Fanny Loinger est la quatrième enfant d’une famille juive traditionaliste et sioniste. Elle est la première de la famille à partir pour la Palestine en 1936, mais revient en France pour y compléter ses études d’infirmière. « En 1936, après avoir été dans une Ferme École Agricole du Hehalutz en France, j’avais obtenu un certificat d’immigration pour la Palestine. J’ai donc été pendant deux ans membre d’un kibboutz (Naan) et au bout de ces deux ans je suis arrivée à la conclusion qu’il serait bon pour moi d’avoir un métier, or je ne pouvais pas l’acquérir en Palestine. »

Lorsque la guerre arrive, elle vient d’être diplômée de l’école d’infirmières-assistantes sociales de Strasbourg , repliée à Bordeaux et doit rester en France : « Tout d’abord j’ai quitté Bordeaux pour Périgueux, où une grande partie de ma famille était réfugiée. J’ai commencé à travailler à l’hôpital de Strasbourg replié à Clairvivre. » Elle y rencontre son amie Andrée Salomon, responsable du service social de l’OSE, qui la pousse à la rejoindre. En 1941, elle va s’occuper des Juifs étrangers, en attente d’un visa d’immigration vers les Etats-Unis qui sont réfugiés à Marseille dans les hôtels Bompart et du Levant, annexes du camp des Milles.

« Il y avait à l’hôtel 500 personnes, hommes, femmes, enfants et vieillards, entassés sans confort à attendre le visa de sortie sauveteur et un moyen de transport. Ils vivaient dans l’espoir de quitter la France et de commencer une vie normale outre mer. Malheureusement, l’occupation par les Allemands de la zone libre et Marseille y compris, en novembre 1942 a mi-fin à tous leurs espoirs et rares furent ceux qui ont eu le bonheur de voir la statue de la liberté.La majorité des réfugiés se sont retrouvés après décembre 1941, date de l’entrée des Etats-Unis dans la guerre, coincés sans issue et l’atmosphère à l’hôtel était lourde, le désespoir y régnait en maître. Nous avons essayé encore à Marseille, de placer des enfants dans des familles non juives, seulement la plupart des parents ont refusé de se séparer de leurs enfants et rares furent ceux que nous avons planqués. »

Lorsqu’en août 1942, les habitants de l’Hôtel sont transférés au camp des Milles, elle décide de les suivre en tant qu’internée volontaire, afin de faire sortir les enfants du camp. Son laisser-passer a permis de sortir plusieurs jeunes filles du camp qui furent mises en lieu sûr « Je vois encore devant moi une jeune femme qui m’avait confiée sa petite fille, âgée d’un an, que j’ai sorti du camp dans un sac à provisions. (Elle est mariée et vit aujourd’hui à Cannes). Je voulais aussi sauver la mère à laquelle j’avais donné un somnifère assez fort, espérant que les gendarmes, la croyant mourante, ne la prendraient pas. Hélas ils ont apporté un brancard et elle a fait partie du transport. Je dois rendre justice à certains policiers qui ont su fermer un œil et quelquefois les deux au bon moment, tous n’étaient pas des brutes. »

Après les déportations et la fermeture du camp, Fanny Loinger va aider au camouflage des enfants juifs. En 1943, elle est nommée responsable de la région Sud-Est du réseau de sauvetage clandestin, dit réseau Garel, et organise la survie de quelques 400 enfants dans les départements de l’Ardèche, de l’Isère, de la Drome, de la Savoie et de Hautes et Basses Alpes. « De Fanny Loinger, je suis devenue Stéphanie Laugier et avec un collègue, Robert Epstein, nous avons prospecté le département de l’Ardèche. Nous y avons trouvé pas mal de planques dans des fermes et des couvents. Notre « quartier général » était un hôtel à Privas. A partir de janvier 1943, le département de l’Ardèche était saturé et comme le nombre d’enfants à placer augmentait continuellement, nous avons étendu notre champ d’action à d’autres départements. Nous avons du agrandir notre équipe. Sont venus partager notre travail, Edith Scheftelovitz et Rachel Altman. Nous étions donc quatre « commis voyageurs qui étaient à la recherche de places dans l’Isère, la Drome, la Savoie et dans les Hautes et Basses Alpes. Nous avons rencontré de temps en temps Andrée Salomon et Georges Garel. Ces rendez-vous avaient généralement lieu dans les trains par mesure de précaution. A ces occasions nous recevions généralement de l’argent en provenance du JOINT pour payer les pensions des enfants camouflés.

