Simone Crapuchet, fait des études d’infirmières à l’école Nightingale de Bordeaux puis d’assistante sociale.  Partant en 1941 à Madagascar elle commence une activité professionnelle qui l’amènera dans plusieurs pays d’Afrique et qu’elle poursuivra comme expert de l’ONU dans de nombreux pays.  Elle collabore avec Yvonne Knibliehler à l’histoire du service social et participe au développement des sciences sociales dans la formation et la pratique du service social. Elle fut présidente de la Fédération des travailleurs sociaux.

Simone CRAPUCHET est née  à Le Bouscat (Gironde) le 25 octobre 1916  dans une famille protestante. De son milieu familial, elle ne livre que peu d’éléments biographiques, sauf à évoquer la protection qu’elle y trouve dans ses premières années d’études, mais aussi une atmosphère autoritaire et de surveillance qui lui pèse.

La professionnelle affranchie.

Dire que Simone CRAPUCHET a eu une carrière atypique relève de l’évidence lorsque l’on suit ses pérégrinations de globetrotter dans différents pays d’Afrique, de l’Afghanistan à l’Iran, des États-Unis à l’Amérique latine. De même, ses différentes fonctions sont-elles placées sous le signe de la diversité : de simple assistante sociale à experte de l’ONU, en passant par chargée de mission du Bureau International du Travail. Sans oublier un goût pour les études qui l’amènera jusqu’au doctorat de sociologie qu’elle obtiendra à près de 60 ans !

Elle commence ses études d’infirmière à l’école Florence Nightingale à la Maison de Santé Protestante de Bagatelle près de Bordeaux qu’elle appelle « la maison » (La Maison de Santé Protestante de Bagatelle a été créée en 1873 par l’ensemble des églises protestantes de Bordeaux. L’école des gardes malades (nurses) qui intervenaient à domicile est créée par Anna Hamilton, disciple de Florence Nightingale. Cette école est vue comme un véritable outil de promotion des femmes qui en suivent les enseignements. Leur autonomie vis à vis du pouvoir médical et la nécessité d’une parfaite neutralité confessionnelle constituent les principes fondateurs de l’école.).

Après son diplôme, elle poursuit son cursus de formation pour obtenir le diplôme d’assistante sociale. Interne, elle apprécie les liens avec ses compagnes d’étude venues de milieux et de régions diversifiés. Très vite, elle sait qu’elle veut partir « outre mer », l’hexagone lui paraît trop petit ! Elle suit des cours à l’Institut LANNELONGUE) dans la région parisienne pour obtenir un diplôme « colonial ». (Situé à Vanves, l’Institut Lannelongue est créé en 1916 et reconnu d’utilité publique. Il forme des infirmières spécialisées en hygiène sociale pour le suivi à domicile des malades contagieux ainsi que des infirmières coloniales).

Mais c’est la période de la guerre et de l’exode et ses projets d’émigration doivent être remis à plus tard. A Bordeaux, où elle a rejoint sa famille, elle est sollicitée pour assurer la fonction de responsable de nuit à l’hôpital qui l’a formée. Pendant six mois, elle suit la journée des cours de médecine tropicale et part à 19 heures assurer sa garde.

Elle occupe ensuite des fonctions d’assistante sociale dans un quartier ouvrier de la gare de Bordeaux et peut enfin s’embarquer pour Madagascar fin 1941. A cause du conflit mondial, elle ne peut atteindre sa destination finale et se retrouve à Dakar en janvier 1942.

Ses conditions de travail, de logement et de salaire sont en tous points décevants. Elle engage alors une bataille au long cours pour d’une part, améliorer ses conditions de vie quotidienne et, d’autre part, obtenir une réelle autonomie du service social par rapport aux différents pouvoirs : pouvoir politique, pouvoir médical et pouvoir de l’administration.

« Mesurer 1,61 m, peser 48 kg, avoir l’œil vif et le cheveu noir, un tempérament sec et combatif, pas prête à m’en laisser compter… j’acceptais la gageure ! » déclare-t-elle crânement dans un de ces écrits de mémoire (Grains de sable, document dactylographié, CEDIAS).

Outre la découverte d’un nouveau continent, c’est la rencontre avec d’autres cultures qui la mobilise tout entière. Son esprit curieux et ouvert y trouve une source supplémentaire de connaissances. «  J’ai découvert un autre monde ! Tout ce que je savais n’était qu’une base pour réfléchir, pour comprendre et pour apprendre».   

Cette première expérience consolide sa conviction de développer  une action qui s’affranchisse du « tout médical » et qui prenne en compte l’environnement social et culturel des populations. Son travail en dispensaire lui permet de consolider cette approche et de la déployer à Madagascar où elle passe près de deux ans avant de rejoindre la France en 1945.

Elle occupe alors un poste de conseillère technique adjointe au service social du ministère des Colonies, mais elle s’accommode mal d’un état d’esprit bureaucratique qu’elle juge étroit et peu inventif et part pour un poste à la SNCF où elle crée le service social des Ateliers d’Arles.

