Né dans les Cévennes, fils de pasteur, il commence à exercer comme pasteur à Valence puis vient sur la région parisienne où il créé la revue Foi et Vie en 1898. En 1913 il fonde l’Ecole Pratique de Service Social (EPSS). Par ses relations avec des responsables sociaux nord-américains, il introduit, en 1924, l’enseignement du case work à l’EPSS

Paul Doumergue naît à Uzès en 1859 dans une famille bourgeoise dont le père est pasteur. Il fait ses études secondaires à Nîmes avant d’entreprendre sa formation universitaire à la faculté de théologie protestante de Montauban. Il séjournera ensuite pendant quelques mois en Écosse. Il est affecté à la paroisse de Valence en 1885 en tant que pasteur de l’église réformée protestante ; il n’en partira qu’après douze années de service, en 1897. C’est l’époque où il subit l’influence du pasteur Tommy Fallot, pionnier de la morale publique, militant du progrès social, et fondateur du mouvement protestant « Christianisme Social » . Pendant toutes ces années, le dynamisme dont il fait preuve ainsi que ses longues prédications réveillent une paroisse endormie.
Cependant sa volonté de diversifier les échanges, d’enrichir la réflexion par la confrontation avec des intellectuels le conduisent à abandonner son trop paisible ministère provincial pour venir témoigner de sa foi et de son engagement religieux et social au sein d’une région qui exerce chez lui une forte attirance, la région parisienne. Il accepte un premier poste à la Société Centrale d’Évangélisation à Saint-Germain-en-Laye où il est principalement responsable de la diffusion de l’évangile dans le secteur de Pontoise. Sans perdre de temps – c’est un trait de son caractère – il va s’efforcer de nouer des contacts avec de nombreux intellectuels d’horizons divers dont plusieurs contribueront au succès de sa première initiative audacieuse, la création de la revue Foi et Vie en 1898, revue qu’il présente « religieuse, morale, littéraire, et sociale, l’instrument d’une meilleure connaissance du monde ». Il sera dorénavant avant tout, animateur de la revue et plus encore l’animateur des œuvres de Foi et Vie.
Lorsque sont organisées à grands tapages des conférences antireligieuses au quartier latin notamment par l’ex-abbé Charbonnel, prêtre défroqué, il décide d’engager la riposte mais la Revue ne lui semble pas être le moyen le plus efficace. C’est alors qu’il décide d’organiser des conférences publiques en faisant appel aux plus grands noms de la pensée française de l’époque : Bergson, le philosophe Boutroux, le mathématicien philosophe Henri Poincaré…et bien d’autres. Le succès est si considérable qu’à côté de la Revue les conférences Foi et Vie – organisée place St. Germain des Près – seront la deuxième forme durable de son activité. A ces conférences à caractère religieux et philosophiques d’abord, succèderont des séries au cours desquelles seront abordées des questions qui touchent à l’actualité sociale, aux problèmes de la cité.… C’est précisément le manque d’attractivité de ces dernières où sont évoquées le logement ouvrier, l’apprentissage, l’hygiène corporelle… qui ne font pas appel à des orateurs « vedettes », qui amène Paul Doumergue à se rapprocher en 1913 de 18Mlle Korn – chargée d’une importante mission à la caisse d’épargne des PTT- pour organiser un véritable « Service Social » rattaché à la Revue…

La première préoccupation de Doumergue en arrivant en région parisienne est de nature intellectuelle : c’est la création de la Revue et des Conférences où, dira-t-il, « les idées sont transformées en Verbes animateurs ». Mais la pratique des idées ne saurait suffire, il faut l’action. Ses responsabilités au sein de la Société d’Évangélisation, dans le secteur de Pontoise puis du sud parisien, Clamart, Montrouge, Ivry … lui ont permis de multiplier les rencontres avec les milieux populaires, ce qui n’a fait qu’accroître sa volonté d’agir dans le domaine de la solidarité. C’est ce qui le conduit à sa seconde détermination, en cela il fait œuvre de pionnier : l’organisation d’un Service Social, expression importée en France empruntée du Dr Calbot qui a créé le service social de l’hôpital de Boston . Cela se traduit, en étroite collaboration avec Mlle Korn, par la création en 1913 d’une œuvre d’assistance dépendant du Secrétariat du Service Social de Foi et Vie qui connaîtra un grand développement pendant et après la guerre. Et c’est précisément le croisement de ces deux initiatives – intellectuelles et pratique – qui aboutit à la troisième détermination, la création d’un nouveau service, le 15 novembre 1913, l’École Pratique de Service Social (EPSS). Selon P. Lechaux, « l’EPSS peut être assimilée à une des œuvres de l’association Foi et Vie qui porte la revue homonyme. L’école a elle-même rapidement un service d’accueil et de suivi de familles. Les autres œuvres de Foi et Vie sont au nombre de cinq : secrétariat d’informations sociales qui dispense des informations et du conseil, gère un dispensaire et un foyer ; groupe de service social qui fait de l’accompagnement de familles ; l’ouvroir qui procure du travail à domicile ; un jardin ouvrier ; une activité de ravitaillement créée par le service agricole. »

