Née en août 1908 à Lyon (Rhône), décédée en 1993 ; assistante sociale ; résistante ; directrice du Service social d’aide aux émigrants (SSAE) de 1945 à 1975.

Marcelle Trillat est née dans une famille de médecins de religion protestante. Elle fait ses études d’assistante sociale à Paris à l’École pratique de service social, boulevard du Montparnasse, et exerce ensuite au bureau du Service social d’aide aux émigrants (SSAE) de Paris. En juin 1940, au moment de l’exode, elle retourne à Lyon pour y rejoindre sa famille et décide d’y rester.

Le SSAE reprend ses activités sur Paris et Marseille. Depuis son arrivée en région lyonnaise, sans moyens spécifiques, Marcelle Trillat a multiplié les actions auprès des organisations et œuvres d’aide aux réfugiés et fait valoir la place toute stratégique que Lyon occupe dans l’accueil de ces populations. En territoire non occupé, Marseille croule sous les demandes d’émigration, mais la direction du bureau de la ville phocéenne laisse plus qu’à désirer et une reprise en main s’impose. Ce sera donc Lyon qui deviendra le bureau principal de la zone Sud. Par ses relations, Marcelle Trillat trouve un local et quelques moyens pour commencer l’accueil des personnes et des organisations d’entraide qui sollicitent aide et conseils.

Elle accompagne Lucie Chevalley, la présidente du SSAE qui fait le trait d’union entre les deux zones, dans les démarches auprès des autorités de Vichy. L’urgence est de récupérer le solde des financements publics non encore perçus par l’association d’une part et de fonctionner dans des conditions matérielles adaptées à la nouvelle situation. Car très vite – dès le mois de juillet 1940 – les premières mesures à l’encontre des étrangers sont promulguées : remise en cause de l’obtention de la nationalité française, exclusion de l’accès aux emplois publics et dans le secteur marchand, avec la mise en place des groupements d’étrangers considérés comme en surnombre dans l’économie nationale. Le 4 octobre, faisant suite à la loi portant sur le statut des juifs, les ressortissants étrangers de « race juive » peuvent être internés sur décision du préfet. Il y a donc nécessité de tenir un équilibre périlleux consistant à sauvegarder une organisation d’entraide officielle et engager les actions qui vont se révéler indispensables. Les associations et organisations d’entraide françaises comme étrangères se sont toutes repliées en zone non occupée et, très vite, des coordinations se mettent en place afin de mutualiser les secours et déterminer collectivement la conduite à tenir.

Marcelle Trillat contribue au nom du SSAE au recrutement des équipes sociales résidentes constituées par les organisations de solidarité israélites. Ces équipes doivent intervenir dans les camps d’internement afin d’apporter une aide matérielle mais aussi faciliter les libérations, préparer des dossiers d’émigration, réunir les familles dispersées dans plusieurs camps… L’initiative portée par les organisations juives rejoint d’ailleurs une demande déposée par le SSAE auprès des autorités de Vichy pour mettre en place un service social dans les camps, demande à laquelle aucune réponse n’a jamais été faite.

L’ensemble des services et associations concernées se retrouve régulièrement dans le cadre de réunions du Comité de Nîmes. La tâche devient de plus en plus ardue au fur et à mesure de la dégradation des conditions d’existence des internés : manque de nourriture, problèmes sanitaires insurmontables provoquent une mortalité galopante. Peu à peu, les possibilités de libérations et d’émigrations se réduisent, et l’ensemble des intervenants se trouve pris dans des cas de conscience quasi insurmontables. L’intensification de la répression marque un tournant décisif dans les modes d’action de toutes celles et ceux qui se sont mobilisés pour apporter soutien et assistance aux populations broyées par la guerre, l’Occupation et les lois de répression.

Le début des rafles en juillet 1942 va clore leurs débats de façon brutale. Le Comité de Nîmes se disperse et, bientôt, les membres des organisations juives d’entraide sont dans l’obligation d’entrer dans la clandestinité, pris eux-mêmes sous la menace des arrestations et de l’internement dans les camps français.

Pour autant, les relations ne sont pas rompues définitivement entre les différents protagonistes. Ainsi Marcelle Trillat, comme son adjointe Denise Grunewald, ont très tôt compris la nécessité d’aller au-delà de l’aide légale mobilisable en faveur des étrangers. Conscientes de l’étau dans lequel elles risquent de se trouver, certaines familles sollicitent des réseaux pour se cacher en attendant de pouvoir passer la frontière vers la Suisse. Bien évidemment, les arrestations se multipliant, les actions de sauvetage deviennent de plus en plus nombreuses, ainsi que les prises de risques.

