecté aux États-Unis sert à l’achat d’un terrain sur la commune de Montrouge. Le 30 juin 1932 est inauguré l’école de Montrouge, 14, rue du 11 Novembre en présence du Président de la République, Monsieur Albert Lebrun et de divers ministres et personnalités. Ainsi, le projet d’hôpital-école aboutit à la création d’une école de formation d’assistantes sociales, dont la direction est confiée à Jeanne de Joannis. Après avoir abandonné en 1956 la formation d’infirmière, l’école est devenue l’Institut de Service Social, école pilote en service social.
Mais Mme Alphen Salvador ne le verra pas. Malade, elle s’est retirée dans sa propriété de La Commanderie, à Ballan-Miré, dans l’Indre-et-Loire, où elle a recueilli des religieuses catholiques en attendant la reconstruction de leurs bâtiments conventuels. Elle y décède en 1920, à l’âge de 64 ans, inhumée dans le caveau familial du cimetière de Ballan-Miré dont le terrain, jouxtant la Commanderie. (Dans cette commune existent la rue Adamine (un des prénoms de sa mère) et l’allée Brandon-Salvador).
Brigitte Bouquet