Toute sa vie durant, Paul Doumergue a veillé à favoriser la collaboration étroite entre la Revue, le Service Social et l’École. Charles Gide, son ami, dirigeant du mouvement coopératif et théoricien de l’Économie Sociale, professeur au collège de France, lui aussi natif d’Uzès, dit de lui « …qu’il n’a pas été seulement un fidèle serviteur, mais un grand entrepreneur social ».
La définition que donne Doumergue de l’École en 1913 a de quoi nous surprendre aujourd’hui : « Un groupement de forces en quête d’activité utile » ; la bonne volonté ne suffit pas, la compétence est nécessaire. C’est pour lui une formation au devoir civique avec des auditeurs réguliers. Pour cela Il va s’entourer de nombreuses personnalités, notamment d’Édouard Fuster, professeur au Collège de France , titulaire de la chaire Prévoyance et assistance sociales, dont il dit qu’il a cofondé l’école avec lui. Il attachait avec intransigeance l’attribut de supérieur car il ne voulait pas que la formation sociale pût être tenue pour une formation au rabais. Il apportait à la recherche et au choix des maîtres le même soin qu’il avait su réunir pour les Conférences . Ces collaborations, sauf exception, sont données à titre gratuit !

Au cours de sa première décennie, l’École va connaitre quatre domiciles : en 1913 elle est hébergée pendant quelques mois place St. Germain des Prés dans les locaux de la Société pour l’Encouragement à l’Industrie, c’est également là que les conférences publiques Foi et Vie ont lieu. En 1915, une première migration a lieu à proximité, au Musée social (5 rue Las-Case), les cours-conférences se déroulant dans la bibliothèque. Dès la fin du XIXème le Musée social est le cœur du processus de transformation de la charité philanthropique en ce que l’on a appelé à l’époque une « charité scientifique », proche du solidarisme de Léon Bourgeois. Outre Paul Doumergue et Charles Gide, plusieurs des cercles du Musée participeront à l’enseignement de l’EPSS. En 1918, le Musée social étant sous la trajectoire des tirs de la « Grande Bertha », nouvelle migration provisoire au 206 boulevard Raspail. C’est une période lourdement perturbée par les événements, mais la guerre confirme chez Paul Doumergue la nécessité de cette école de service social qui est conçue comme un service de l’association Foi et Vie, à côté des autres œuvres sociales gérées par l’association .

Sa rencontre avec Miss Curtis, directrice en France de la Croix Rouge américaine, va permettre en 1919, par une contribution du fonds de la Croix Rouge, la location d’un appartement de trois pièces au 18 Place des Vosges où s’installe alors l’école. La scolarité dure deux années au cours desquelles alternent les leçons – la souffrance, le travail, l’éducation, la récréation…- et les stages dans les hôpitaux, les institutions charitables, ou les conférences-promenades à travers Paris organisées par Paul Doumergue lui-même. Il s’agit avant tout dans l’esprit du fondateur d’une formation de culture générale en vue d’un service social généraliste. Former des jeunes femmes compétentes dont certaines seront salariées, exerceront ce qui deviendra plus tard un métier, alors que d’autres seront bénévoles. Pour Paul Doumergue, cette formation qu’il veut généraliste, le conduit au cours des années 1920 à insister sur la nécessité du retour en formation après quelques années de pratique. Dès 1928 des cours de perfectionnement sont proposés « … pour apporter aux assistantes qualifiées , avec l’utile rafraichissement d’un intérêt intellectuel et d’un échange de vues, une sauvegarde contre la déformation professionnelle » . Ne s’agit-il pas, avant l’heure, de formation permanente tout au long de la vie !