Marcelle Trillat partage avec Denise Grunewald cet engagement avec des réseaux clandestins, engagement qui se fait souvent à partir de la vitrine officielle du SSAE. Elles seules sont engagées, et leur obsession est que le service ne pâtisse pas de leurs actions. La discrétion et le secret doivent être absolus. Il s’agit de secourir des familles qui se cachent et qui n’ont aucun moyen de subsistance, de mettre en relation avec des réseaux de passeurs pour s’acheminer vers des lieux en montagne permettant de passer la frontière dans des conditions les plus sûres possibles, de placer des enfants dans des institutions ou des familles d’accueil avec de fausses identités…

Les temps deviennent de plus en plus sombres car beaucoup de camarades passés dans la clandestinité disparaissent. Les réseaux se resserrent et la traque, par la Milice en particulier, se fait de plus en plus pressante. En juin 1944, une descente de miliciens dans le bureau de Lyon entraîne l’arrestation de l’ensemble du personnel. Ils sont à la recherche de preuves de l’activité clandestine du service et la présence d’un jeune résistant juif dans les locaux au moment de la descente ne fait que confirmer les soupçons. David Donoff est abattu alors qu’il cherche à s’enfuir. Membre des Éclaireurs israélites de France (EIF), David Donoff (1920-1944) a fait partie de l’équipe sociale intervenant au sein du camp de Gurs. C’est à partir de cette période que les liens avec le SSAE se sont construits. Entré dans la clandestinité, il reste très actif dans les actions de sauvetage de la population juive. Il semble que sa présence dans les bureaux du SSAE ce matin de juin 1944 soit dû à un malheureux hasard mais confirme bien les liens étroits entre les deux directrices du SSAE lyonnais et les réseaux de sauvetage clandestins.

L’incarcération de Marcelle Trillat au Fort de Montluc durera plusieurs semaines. Elle est isolée de ses collègues et torturée. Sa libération intervient au moment de l’évacuation du Fort par les Allemands alors qu’elle est sur le point d’être transférée dans la cellule des condamnés à mort. Elle mettra plusieurs mois à se remettre de ces épreuves.

Elle reprend son activité en 1945 et prend la direction du SSAE à Paris. Elle restera la directrice de l’association jusqu’en 1975.

L’après-guerre voit le SSAE étendre ses activités en étroite collaboration avec les ministères concernés : travail, population, santé, affaires étrangères, intérieur. Les activités de l’association, qui a été reconnue d’utilité publique en 1932, se diversifient et s’intensifient.

La question des réfugiés prend une place considérable. C’est à partir de 1950 que l’activité d’accueil et d’insertion du SSAE est financée par l’État. Lorsque l’Organisation internationale des réfugiés (OIR) est dissoute (l’OIR était une agence spécialisée des-Nations unies, créée en 1946 pour gérer les flux importants de réfugiés provoqués par la Seconde Guerre mondiale. Elle a cessé de fonctionner en 1952 et a été remplacée par le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés), le gouvernement prend en charge les programmes d’assistance que cet organisme international gérait et en confie la mise en oeuvre au SSAE.

Pour les familles dispersées par la guerre, le service social fait appel au réseau de correspondants du Service social international dont il est la branche française et établit des liaisons avec le Comité international de la Croix-Rouge. Le SSAE s’efforce de repérer les pays où se trouvent les divers membres du groupe familial, définit avec les intéressés le lieu où la famille pourra se reconstituer et vivre, aide à obtenir les documents de voyage, oriente vers des cours de langue ou des stages de réorientation professionnelle. Les nouvelles vagues de réfugiés à partir des années 1950 appartiennent à des tranches d’âge plus jeunes. Le plein emploi étant la règle, ils se mettent au travail rapidement. La législation en faveur des réfugiés évolue, de sorte que les aides financières du SSAE deviennent des aides relais en attendant que les intéressés puissent bénéficier de leurs droits. D’autres vagues de réfugiés politiques apparaissent : expulsés d’Égypte en 1956, Hongrois puis Tchécoslovaques fuyant leurs pays après l’échec des soulèvements populaires contre l’occupant soviétique, étrangers repliés d’Algérie, Chiliens, tamouls du Sri-Lanka.

Autre activité en plein essor : l’immigration de travail. Dans les années 1960, le flux des travailleurs immigrés augmente considérablement. Le SSAE doit alors adapter son action aux besoins locaux, proposer des solutions, tenter de nouvelles expériences. L’attention et l’action du Service se portent plus particulièrement sur les jeunes immigrés, les hommes seuls, l’habitat avec la résorption des bidonvilles, la création des foyers.

La direction de Marcelle Trillat se déroule donc dans une période de pleine croissance de l’association, tant en activités qu’en moyens. Les modes d’intervention du service social se diversifient. Le SSAE est l’un des rares services sociaux en France à s’engager dans les approches collectives. Par ailleurs, il développe une expertise sociale reconnue à destination des populations, des institutions – publiques comme privées – et des professionnels de l’action sociale.

Marcelle Trillat prend sa retraite en 1975 et reste active dans la défense des étrangers pendant plusieurs années. Modeste et discrète, elle n’a jamais fait état, ni publiquement ni à sa famille, de son engagement pendant la guerre et des conséquences qu’elle a subies. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle s’éteint en 1993.

SOURCES : Archives du SSAE (1921-2005), versées aux Archives nationales sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, cote 44AS. – Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des étrangers, le Service social d’aide aux émigrants, des origines à la Libération, Rennes, ENSP, 2005. – Denis Peschanski, La France des camps. L’internement, 1938-1973, Paris, Gallimard, 2002. – Claude Guillon, « Trente ans d’accueil des réfugiés par le SSAE (1939-1973) », Accueillir, n° 198/1994, p. 24-31.

Lucienne Chibrac