Née le 31 août 1910 à Strasbourg (Bas-Rhin, alors annexé par l’Allemagne), décédée en 1973 ; assistante sociale au Service social d’aide aux émigrants (SSAE) ; résistante ; présidente de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) de 1959 à 1965.

Denise Grunewald est née dans une famille protestante. Son père exerce une activité de commerçant. Passionnée de musique, elle excelle au piano et, après ses études secondaires, entre au Conservatoire où elle étudie plusieurs années. Elle s’engage ensuite dans des études d’assistante de service social, qu’elle suivra à Paris à l’École pratique de service social.
La « question sociale » est en effet une autre de ses sensibilités, et ses engagements politiques, notamment au moment du Front populaire, ne seront pas sans provoquer quelque tension au sein de sa famille, en particulier avec son père.
Sa carrière professionnelle s’engage dès l’origine au sein du Service social d’aide aux émigrants (SSAE) comme assistante sociale départementale du Service social de la main-d’œuvre étrangère (SSMOE) dans le département de Seine-et-Marne.
Au moment de l’exode, elle quitte la région parisienne et arrive le 20 juin 1940 dans le département de la Drôme où ses parents sont venus se réfugier en 1939 suite à l’évacuation des civils de Strasbourg pour constituer les défenses de la ligne Maginot.
Les contacts au sein du SSAE entre les différents bureaux départementaux et la Direction sont totalement coupés. Consigne a été donnée par la présidente elle-même de répartir le matériel et les dossiers et de rejoindre familles et connaissances pour se mettre à l’abri.
Denise Grunewald se met aussitôt à la disposition de la préfecture du département et assure des permanences plusieurs fois par semaine durant les mois de juillet et août 1940. Elle reçoit des réfugiés, tant français qu’étrangers, pour traiter des questions d’hébergement, d’aides financières mais aussi fournir des renseignements spécifiques concernant des ressortissants étrangers (recherche de familles, préparation de rapatriement, récupération de salaires impayés, etc.).
Après le partage du territoire français par les forces occupantes, Lyon va devenir le siège du SSAE pour la zone sud. Une grande partie de sa famille résidant dans la capitale des Gaules, Denise Grunewald y reprend son activité. Commence alors un long compagnonnage de travail et d’amitié avec Marcelle Trillat qui prend la direction de ce bureau.
Pour la grande majorité des Français, la période de l’Occupation est une longue épreuve et une lutte sans relâche pour assurer le quotidien : se nourrir, se vêtir, se chauffer – les hivers durant cette période seront parmi les plus rigoureux de la décennie – circuler, avoir des nouvelles de ses proches…
Que dire alors du sort des étrangers présents sur le sol français ! Dans la zone dite « non occupée », le régime de Vichy instaure une politique implacable de stigmatisation et d’exclusion des « indésirables » : étrangers, juifs, francs-maçons… Cette politique rend particulièrement complexe la vie des étrangers, même s’ils ne sont pas tous visés par les dispositions prises à l’encontre des juifs. Il est donc nécessaire de leur apporter un soutien tant au plan juridique que dans l’organisation du quotidien. Les priorités du service sont orientées vers l’aide à l’émigration – du moins dans les premiers mois de l’Occupation – les dispenses pour éviter les internements ou les embrigadements dans les Compagnies de travailleurs étrangers (CTE), la recherche d’informations pour réunir les familles dispersées par la guerre et l’exode.
Denise Grunewald seconde Marcelle Trillat dans les multiples activités du SSAE qui, jusqu’en juin 1944, gardera des activités officielles. L’association intervient en lien étroit avec tous les acteurs présents dans le combat de protection des personnes les plus exposées à la fureur des autorités d’occupation et du pouvoir vichyste.
En 1942, les persécutions s’intensifient et la répression devient de plus en plus visible. Denise Grunewald se trouve prise au cœur de la rafle de Vénissieux. Mobilisée par l’Abbé Glasberg avec d’autres associations et organisations d’entraide, elle intervient à l’intérieur du camp où sont regroupés plus de mille juifs étrangers. Il s’agit de constituer une équipe sociale chargée de négocier et appliquer les critères permettant à un maximum de personnes d’être exemptées de faire partie du convoi annoncé en direction de la zone occupée (Drancy plus précisément), et ensuite – mais les protagonistes lyonnais n’ont pas connaissance de cette suite tragique – la déportation vers les camps de l’Est.
Denise Grunewald est plus particulièrement chargée de procurer des documents prouvant la durée de séjour en France, la nationalité d’un enfant ou la qualité « aryenne » d’un conjoint. Elle se met en rapport avec les consulats afin qu’ils se mobilisent pour leurs ressortissants. Les efforts menés par l’ensemble des acteurs n’ont qu’un seul but : empêcher le départ dans le convoi d’un maximum de personnes. Quitte à tordre la vérité : de faux certificats médicaux permettent des sorties du camp et lorsque les marges de manœuvre deviennent quasi inexistantes, il faut convaincre les parents de confier leurs enfants à l’Amitié Chrétienne de l’Abbé Glasberg afin de les exfiltrer du camp et les disperser dans les familles et établissements où ils pourront être cachés.
