Née le 13 septembre 1866 à Beaurieux, dans l’Aisne, décédée le 29 mars 1952 à Kerlaz dans le Finistère. Travailleuse sociale, catholique, auteure de plusieurs livres, militante associative, figure de l’action sociale, Apolline de Gourlet a été fondatrice d’une des premières écoles d’assistantes sociales, promotrice des résidences sociales et présidente de la Fédération des Centres Sociaux de France

Apolline de Gourlet est la fille aînée de Rose Anot de Maizière et du marquis Eugène De Gourlet, Son frère, Albert naîtra en 1871. Le marquis de Gourlet, administrateur des musées nationaux, réside quelques années au palais de l’Elysée avec sa famille, en raison de ses fonctions. C’est ainsi qu’Apolline fait la connaissance de personnalités politiques et sociales de premier plan, et se noue d’amitié avec Lucie Faure, fille du Président de la République.

A la demande de celui-ci, Lucie Faure et Apolline de Gourlet tiennent le budget social et répondent au courrier qui parvient à la présidence de la République. Elles orientent les demandeurs et réalisent à cette occasion un fichier de suivi et d’orientation vers les œuvres présentes sur le territoire, fichier de grande utilité.

En 1895 Apolline et Lucie fondent avec Henri Rollet la  « Ligue fraternelle des enfants de France ». Henri Rollet, avocat, catholique, très engagé auprès de l’enfance malheureuse, sera artisan de l’évolution de la justice du mineur, et premier juge au tribunal des enfants de Paris. La Ligue, institution de bienfaisance et d’entraide, veut rassembler des enfants et des jeunes pour venir en aide aux enfants pauvres. Il s’agit de « créer les liens d’une véritable fraternité entre les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles des familles aisées et les enfants pauvres, orphelins ou abandonnés ». La ligue œuvre dans différentes directions tels que le secours et placements d’enfants, la constitution de vestiaires, la lutte contre la tuberculose par la création de dispensaires, ou encore la promotion de colonies de vacances. Mais son activité principale est le placement professionnel des jeunes. Progressivement, des comités constitués de bénévoles se créent en province. En 1897 l’organisation, qui ne cesse de se développer, compte dix comités régionaux forts de dix mille membres. La Ligue créera des vocations, car plusieurs adhérentes poursuivront une activité en devenant travailleuses sociales. Apolline assure la présidence de la Ligue à partir de 1903.

Restée célibataire, la vocation sociale d’A. De Gourlet n’a cessé de se déployer autour de nombreuses activités.

Très Impliquée sur le terrain, elle crée et administre des œuvres sociales, des actions de formation, publie articles et ouvrages. Observatrice du monde dans lequel elle œuvre, elle souhaite que la société française se pacifie et se développe. A travers ses écrits elle décrit les actions conduites et formule pour les promouvoir les principes et méthodes d’une action sociale innovante. Le XXe arrondissement de Paris sera le terrain d’action d’A. de Gourlet durant des décennies. Après la première guerre mondiale elle monte une Union des Œuvres du XXe arrondissement qu’elle présidera jusqu’en 1943. En 1896, dans la zone délaissée de Clichy-Levallois, elle prend l’initiative de venir en aide aux enfants des chiffonniers, collecteurs des ordures de Paris, dont les familles sont délaissées par de nombreux organismes, en raison de leurs conditions de vie sanitaires et d’hygiène. À Belleville, elle organise une section de l’Amélioration du logement ouvrier comprenant notamment une « Caisse des loyers ». 

A partir de 1897 elle coopère aux initiatives de Mercédès Le Fer de la Motte et de la baronne André Pierrard avec qui elle partage des convictions spirituelles et sociales. Elles sont insatisfaites de la société française où la solidarité entre les individus disparaît, où l’individualisme déstructure les cadres sociaux. Pour y palier elles veulent créer une œuvre sociale basée sur plus de justice et sur une amitié réelle entre les individus. Ensemble, elles vont initier une doctrine et un système d’action sociale en rupture avec les pratiques charitables de l’époque.

C’est ainsi qu’en 1900 elles reprennent l’œuvre sociale de Popincourt (créée par Marie Gahéry en 1896) pour en faire le prototype des « maisons sociales », ou « résidences sociales ». Les résidences sont implantées dans les quartiers populaires de Paris et de sa banlieue, dans des faubourgs populeux et ouvriers où sévissent mortalité infantile et tuberculose.

Apolline de Gourlet promeut les techniques monographiques applicables aux familles comme aux localités, encore peu développées à cette époque. Il lui apparaît essentiel préalablement à l’implantation d’une résidence sociale, d’explorer les territoires afin d’en définir les besoins, d’appréhender les milieux pour en connaître les ressources. Par conséquent, les résidences sociales n’ont pas de programme préétabli, elles s’adaptent aux caractéristiques locales et aux besoins recensés pour mieux y répondre.