Une fois le service lancé et son fonctionnement bien huilé, elle démissionne de son poste à l’effarement de sa hiérarchie pour qui « on ne démissionne pas de la SNCF ! ».

Ce sera un retour vers l’Afrique en juin 1951 pour un poste d’assistante sociale chef à Abidjan, poste rattaché au Gouverneur (les postes de « gouverneur général » ou de « haut commissaire » sont des postes aux prérogatives importantes. Un gouverneur peut décider par exemple de ne pas appliquer une loi votée en métropole ; il organise comme il l’entend l’ensemble des services qui lui sont rattachés. Ainsi, les territoires coloniaux sont-ils privés de fonctions exécutives, lesquelles sont remplacées par la fonction administrative).

Elle construit et consolide la place du service social et négocie l’obtention d’un budget spécifique pour les affaires sociales.

Pendant cette période, la question de l’indépendance des pays d’Afrique ne fait pour elle aucun doute. Elle souligne que les bases de cette indépendance se construisent peu à peu. C’est toutefois sans compter l’arrivée à partir de 1954 des « anciens d’Indochine » qui veulent à tout prix « garder l’Afrique ! ». L’ambiance se modifie sensiblement et pour Simone CRAPUCHET – qui a refusé en son temps d’aller en Indochine – il est urgent d’aller découvrir d’autres contrées.

En 1958, elle rentre en France et obtient une bourse pour l’Université de Tulane en Louisiane. Elle s’intéresse notamment à l’étude des besoins d’assistance des « petits blancs », puis, toujours à la Nouvelle Orléans, elle étudie à Xavier College une université pour étudiants afro américains.

Sur les conseils d’un ami,  elle prend rendez-vous  avec le Département des Affaires Sociales de l’ONU à New York. Elle repart pour l’Afghanistan où elle va passer près de deux ans avec un ordre de mission comme experte de l’organisation internationale sur le programme « Femmes et développement ». Elle y mène différentes études sur la main d’œuvre masculine et féminine. Dans ce pays qu’elle juge « rude à tous les niveaux », elle travaille aussi à l’université et tente de promouvoir et de sécuriser l’accès des jeunes afghanes aux études supérieures.

Toujours dans le cadre du même programme, elle passe dix huit mois dans différents pays d’Amérique latine et repart ensuite en 1968 en Iran pour l’UNESCO.

En 1969, c’est le retour en France où elle assure pendant quatre ans le secrétariat du Conseil International d’Action Sociale dans la suite de Madame d’Hauteville. C’est la période durant laquelle elle engage des études universitaires pour présenter en 1975 une thèse de sociologie intitulée « Problématiques du développement social aux Nations Unies » sous la direction d’Henri Desroche (sociologue, théologien et philosophe 1914 – 1994,  il initie le groupe Sociologie des religions en 1954 et fonde le Collège coopératif de Paris puis le Réseau des Hautes Etudes des Pratiques Sociales).

Elle se lance ensuite avec Yvonne Knibiehler dans un  projet de recherche financé par le CNRS sur l’histoire des assistantes sociales. Ce projet a plusieurs objectifs : établir une base de données biographiques, recueillir des témoignages et recenser les sources existantes sur le sujet.

L’étude menée à son terme débouche sur l’édition de l’ouvrage Nous, les assistantes sociales : naissance d’une profession. Trente ans de souvenirs d’assistantes sociales françaises, 1930-1960 (Aubier, 1980) et lui permet de collaborer à divers travaux et recherches.

Avec Georges Michel Salomon, elle conduit  un ouvrage collectif « Sciences de l’homme et professions sociales » sur une thématique qui lui tient à cœur, celle de la promotion et  de l’intégration des sciences sociales et humaines dans les pratiques sociales.

Elle est de retour en Afrique entre 1980 et 1984 comme chef de projet pour le Bureau International du Travail au Congo. Elle part ensuite en Gambie pour conduire une évaluation pour le compte du Centre international de l’enfance, avant d’enseigner pendant trois années au Brésil dans des programmes de formation au travail social.

La reconstitution de cette longue carrière met en exergue une grande appétence pour l’ouverture d’esprit et l’ouverture au monde ; Simone CRAPUCHET assume son goût pour la mobilité professionnelle, en des temps où ce principe est moins en vogue qu’aujourd’hui.

Elle s’en explique dans les termes suivants : « Changer de poste signifie aussi devoir s’adapter, découvrir, analyser, regarder, essayer de comprendre, évaluer ce qui est solide et ce qui l’est moins, construire un ou des modèles de raisonnement, discuter avec des interlocuteurs qui changent, démonter une machine culturelle, sociale et psychologique, comprendre ce qui peut être effectué réellement (…) Faire passer des idées, voir évoluer celles des autres et les siennes, mesurer ce que les autres font de vos idées… » (Grains de sable, ibid.). Bref, c’est le remède essentiel pour éviter ce qu’elle redoute par dessus tout : la routine !