Mais Denise Grunewald n’a pas attendu l’année 1942 pour percevoir la nature du régime d’occupation et pour lutter avec les armes à sa disposition. Dès le début de l’Occupation, elle fait partie des quelques aventureux qui diffusent le journal Combat dirigé par Henri Frenay et Berthie Albrecht dont le 1er numéro sortira en décembre 1941. Elle contribue au journal Témoignage Chrétien, créé par le Père Chaillet en novembre 1941 et qui appelle à une résistance spirituelle contre le régime nazi au nom des valeurs chrétiennes, sous le pseudonyme de Catherine Boisvert, son nom de clandestinité (On aura compris que « Boisvert » est la traduction exacte de « Grunewald.
Au fur et à mesure de la montée de la répression, et grâce à un travail avec l’ensemble des œuvres et organisations d’entraide existantes, Denise Grunewald participe activement au réseau de sauvetage qui consiste à cacher et placer des enfants, faciliter la fuite de familles vers la Suisse, secourir d’autres familles cachées en leur fournissant de fausses cartes d’alimentation…
En juin 1944, la Milice fait une descente au bureau de Lyon, l’ensemble du personnel est arrêté et emprisonné à Fort Montluc. Emprisonnée dans le quartier des juives à cause de son nom, Denise Grunewald doit prouver son « aryanité », ses parents fournissent des certificats de baptême sur plusieurs générations. De cette période tragique, Denise Grunewald a laissé à sa famille un témoignage manuscrit précis et poignant des conditions d’emprisonnement. Elle sort de prison le 24 août 1944 suite à l’évacuation de Fort Montluc par les Allemands. La ville de Lyon sera libérée onze jours plus tard.
Sa reprise d’activité professionnelle intervient assez rapidement après sa libération. Elle se charge en priorité de prospecter les possibilités de développer le SSMOE dans différents départements de la Région.
Maîtrisant la langue allemande, elle se voit confier en 1946 une mission en Allemagne à Rastatt puis à Baden-Baden. Elle est accréditée auprès de la Direction des personnes déplacées et travaille en lien avec le Conseil permanent des Nations unies pour l’assistance et la reconstruction des pays libres afin de contribuer à résoudre l’immense problème des réfugiés et déportés dont il faut faciliter le retour dans le pays d’origine quel qu’il soit. Accréditée par la suite auprès de la commission préparatoire de l’Organisation internationale des réfugiés (OIR) sur la question des enfants, elle est amenée à s’intéresser aux enfants abandonnés ou placés dans les Lebensborn nazis. Elle conduit une étude très fouillée sur l’évolution de ces structures qui, d’organisations créées pour l’amélioration de la « race germanique », étaient devenues des instruments de germanisation des enfants enlevés dans les pays occupés.
En 1949, de retour en France, elle rejoint le siège du SSAE à Paris où elle retrouve sa camarade de travail et de résistance Marcelle Trillat. Elle restera son adjointe jusqu’à la fin de son activité.
Dans la répartition des tâches de ce duo pilote, Denise Grunewald est plus particulièrement attachée aux relations avec les équipes qui se développent dans un nombre croissant de départements. Elle fait régulièrement des tournées pour aller à la rencontre des assistantes sociales qui, souvent seules sur un territoire, font face à de multiples problèmes. Elle est la courroie de transmission bienveillante et rassurante entre le « siège » et le « terrain ».
Ce goût pour le soutien aux professionnels de service social se traduira aussi par les années de présidence qu’elle assure, de 1959 à 1965, à l’Association nationale des assistants de service social (ANAS).
Cette responsabilité souligne et illustre son attachement à la protection de l’éthique des professionnels et à la reconnaissance de la place du service social comme promoteur et défenseur des personnes et des groupes en butte à la persécution, la misère économique et victimes des grands bouleversements des sociétés.
Outre la musique, Denise Grunewald aimait les sports de montagne et l’alpinisme. Gageons qu’elle y goûtait l’endurance, l’économie et la sûreté des gestes, le courage peu tapageur et l’opiniâtreté sans faille !
En 1973, alors qu’elle est encore en activité, elle s’éteint à 63 ans des suites d’une longue maladie.
SOURCES : Archives du SSAE (1921-2005), versées aux Archives nationales sur le site de Pierrefitte-sur-Seine, cote 44AS. – Lucienne Chibrac, Les pionnières du travail social auprès des étrangers, le Service social d’aide aux émigrants, des origines à la Libération, Rennes, ENSP, 2005. – Valérie Perthuis-Pontheret, Août 1942 Lyon contre Vichy, le sauvetage de tous les enfants juifs du camp de Vénissieux, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1997. – Boris Thiolay, La fabrique des enfants parfaits, Paris, Éditions Babélio, 2012. – Henri Pascal, La construction d’une identité professionnelles des assistantes sociales, l’Association nationale des assistantes aociales (1944-1950), Rennes, EHSP, 2012.
Lucienne Chibrac