Un jour, j’étais à Romans dans la Drome et j’attendais le train pour Lyon, j’ai saisi d’une oreille, une conversation « petit nègre » entre un soldat Allemand et un cheminot. Le soldat racontait qu’il savait de source sûre que des enfants juifs étaient cachés dans un couvent à couvent à Romans. Ceci m’a mis la puce à l’oreille et, au lieu d’aller à Lyon, je suis allée tout droit au couvent où nous avions placé trois enfants, deux sœurs et un frère. J’ai eu beaucoup de mal à convaincre la mère supérieure de me donner les enfants, elle ne voulait pas s’en séparer et me promettait qu’ils étaient en toute sécurité. Mais moi je n’étais pas du tout tranquille et j’ai pris les trois enfants avec moi pour les placer ailleurs. J’ai su, par la suite, qu’il y a eu une descente allemande au couvent… Notre équipe a ainsi réussi à camoufler 500 enfants jusqu’à la Libération sans qu’aucun d’eux ne soient tombés entre les mains des Allemands. Notre fierté a été récompensée. »

Chef de réseau, sa couverture professionnelle doit être totalement « aryanisée », selon les termes de l’époque. Elle s’adresse au Service Social de l’Enfance à Grenoble. « La directrice du service, Melle Merceron Vicat était au courant de mes activités clandestines. Elle a réussi avec intelligence et bonté à assurer ma situation vis à vis des autorités françaises et allemandes et des autres assistantes du service. Il n’y a jamais eu le moindre problème ni accroc et de cette façon j’ai pu vaquer à mes activités pas très ordinaires. »

À la Libération elle va travailler à Lyon au centre médico-social que l’OSE ouvre pour l’accueil des déportés et le soutien d’une population paupérisée et traumatisée. « Nous avions en charge 800 familles et 2000 enfants rescapés de la déportation. Rares furent les familles dont les deux parents étaient présents. Inutile de décrire l’état moral de ces familles qui en grande partie avaient été démembrés. Il a fallu parer à beaucoup de problèmes tant matériels que de réadaptation à une vie normale et surtout rendre aux jeunes, confiance dans un avenir meilleur. Nous avons essayé de les orienter vers diverses activités et métier. Il faut ajouter à cela que ces familles étaient pour la grande partie, d’anciens internés des camps de Rivesaltes, Gurs, etc.. Ils n’avaient pas la nationalité française et toutes les portes ne leur étaient pas ouvertes. Certains ont émigré aux États-Unis, d’autres en Palestine. Une autre catégorie a essayé de s’adapter à la vie en France. »

Elle est ensuite détachée par l’OSE au Joint  pour travailler dans des camps de personnes réfugiées en Allemagne et en Autriche. Chargée d’accompagner 350 enfants et adolescents rescapés du camp de Buchenwald vers la Suisse, afin qu’ils y soient soignés. « Le voyage en train a duré trois jours. Le médecin du convoi était le Dr Revel de Strasbourg. Nous avons traversé l’Allemagne dévastée (c’était tout de même une petite revanche) et sommes arrivés à Bâle. A notre grande surprise, nous nous sommes heurtés à de très grosses difficultés. Il est vrai que nous y sommes pour quelques chose ! Les autorités suisses avaient accepté de prendre en charge 120 enfants et nous en avions amenés 350. Le résultat fût que tout le convoi a été dirigé vers un camp. Quelle surprise désagréable ! nous avons sorti les enfants d’un camp pour qu’ils se retrouvent dans un autre. L’intervention à Berne auprès des délégués du gouvernement n’a rien changé à l’état de chose. C’est alors que le gouvernement français a accepté de recevoir les 230 enfants restant. L’OSE les a hébergés dans une maison d’enfants. »

Elle a également dirigé la maison d’enfants de Hausmanstaetten en Autriche, près de Graz.

En 1949, Fanny Loinger rencontre Heinrich Nezer, un Juif allemand, qu’elle épouse à Paris, un an plus tard. En 1950, Fanny Loinger-Nezer s’installe en Israël, réalisant ainsi son rêve sioniste. Le 5 décembre 1952, Irit et Tamar, leurs filles jumelles, viennent au monde. La famille repart s’installer en Allemagne.

Plusieurs membres de la famille Loinger se sont engagés aux côtés de l’OSE pour le sauvetage des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale: son frère,Georges Loinger, sa sœur aînée, Emma Loinger-Lederman, sa cousine Dora Werzberg et son cousin, le mime Marceau.

SOURCES : Dossier du personnel, Archives au siège de OSE.

Katy Hazan