Modèle issu des settlements anglais, les résidences sont habitées et dirigées par leurs initiatrices, qui se mettent au service des habitants du quartier. C’est ainsi que s’établissent des relations de voisinage et d’entraide, basées sur les visites faites et reçues avec la population du quartier. Une autre façon de tisser des liens de proximité est réalisée à partir d’activités théâtrales, d’animations, de cours, ou bien de causeries. Des colonies de vacances sont également organisées pour les enfants du quartier. La présence des résidentes au sein du quartier favorise une pénétration mutuelle des classes qui a pour objectif de créer une élite populaire. « Si le résident consacre sa vie au quartier où il s’établit, c’est pour atteindre toute la vie des habitants ; son but est d’améliorer les conditions physiques et sociales de cette vie » (A. de Gourlet, Colonies sociales. La résidence laïque dans les quartiers populaires, L’action populaire, brochure n°37, 1904, p12).

Œuvre privée, indépendante de toute association politique ou religieuse, de toute ligue ou parti, les résidences reçoivent peu de subventions publiques. Les résidentes financent leur vie et leurs actions par leur fortune personnelle et la réception de dons, l’organisation de quêtes, souscriptions, et ventes de charité, et la sollicitation des employeurs du quartier.   Les résidences sociales vont se multiplier en quelques années.  Elles perdureront jusqu’en 1945.

Apolline de Gourlet, convaincue de l’intérêt que présentent les résidences sociales pour mener une action sociale dans les quartiers populaires, propage en 1904 et 1905 les buts et les méthodes des « résidentes sociales » en rédigeant trois contributions qui seront publiées dans les « brochures jaunes » de l’Action populaire (dont elle sera secrétaire), ainsi que dans les Annales du Musée social.

A partir de 1909 A. de Gourlet contribue au développement des Œuvres du Moulin Vert proches dans leur esprit des buts de la « Maison sociale ». L’association (dont le siège social se trouve rue du Moulin-Vert, dans le 14e arrondissement de Paris) a pour but d’apporter une aide aux familles les plus démunies en matière de logement, de soins, d’éducation des enfants et de loisirs. Les Œuvres du Moulin Vert ont été fondées par l’abbé Viollet inscrit dans un courant assez moderniste.

Lorsque arrive la première Guerre mondiale, A. de Gourlet s’engage dans le Secours aux Blessés Militaires. En1915, elle crée avec Mme Moreau de La Meuse, le Secrétariat français des villages libérés. Le secrétariat se met en relation avec des groupes de réfugiés, appui leurs démarches, rassemble les dons, et coordonne les préparatifs du retour vers leurs villages. Elles vont s’employer à le multiplier là où les besoins sont les plus importants. Dès 1916, douze équipes fonctionnent dans 7 départements du Nord et du Nord Est de la France. Le secrétariat fermera ses portes en 1925. 

A la fin des années 1910 l’influence d’A. de Gourlet sur le devenir de l’action sociale s’accentue. Elle rencontre Marie Diémer, également pionnière de l’action sociale, à la résidence sociale de Levallois-Perret où elle apporte son concours. Toutes deux estiment que l’assistance sociale doit s’appuyer sur de réelles compétences. Comme A. de Gourlet, Marie Diémer est convaincue de la nécessité de former un personnel social de qualité. Elle s’est d’ailleurs investit dans la formation d’un personnel d’hygiène à domicile en participant à la fondation de l’«École des surintendantes d’usine et de services sociaux».

Avec le concours de l’abbé Viollet, A. de Gourlet et Marie Diémer créent en 1919 l’une des premières écoles de travail social, « Pro Gallia »,  qui deviendra en 1929 l’École d’action sociale de Levallois-Perret (elle fermera en 1957). Les cours théoriques se déroulent au musée social sous l’encadrement pédagogique d’Apolline, alors que l’apprentissage pratique a lieu à la résidence sociale de Levallois-Perret. « Pro Gallia » veut apporter la formation générale nécessaire pour exercer avec pertinence les métiers sociaux, en mêlant intimement études théoriques et pratiques.  Par ailleurs, pour A. de Gourlet, tout travail social doit s’appuyer sur la connaissance du milieu dans lequel il opère. S’inspirant de ce qui a présidé à l’ouverture des résidences sociales, les étudiantes doivent s’appliquer à connaître le milieu dans lequel elles sont immergées, et rédiger une monographie partagée ensuite avec les autres étudiants. Elle attend également des étudiantes une implication effective dans les apprentissages pratiques. Les stages doivent être suffisamment longs, pour permettre une réelle participation des élèves à l’activité des résidences qui les accueillent.

Parmi ses nombreuses activités, Apolline sera secrétaire de rédaction de 1918 à 1939 des revues  « L’Assistance éducative » et « le Service social Familial » publiées par les Œuvres du Moulin-Vert. En 1920  elle apportera son concours à La Résidence sociale de Marie-Jeanne Bassot en tant qu’administratrice.

