Née à Orhei (Roumanie) en 1900, décédée en 1988 à Paris ; assistante sociale à l’OSE.

D’origine roumaine, Enea Schlissel a passé sa vie dans le domaine social au service de l’enfance. Elle est née en mai 1900 à Orhei (Roumanie) et vient en France en novembre 1929 pour compléter ses études. Licenciée de lettres à Bucarest, elle finit l’école technique Scientia et obtient le diplôme d’aide chimiste, puis en 1934, celui d’assistante sociale et d’infirmière à l’Union des femmes de France, 102 boulevard Malherbes. Elle a aussi suivi les cours d’assistante sociale aux Enfants malades, rue de Sèvres. En 1930, elle épouse Benjamin Averbouh, originaire de la même ville qu’elle et qui exerçait la profession de vérificateur en mécanique, de qui elle a un fils Serge. La famille Averbouh vit à Paris dans le 13e arrondissement. Elle est naturalisée française en 1933.

De 1930 à 1940, elle travaille comme directrice des patronages de la Baronne Germaine de Rothschild (14 place des Vosges et 75 rue Julien-Lacroix) qu’elle est chargée d’évacuer à Coutras en Gironde au début de la guerre (elle place son fils Serge chez des cheminots de Coutras en juillet 1940. Il va rejoindre son père, résistant dans la Nièvre, à Aunay-en-Bazois, puis dans le maquis du Vercors). Ces patronages restent ouverts sous la direction de l’OSE jusqu’en 1943. Ce sont des lieux de sociabilité indispensables pour des enfants privés de tout et qui, restés à Paris, sont pris en charge après l’école dans un cadre juif.

Enéa Averbouh travaille également avec l’équipe d’Eugène Minkowski dans le Comité OSE parisien, au dispensaire de la rue des Francs Bourgeois qui devient le service 27 de l’UGIF et au service 24, ancienne antenne parisienne de l’OSE. Ce comité met en place un circuit clandestin d’enfants qui sont évacués dans des familles (l’OSE a sauvé en zone nord 600 enfants). C’est également à cette période qu’elle laisse des carnets pris sur le vif concernant l’assistance des adultes et le sauvetage des enfants.

« Notre travail primordial consistait à mettre à l’abri les enfants de la déportation. Pour cela il fallait à tout prix séparer les enfants des parents et les placer le plus loin possible de Paris. Nous avons décidé de faire des placements individuels chez des nourrices non juives. Vu que ces placements étaient clandestins, il fallait être très vigilant dans le choix des nourrices. Dans ce travail, sous l’impulsion de la Nazieff Ribert (doctoresse de la caisse interdépartementale des Assurances sociales, rue de Dunkerque) s’est formé un noyau de collaboratrices bénévoles, courageuses et dévouées : les doctoresses Orgelet, Melles Martin, Bourgeois et Boyer. Il en fut de même au service social de l’Enfance en danger moral, rue du Pot de fer., pour le placement de nos fonds en lieu sûr, pour le paiement des pensions des enfants et pour leur surveillance. Elles nous ont rendu des services inestimables. Certaines de ces nourrices, choisies par les assistantes sociales, venaient ensuite au bureau de l’OSE, 35 rue des Francs Bourgeois chercher les enfants à placer. Pour d’autres qui ne pouvaient pas se déplacer, ce sont les assistantes sociales qui les conduisaient chez les nourrices. Pendant ce travail dangereux, nous n’avons pas eu d’ennuis sérieux, sauf quelques histoires drôles. Une nourrice est venue chercher un enfant proposé. Elle allaitait son bébé qui est resté à la maison et voilà qu’une montée de lait l’a fait terriblement souffrir. Nous l’avons conduite chez un pharmacien qui lui a prêté un tire-lait et dans l’arrière boutique elle a pu tirer le lait et être soulagée et rentrer avec notre enfant à la maison. »

Une autre est venue également de loin

Elle travaille également comme assistante sociale du Comité Amelot, un autre réseau juif qui cherche à cacher les enfants, notamment dans la Nièvre où Enéa Averbouh a noué de nombreux contacts lors de ses recherches de familles d’accueil.

En effet, dès septembre 1939, un plan d’évacuation prévoyait que les familles du 12e arrondissement de Paris seraient accueillies dans le département de la Nièvre.

À cet effet, elle va chercher des cartes d’alimentation et des tampons à la mairie d’Aunay-en-Bazois dans la Nièvre. Elle parvient à convaincre le secrétaire de la mairie qui accepte à condition qu’elle le ligote pour simuler une attaque. Tout se passa comme prévu.

En avril 1941, la rue Amelot la délègue pour faire sortir les enfants du camp de Monts où 400 juifs sont internés après avoir essayé de passer la ligne de démarcation. Les enfants sont alors placés dans des familles de la région.

Enéa Averbouh écrit dans son journal en décembre 1941 : « Et pourtant quelle lumière peut parfois nous éclairer en nous montrant les sympathies autour de nous ! Nous avons la visite d’assistantes sociales de diverses mairies, assistantes non juives naturellement qui viennent nous assurer qu’elles feront des arbres de Noël pour nos enfants. (…) Que ce geste est touchant et réconfortant. Dans sa détresse, Israël donne amitié et secours ! Oh ! Merci !! »

Le 22 octobre 1943, on vient l’arrêter malgré sa carte de légitimation de l’UGIF. Elle est sauvée grâce à une voisine non juive qui la guettait dans la rue et se réfugie dans la Nièvre sous le faux nom de Madame Letourneau.

Après la guerre, elle retourne à l’OSE comme assistante sociale chef du service médico social. En 1947 elle assure une première mission en Tunisie où elle passe cinq mois pour organiser le travail médico-social dont un dispensaire et une goutte de lait à Tunis et Djerba. Elle est ensuite envoyée en mission à Oujda, au Maroc après les mouvements antisémites qui ont fait plusieurs victimes dont 14 enfants d’une école juive. Elle retourne ensuite au Maroc en 1950-1951 et organise des gouttes de lait et dispensaires de l’OSE sur place. Son action et ses rapports détaillés ont contribué à l’engagement fort de l’OSE dans ces pays. En 1952 elle est détachée à Alger pour aider l’équipe israélienne qui s’occupe de l’Alyah (départs vers Israël), en organisant un centre de soins contre le trachome et la teigne pour plus de 2 000 émigrants. Elle a d’ailleurs contracté le trachome au Maroc.

Elle revient à Paris toujours comme assistante sociale mais pour la municipalité d’Ivry-sur-Seine de 1958 à 1976 et comme bénévole dans le 13e arrondissement. En 1977, elle reçoit la bourse de l’âge d’or de la Fondation de France, des mains de René Lenoir, secrétaire d’état à l’action sociale et de Maurice Schumann, ancien ministre et sénateur du Nord, ancien président de la fondation de France. Elle fait du bénévolat auprès des aveugles et des paralysés, jusqu’à la fin de sa vie. Elle meurt à Paris en décembre 1988.

SOURCES : Enéa Averbouh, dossier du personnel, Archives du siège de l’OSE. – Carnets d’Enéa Averbouh, déposés au Mémorial de la Shoah.

Katy Hazan