En 1925, c’est enfin l’installation dans l’hôtel particulier du 139 boulevard Montparnasse dans le 6ème arrondissement, « à mi-chemin entre la Sorbonne et le quartier Plaisance » (un des quartiers les plus déshérités de Paris), expression de P. Doumergue. Il y transfère le siège de la Revue et le Secrétariat du Service Social. Les trois piliers sur lesquels repose l’action de Paul Doumergue sont à nouveau réunis.

En 1927, l’EPSS et l’École de l’Abbé Violet dans le 14ème arrondissement qui se rencontrent régulièrement depuis 1923 créent le Comité d’Entente des Écoles de service social qui va jouer un rôle important dans la reconnaissance de la profession d’assistante sociale. Une autre preuve de l’esprit d’ouverture de Paul Doumergue s’est manifestée dans la recherche des lieux de stages pour les élèves : ceux-ci se déroulent dans les œuvres protestantes mais également celles de l’Abbé Violet, de l’Union familiale de Marie Guahéry, aux syndicats de l’Abbaye d’André Butillard et Aimée Novo. C’est un signe d’indépendance à la fois politique et religieuse.

Paul Doumergue a toujours manifesté un intérêt pour les expériences étrangères. Avec le professeur Édouard Claparède, psychologue créateur de l’Institut Rousseau à Genève, il organisa dans les locaux de la place des Vosges puis à Montparnasse des sessions qu’il appela Semaine de l’Institut Rousseau, séries de leçons organisées pendant plusieurs années. Les relations de Doumergue avec la Croix-Rouge américaine et des acteurs du social work américain (comme le Dr Cabot) le conduisent à participer à l’introduction du case work de M. Richmond en France. Il favorise les séjours de Marie Thérèse Vieillot aux USA en 1920-1921 pour se former au case work. Première assistante sociale française ainsi formée au case work, elle l’enseigne à l’EPSS via un cours hebdomadaire à partir de 1924 qui a pour titre « l’étude des traitements de cas dans le service social ».
Cet attachement de Paul Doumergue à amarrer son école sociale aux grands courants intellectuels et professionnels de l’époque le conduit à déclarer l’EPSS comme établissement d’enseignement supérieur auprès du rectorat de Paris le 12 août 1921. Si l’école est dite « pratique », c’est en effet en référence à ce qu’on appelait alors au Royaume-Uni et en France la « science sociale pratique » dont le Musée social se faisait le chantre. Paul Doumergue écrira ainsi en 1929 :

« L’école s’efforcera de jeter un pont entre la science sociale et la pratique sociale, de travailler au fur et à mesure que le service social évolue, suivant l’ampleur toujours accrue des besoins à équiper et à mettre en ligne pour le service public, des bonnes volontés devenues des compétences. »

C’est lors de la Conférence Internationale de Paris en 1928 (plus de 2 500 participants) que l’image de l’assistance sociale va se préciser. Paul Doumergue (décédé en novembre 1930) ne connaîtra pas la véritable fondation de la profession d’assistante sociale reconnue en droit par le décret du 12 janvier 1932.

Charles Gide, collaborateur régulier de la Revue Foi et Vie, qui participa aussi à l’enseignement de l’EPSS, dira de lui : « Pour trouver des collaborateurs à sa Revue et des professeurs à son école, il savait forcer toutes les portes et aucune célébrité ne l’intimidait : c’était la lutte de Jacob avec l’ange. En cela il sera difficilement remplacé ».

Jean BASTIDE Février 2022

SOURCES :

  • Cahier Foi et Vie, Hommage à Paul Doumergue, non numéroté, 1931.
  • Foi et Vie, n° 22 – 15 novembre 1930
  • AFSEA Cahier N°7 septembre 1989
  • Compte rendu des Assemblées Générales : 1927 – 1930 – 1932 – 1933 – 1939
  • Bulletins de l’amicale : 1937 – 1964
  • Bastide, J. (2013). Une école de service social dans le siècle. Paris : L’Harmattan.
  • Lechaux, P. (2020). La trajectoire d’un siècle du système de formation des travailleurs sociaux. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Soutenue en décembre 2020.