En 1921, Marie-Jeanne Bassot regroupe en une Fédération des centres sociaux de France (FCSF) les œuvres sociales françaises partageant les mêmes objectifs. A. de Gourlet est nommée présidente en raison de son implication ancienne, de sa maîtrise intellectuelle et pratique de la formule résidence sociale. C’est ainsi qu’elle participe aux Congrès internationaux des Settlements dont le premier a lieu en juillet 1922 à Londres et le second à Paris en juillet 1926. Elle portera jusqu’en 1945 la continuité du projet social global et résidentiel des centres sociaux.

Au mois de juin 1922, A. de Gourlet contribue à la constitution de l’Association des travailleuses sociales, qui deviendra, en 1950, la Fédération Française des Travailleurs Sociaux, puis, en 1976, la Confédération Française des Professions Sociales.  Il s’agit de lutter contre l’isolement des travailleuses sociales, mais également de recueillir dans un centre d’études tous les perfectionnements techniques qui concernent le travail social afin d’améliorer la qualité des interventions en favorisant la coopération interprofessionnelle. L’association milite également pour que les travailleuses sociales puissent bénéficier d’un statut clair et qu’un diplôme spécifique se mette en place.

A. de Gourlet qui participe à la constitution du Comité d’entente des écoles de travail social y siégera durablement, d’abord au titre de l’école d’action sociale de Levallois Perret. Quand en 1932 est créé le conseil de perfectionnement des écoles de service social, 7 sièges  parmi les 30 sont réservés au comité d’entente, A. de Gourlet en fait partie.

Bien qu’ayant pris sa retraite en 1943, A. de Gourlet continue à écrire et à publier. Très attachée à la formation, elle contribue au développement de la formation professionnelle en publiant en 1946 un ouvrage intitulé « La formation des assistantes sociales »[1]

A. de Gourlet aura été sur tous les fronts. En s’investissant dans la formation elle a contribué à faire avancer la professionnalisation du travail social en mettant l’accent sur la connaissance du terrain. Ses compétences, ses capacités de réflexion et d’analyse lui ont permis d’intégrer les structures porteuses de cette professionnalisation. Par ses publications elle a diffusé l’expérience des maisons sociales, exposant les méthodes de travail qui y étaient développés, soulignant l’importance d’un travail de proximité avec les habitants des quartiers.

                                                                                             Dany BOCQUET    mai 2022

Ses Distinctions :

– Chevalier de la Légion d’honneur (1929

– Médaille d’argent de l’Assistance publique

– Membre du Conseil supérieur de l’Assistance publique

– Membre du Comité français de service social

Sa bibliographie :

La formation des assistantes sociales, Paris, Les éditions sociales françaises, 1946.

Cinquante ans de service social, Livre de raison du Service Social Français, Paris, Les éditions sociales françaises, 1947.

Le bienheureux Nicolas de Flüe, édition Publiroc, Marseille, 1929, qui a reçu le prix Juteau-Duvigneaux de l’Académie française en 1931.

Les Vierges chrétiennes, étude historique, Librairie Bloud & Cie,  collection Science et religion – Études pour le temps présent, Paris, 1906.

Conférence de la Société d’action pratique pour l’amélioration de la condition morale et matérielle de la femme, E. Vitte, , « L’Apprentissage », 1905.

Articles

– Colonies sociales. La résidence laïque dans les quartiers populaires, L’Action populaire, 2e série, n° 37, s.d. (sans doute mai 1904), 34 p. —

– La Maison sociale, ce qu’elle fait à Montmartre, à Ménilmontant, à Montrouge, à Bolbec, L’Action populaire, 1er série, n° 7, s.d. (sans doute en 1905), 34 p. —

– L’Apprentissage, Conférence de la Société d’action pratique pour l’amélioration de la condition morale et matérielle de la femme, E. Vitte, 1905, 14 p. —

– « La Maison sociale », Le Musée social, Annales, septembre 1905, pp. 322-326. —  —

– « Lucie Félix-Faure-Goyau », Revue des Jeunes, n° 12-13e année, 25 juin 1923, pp.628-646. —

Sources :  Diebolt Evelyne, « Les femmes engagées dans le monde associatif et la naissance de l’État providence », Matériaux pour l’histoire de notre temps,  n°53,  pp13-26, 1999 – Eloy Jacques, Les Maisons sociales et les Résidences sociales ou le développement collectif par les reconnaissances mutuelles. Vie sociale, n°2, 2012, pp53-66 – Pascal Henri, Histoire du travail social en France, Presses de l’école des hautes études en santé publique, Rennes, 2020.

GRHSS, le temps du social n°16 – https://memoiresvives.centres-sociaux.fr/appoline-de-gourlet/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Apolline_de_Gourlethttps://maitron.fr/spip.php?article87414, notice GOURLET Apolline de par Jacques Éloy, version mise en ligne le 9 avril 2010, dernière modification le 26 mars 2014.

 


[1]Les éditions françaises, Paris, 1946,