De ce parcours riche en expériences émergent d’autres  caractéristiques.

L’apprentissage de l’inter culturalité 

Dès son arrivée en Afrique, la rencontre avec d’autres codes culturels est ressentie comme une ressource et une chance. C’est pour elle une occasion supplémentaire d’enrichir ses connaissances et son expérience dans une posture d’humilité et d’équilibre. Elle évite ainsi l’ethnocentrisme aveugle comme l’exotisme superficiel. Dans plusieurs de ses articles et recherches, elle n’aura de cesse que de valoriser la capacité des acteurs – et surtout des actrices car ses centres d’intérêt portent essentiellement sur le rôle des femmes – à prendre ou déprendre dans la culture « traditionnelle » et la culture « coloniale » ce qui les intéresse et leur fait découvrir de nouvelles opportunités ou, au contraire, ce qui leur paraît incompatible ou inadapté à leur propre situation (Cahiers d’études africaines,  Étude auprès des Femmes Agni, 1971).

La cause des femmes est un combat qu’elle mène d’abord personnellement pour faire « sa place » – et celle du service social – face au monde masculin. Elle tempête contre « ces messieurs » peu expérimentés mais très diplômés qui, sans sourciller, prennent la tête des services une fois que toute la phase critique de mise en place a été conduite par des professionnelles.

Pour changer le monde, il faut selon elle donner aux femmes l’accès à l’éducation, aux savoirs et aux responsabilités. Et c’est sur cette conviction forte que portent les études qu’elle mène et les actions qu’elle conduit, en France comme à l’étranger.

Elle a ainsi été très active dans l’Association française des femmes diplômées de l’université (AFFDU) en tant que présidente pour la région Aquitaine. Elle déplore que les postes à responsabilité échappent aux femmes dans son domaine d’activités comme dans tous les autres.

« Le travail social est une pratique et un savoir »

 Un autre de ses combats est de promouvoir l’intégration des sciences sociales dans la pratique sociale. Pour elle, cette pratique doit s’appuyer sur des bases rompant avec le champ caritatif et émotionnel, source de préjugés et d’approximation. Elle estime que la recherche et l’approche scientifique devraient être intégrées dans les services sociaux et que le travail social doit être en mesure de produire sa propre expertise, alimentant ainsi les connaissances et les savoirs. Elle milite pour une formation du service social à l’université, comme cela existe dans tous les pays européens et sur le continent américain. De même, elle privilégie les approches centrées sur le développement et l’approche collective par rapport à une approche centrée sur l’individu plus psychologisante.

Autant dire que le « modèle français » de formation et d’institutionnalisation du service social ne lui convient guère. Si elle défend l’autonomie et l’identité spécifique de la pratique du « social », elle refuse le corporatisme et fustige ce qu’elle perçoit comme un manque d’audace et d’inventivité. Le peu de goût des professionnelles pour la mobilité, pour la prise de responsabilités, la tendance à reproduire des modèles parfois dépassés représentent pour elle les freins d’une réelle reconnaissance de la compétence et de l’expertise du travail social.

Malgré le rôle qu’elle tente de jouer comme présidente de la Fédération des travailleurs sociaux (devenue ensuite la Confédération française des professions sociales), et les diverses initiatives qu’elle engage pour faire avancer ses convictions, elle considère qu’elle a échoué à faire entendre et accepter sa conception du travail social. Et, à la fin de sa vie, elle exprime un pessimisme certain sur l’avenir des professions sociales (Entretien avec Simone CRAPUCHET juin 2005).

Sa vie militante est elle aussi riche et variée. Elle sera vice-présidente du Cedias et a participé à bien d’autres associations.

En 2008, elle a été nommée chevalier de la Légion d’Honneur. Elle décède  le 14 février 2012 à Talence.

                                               Lucienne CHIBRAC juin 2020

Sources :

  • Entretien avec Simone CRAPUCHET en 2005
  • Ouvrages de Simone CRAPUCHET :

« Populations rurales et développement en Iran », Archives Internationales de sociologie, de la coopération et du développement, CNRS et École pratique des Hautes Études, n°26, 1969, Mouton.

« Femmes agni du Moronou (Côte d’Ivoire) : préparation des femmes à leur rôle de mère en milieux urbain et rural », Cahiers Africains, n°42, 1971, Mouton.

Sciences de l’homme et Professions sociales, Privat, ouvrage collectif, juillet 1974.

L’intervention dans le champ social, l’interface sciences de l’homme, techniques sociales, ouvrage collectif en collaboration avec G.M SALOMON, Privat – Dunod, mai 1992.

Bagatelle 1930 – 1958, La Maison de santé protestante de Bordeaux : présences et développements récents, éd. Erès, Toulouse, 1992.

Protestantisme et écoles de soins infirmiers, de la IIIème à la Vème République, Les Presses du Languedoc, 1996.

(Sous la direction de) Politique sociale d’Outre Mer, 1943 – 1960, un devoir de mémoire à l’égard des pionnières », éditions Erès, 1999.